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La fileuse - Paul VALERY

Publié le 29/03/2011

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Assise, la fileuse au bleu de la croisée Où le jardin mélodieux se dodeline; Le rouet ancien qui ronfle l'a grisée. Lasse, ayant bu l'azur, de filer la câline Chevelure, à ses doigts si faibles évasive, Elle songe, et sa tête petite s'incline.

Un arbuste et Pair pur font une source vive Qui, suspendue au jour, délicieuse arrose De ses pertes de fleurs le jardin de l'oisive. Une tige, où le vent vagabond se repose, Courbe le salut vain de sa grâce étoilée, Dédiant, magnifique, au vieux rouet rose. Mais la dormeuse file une laine isolée ; Mystérieusement l'ombre frêle se tresse Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée. Le songe se dévide avec une paresse Angélique, et sans cesse, au doux fuseau crédule, La chevelure ondule au gré de la caresse... Derrière tant de fleurs, l'azur se dissimule, Fileuse de feuillage et de lumière ceinte : Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle. Ta sœur, la grande rose où sourit une sainte, Parfume ton front vague au vent de son haleine Innocente, et tu crois languir... Tu es éteinte Au bleu de la croisée où tu filais la laine. Paul Valéry — Version de « la Conque «, revue où parut la Fileuse (je n'indique que les variantes importantes quantitativement). 3e tercet L'âme des fleurs paraît plus vaste et primitive, De plus jeunes parfums le val chaste s'arrose, Et des lys ont pâli le jardin de l'oisive. 7e tercet N'es-tu morte naïve au bord du crépuscule? Naïve de jadis et de lumière ceinte; Derrière tant de fleurs l'azur se dissimule!... 8e tercet Ta sœur, la grande rose où sourit une sainte Parfume ton front vague au vent de son haleine, Innocente qui croit languir dans l'heure éteinte. — Version antérieure (la fin seulement) 7e tercet Mais les charmantes fleurs qui rougissent, à peine,

Figures et regards de filles couronnées, Parfument l'enfant vague au vent de leur haleine. 8e tercet Car c'est l'antique Heden des premières journées, Roses des beaux soirs, dont les prêtres se souviennent Ivres lis traversés de calmes hyménées!... Mais la Morte se croit la fileuse ancienne.   

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« suffire...

» « Construire une poésie qui jamais ne pût se réduire à l'expression d'une pensée, ni donc se traduire,sans périr, en d'autres termes ». Remarques Ces éléments théoriques n'avaient nullement pour objectif de fournir une manière d'esquiver les difficultés de cecommentaire; ni de faire accepter n'importe quoi.

Mais d'attirer l'attention des élèves sur le droit qu'ils avaient — etque souvent ils sont bien étonnés d'avoir — à lire et à construire une lecture, avec la seule exigence d'un effort decohérence : si on assimile par exemple la fileuse à la Parque grecque (celle qui, aux Enfers, file la vie de chacun), ilfaut que cette lecture ne soit pas contredite par certains éléments du texte.

De même si la fileuse est comprisecomme la « suite » de l'Hélène de Ronsard (« assise auprès du feu, dévidant et filant »), ce qui est légitime aussi. Travail préliminaire Comme le commentaire de la Fileuse n'a pas été composé collectivement, il est ici très difficile de rendre compte dutravail préparatoire.

Je ne peux qu'indiquer, avant de tenter de construire un commentaire, quelles remarques sont constamment revenues dans lescopies, et quels détails avaient plus particulièrement attiré l'attention des élèves : — les variantes d'abord, parce qu'elles permettaient de mieux cerner un sens possible du texte — le jeu des temps : présent/imparfait — l'espace du poème : les deux côtés de la croisée — les adjectifs : flou et imprécision — le caractère mystérieux de l'ensemble, voluptueux et somptueux. Pour introduire Filer, tisser, tapisser sont besognes de femme, réellement en même temps que poétiquement : la grâce et la lenteurdes gestes qu'ils exigent, la rêverie à laquelle ils se prêtent leur ont donné place très tôt dans la poésie, puisque lemodèle en serait, si l'on veut, le travail patient de Pénélope.

