SAINT-SIMON, Louis, duc de : analyse et critique de l'oeuvre.

SAINT-SIMON, Louis, duc de (1675-1755). Plus célèbre et célébré que connu, Saint-Simon est de ces écrivains majeurs que le public pratique trop souvent en anthologie et que les spécialistes consultent à l’aide d’index : dans les deux cas, la cohésion monumentale de l’esthétique et de la pensée risque d’échapper au profit du pittoresque ou du document, également trompeurs. Autre malentendu : refusant les finalités des « belles-lettres » de son temps, né, dit-il, avec une vocation d’historien, il consacre sa longue existence à la création d’une méthode et d’une œuvre résolument historiques; or, quand les historiens positivistes du XIXe siècle eurent scruté sans merci le détail des faits et, fascinés par le mythe du « Grand Siècle », condamné la prétendue haine du mémorialiste à l’égard de Louis XIV, Saint-Simon se trouva transféré dans le champ littéraire, dont les tenants l’admirèrent et l’étudièrent au nom de critères que sa vie et ses écrits récusent. Depuis peu, timidement, la nouvelle école historique le reprend en compte, des spécialistes de la littérature et des idées acceptent de lui rendre son vrai domaine, celui de la politique et de l’historiographie. Saint-Simon n’aurait-il pas sa place dans un Dictionnaire littéraire? Si, puisqu’on loue en lui un style de génie et que, plus profondément, l’ampleur idéologique et religieuse de son dessein, la délibération persuasive d’une écriture d’aspect aléatoire, mais strictement contrôlée, le rythme et l’unité de son univers l’inscrivent dans ce que notre temps — mais non le sien — appelle littérature. Enfin, il y a, sous l’Ancien Régime, chez les

historiens, une rhétorique parallèle et contraire à celle des « poètes » et des « orateurs », et c’est celle qu’applique Saint-Simon.

Situation

L’accord se fait aussi mal sur la situation historique de Saint-Simon que sur son statut d’écrivain; peintre du règne de Louis XIV, il passe pour un auteur du xviie siècle. Or, en 1700, il n’a que vingt-cinq ans; l’essentiel de son œuvre s’élabore dans la décennie 1730, et le texte définitif des Mémoires de 1739 à 1750 : Saint-Simon appartient au xviiie siècle; le renouvellement profond de notre image des Lumières rend cette concomitance moins inintelligible. C’est aussi un écrivain posthume : sa volonté expresse remet la parution de son œuvre à « plus d’une génération ou deux » après sa mort, survenue peu après celle de son ami Montesquieu; en effet, après des éditions fragmentaires publiées à la fin du siècle, c’est au soleil de 1830 que les romantiques reçoivent les Mémoires et s’en emparent : de cette lecture le livre reste affecté jusqu’à nous. Mieux, le caractère tumultueux, évidemment non « classique », de cette œuvre a pu aujourd’hui susciter des interprétations par une rémanence « baroque » dont Saint-Simon, grand seigneur, serait l’archaïque témoin : on verra ce qu’il faut de prudence devant ces assimilations. Ainsi ce contemporain de Rameau et de Voltaire peut se trouver, au choix, renvoyé à Louis XIII, à Louis XIV, à Balzac, voire à