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La ducasse - Troisième partie, chapitre II - Germinal de ZOLA

Publié le 17/01/2022

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Jusqu’à dix heures, on resta. Des femmes arrivaient toujours, pour rejoindre et emmener leurs hommes ; des bandes d’enfants suivaient à la queue ; et les mères ne se gênaient plus, sortaient des mamelles longues et blondes comme des sacs d’avoine, barbouillaient de lait les poupons joufflus ; tandis que les petits qui marchaient déjà, gorgés de bière et à quatre pattes sous les tables, se soulageaient sans honte. C’était une mer montante de bière, les tonnes de la veuve Désir éventrées, la bière arrondissant les panses, coulant de partout, du nez, des yeux et d’ailleurs. On gonflait si fort, dans le tas, que chacun avait une épaule ou un genou qui entrait chez le voisin, tous égayés, épanouis de se sentir ainsi les coudes. Un rire continu tenait les bouches ouvertes, fendues jusqu’aux oreilles. Il faisait une chaleur de four, on cuisait, on se mettait à l’aise, la chair dehors, dorée dans l’épaisse fumée des pipes ; et le seul inconvénient était de se déranger, une fille se levait de temps à autre, allait au fond, près de la pompe, se troussait, puis revenait. Sous les guirlandes de papier peint, les danseurs ne se voyaient plus, tellement ils suaient ; ce qui encourageait les galibots à culbuter les herscheuses, au hasard des coups de reins. Mais, lorsqu’une gaillarde tombait avec un homme par-dessus elle, le piston couvrait leur chute de sa sonnerie enragée, le branle des pieds les roulait, comme si le bal se fût éboulé sur eux.

En ce dernier dimanche de juillet 1866, la fête paroissiale de la ducasse (c'est-à-dire la dédicace : il s'agit d'une fête dédiée à l'église paroissiale du lieu, dont on célèbre ainsi la consécration, à la date anniversaire) bat son plein, le long de la route de Montsou, à grand renfort de chopes de bière et, pour certains, de verres d'alcool de genièvre.  Le soir de la ducasse, comme le signale Zola, il est de tradition de se rendre au Bon-Joyeux, établissement tenu par la veuve Désir. On y trouve une grande salle, où l'on consomme de la bière, avec comptoir et tables : le cabaret proprement dit ; attenante à cette salle, il y a une autre salle garnie d'un plancher, qui communique avec la première par une grande baie : on y danse.  Trois musiciens, installés sur une petite tribune, animent le bal, à la lumière de quatre lampes à pétrole. Pour la Maheude, venue rejoindre son mari à huit heures du soir, c'est l'occasion de fixer la date du mariage de son fils, Zacharie, avec Philomène Levaque. Les Maheu décident encore de prendre Etienne en pension chez eux. Quant à ce dernier, il tâche de recueillir des fonds auprès des mineurs, en vue de créer une caisse de prévoyance, indispensable en cas de grève.

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« La foule unanimeLa joie règne sans interruption ; de même que le temps, l'espace offre une plénitude joyeuse, qui est celle de lafoule, ce que traduit, par son unanimisme, le pronom indéfini on : « on gonflait...

», « on cuisait...

», « on semettait...

».

Les groupes (« bandes d'enfants », « dans le tas », « tous égayés »), tels qu'ils se présentent, sousune forme indifférenciée, de même que l'emploi systématique du pluriel (« des femmes », « les mères », « les petits») sont les indices que la collectivité se confond en une seule masse.Pour différencier, toutefois, les parties constituantes de la foule, le narrateur découpe dans l'espace des catégoriesrepérables (femmes, mères, enfants, galibots, herscheuses, danseurs) et recourt à 1'indéfini singulier, ce qui luipermet de détailler un élément constituant, par rapport à l'ensemble où il s'intègre : « chacun avait une épaule...

»,« une fille se levait...

», « une gaillarde tombait avec un homme...