Ces travaux en outre sont chargés d'un senssymbolique : avec des souvenirs plus ou moins lointains, c'est à la Parque que fait songer la fileuse.

Le mouvementde la laine qui s'accumule sur la pelote, c'est le mouvement aussi des années qui s'additionnent, le temps qui coule,puisqu'on parle du fil de la vie, de la trame de l'existence...

Est-ce à cette douceur de la vie qui s'étire et seprolonge qu'est prise la fileuse de Valéry? Mais pourquoi cette ombre alors qui l'enserre et finit par l'éteindre? L'aventure de la fileuse L'histoire de la fileuse tient tout entière entre un participe — qui la saisit dans son immobilité (assise la fileuse) et lafige — et l'imparfait du dernier vers (au bleu de la croisée où tu filais la laine) — qui l'inscrit dans la durée, aumoment où il marque aussi sa disparition.

Cette histoire tient encore entre le moment où le jour éclaire encore (lebleu de la croisée) et le mouvement qui fait mourir le jour (le dernier arbre brûle) ; entre l'instant del'assoupissement et la langueur mortelle de la fin (tu crois languir....tu es éteinte).

Elle tient enfin dans la lenteurd'un rythme qui étire les vers et le temps, d'un rythme qui est celui de l'endormissement, et dont seul le souffle qu'ilfaut reprendre pour lire vient rompre le déroulement sans heurts : pendant les six premières strophes d'un poème quin'en a que huit, il est presque impossible de marquer nettement une coupe, même lorsque la ponctuation paraît yinviter : l'effet est alors cassé par les e muets qui empêchent d'entendre vraiment la coupe : chevelure, à sesdoigts/ elle songe, et sa tête/une tige, où/magnifique, au vieux rouet/ou, un vers qui est tout entier fluide : « Lesonge se dévide avec une paresse ».

L'abondance des rejets (câline chevelure; arrose de ses pertes de fleurs;l'ombre frêle se tresse au fil de ses doigts longs; avec une paresse angélique); la constance des rimes féminines(pas une rime masculine, les rimes vont trois par trois mais d'une façon emmêlée : a/b/a/b/c/b/c/d) et leurentrecroisement surtout empêche toute pause; le découpage strophique rend impossible tout découpage narratif; ilest impossible de s'arrêter et le poème se dévide comme le fil de la fileuse. D'elle on ne saura rien : rien de son âge (seule la version de la Conque permet de deviner qu'elle est jeune : «parfument l'enfant vague au vent de leur haleine ») ; rien de sa condition : est-elle femme ou jeune fille (une foisencore, la version définitive a obscurci ce qui, dans le premier texte, était clair); rien de ce qu'elle pense, rien de ceà quoi elle songe et qui pourtant remplit tout le poème, qui se dévide comme le songe, durant autant que peut durerla laine et s'effaçant quand la quenouille est vide.

Rien même de son visage : réduite à des objets qui sont signesd'elle-même, puisqu'ils sont les signes de sa fonction (le rouet et le fuseau, la chevelure et la laine), la femme quifile jamais n'est décrite.

Physiquement, elle ne sera rien d'autre que cette tête petite, ces doigts longs, ce frontvague.

Son être est un être de griserie (dès la première strophe elle échappe au monde réel), un être de sommeil,un être de songe, un être de langueur.

La fileuse tire son être d'une existence fugitive, fragile, à mi-chemin entre lemonde (la croisée, le jardin) et le songe, qui est peut-être songe d'oubli et songe de mort, songe qui permet derefuser la vie.

Cette fois premier et dernier s'accordent : belle au bois dormant ou jeune parque, la fileuse n'a. »

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