».Quand le regard s'arrête, non plus sur une partie d'un groupe, mais sur une partie du corps significative, la partievaut pour le tout : la figure de style qu'est la synecdoque met alors l'accent sur un objet partiel du corps (individuelou collectif), pour mieux dégager un aspect fondamental de l'euphorie collective.En effet, ce n'est pas seulement le rire qui « tenait les bouches ouvertes » : la bière coule à flots des « tonnes »(d'énormes tonneaux), comme si celles-ci étaient continuellement débondées pour la circonstance ; ces tonnes nesont « éventrées » que pour emplir d'autres ventres et les bouches hilares : « les tonnes de la veuve Désiréventrées, la bière arrondissait les panses ».

De même, les mères sortent d'énormes mamelles pour allaiter les petits,« barbouillés de lait », comme sont barbouillées de bière les faces épanouies des buveurs, la bière « coulant departout, du nez, des yeux et d'ailleurs ».La comparaison des seins avec « des sacs d'avoine », de caractère hyperbolique, souligne la puissance irrésistibledu flot de vie.

De fait, la coulée nourricière et désaltérante de la bière « gonflait » les corps, au point ques'entremêlent les différentes parties de ces corps (épaules, genoux, coudes et panses), qui se confondent en un «tas » indifférencié, celui de la foule, corps collectif.

Si les enfants se soulagent sur place (sous les tables), les fillesne se détachent pas sans regret de la foule, unité fusionnelle, sous l'impulsion d'un besoin naturel : « le seulinconvénient était de se déranger ». La vision naturaliste de la fêteEmplissant bouches et ventres, voilant les yeux de sueur (« les danseurs ne se voyaient plus, tellement ils suaient»), la bière apaise la soif des corps surchauffés : la salle est comparée à un «four », où l'on « cuisait », et d'oùs'échappe, comme d'une chair rôtie (« dorée »), « l' épaisse fumée des pipes ».

L'air, l'eau, le feu concourent à laliesse populaire en dénudant les corps, relâchant le contrôle des fonctions naturelles, comme si les forces de lanature s'harmonisaient pour mêler les corps en fête, recomposer une sorte d'unité et de fusion primitives.La métaphore nautique (« une mer montante de bière ») suggère, par son mouvement ascendant, la montéeirrépressible, envahissante et euphorique de la sève nourricière (la bière ou le lait), qui s'accompagne, commel'ondulation de la vague, d'un mouvement descendant de chute : les galibots (affectés au transport des berlines surle plan incliné) se montrent prompts à renverser (« culbuter ») les herscheuses (leurs homologues féminins) dans undéhanchement obscène, «au hasard des coups de reins ».La terre participe, elle aussi, à l'action des éléments : la chute des couples entraîne, comme un mouvement devague, le roulement des pieds (« le branle des pieds les roulait ») mais la catastrophe, annoncée ironiquement par la« sonnerie enragée » du piston, se fait entendre avec la puissance naturelle d'un éboulement de mine : « comme sile bal se fût éboulé sur eux ». CONCLUSION Venant conclure la soirée de fête populaire, le thème de la vie débordante ne manque pas d'interférer avec le thèmecomplémentaire et antithétique d'une violence à la fois libératrice et sourdement menaçante.

C'est que la réalité,telle qu'elle est perçue et transfigurée par la vision naturaliste de Zola, ne manque pas d'associer la vie de l'hommeà celle de la nature, non sans conférer à cette alliance une outrance presque rabelaisienne et parodique.L'emploi de l'imparfait dans cet extrait, à des fins descriptives et répétitives, permet de déployer dans la durée etdans l'espace, avec une puissance épique, la jouissance primitive d'un désir satisfait, désir de fusion collective,auquel préside la patronne de l'établissement, la bien nommée veuve Désir.

C'est elle qui, bientôt, favorisera unautre désir, d'union révolutionnaire, cette fois, quand, au chapitre IV de la quatrième partie, elle accueillera dansson cabaret les délégués des mineurs qui, sous l'habile direction de Pluchart, adhéreront en masse à l'Internationale.. »

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