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[La guerre] CANDIDE DE VOLTAIRE (lecture analytique du chapitre III)

Publié le 05/07/2011

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Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque. Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum, chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin; il était en cendres; c'était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes; là des filles, éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers soupirs; d'autres, à demi brûlées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés. Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : 30 il appartenait à des Bulgares; et les héros abares l'avaient traité de même.

Après avoir été chassé du «paradis« de Thunder-ten-tronckh, Candide est enrôlé dans l'armée bulgare. Au début du chapitre III, il assiste à une bataille à laquelle il ne comprend rien. Composition et mouvement La composition de ce texte oppose deux images de la guerre. Dans le premier paragraphe, Candide ¿a considère avec ses préjugés philosophiques : elle lui semble un jeu séduisant qui confirme ses théories. Mais bientôt, dans la deuxième partie du passage, il en découvre la réalité concrète et absurde. Le bel ordre initial fait alors place au chaos. Les vérités auxquelles croyait le héros sont brutalement remises en question.

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« • La réalité horrible de la guerre (l.

14 à 31)La deuxième partie du passage contraste avec le début : à l'ordre et à l'élégance («Rien n'était si beau...») succèdeune impression de dislocation et de chaos.

Voltaire commence par s'en prendre à la religion qui sert ici delégitimation aux atrocités dont se rendent coupables les rois.

Le «Te Deum» [chant d'action de grâces rendues àDieu pour le remercier] est chanté en même temps dans les deux camps après la bataille (l.

15) : cela prouve, pourVoltaire, que la religion n'est pas digne de foi puisqu'elle se fait partout complice de l'infamie; elle apporte en outreune caution facile à toutes les horreurs de la guerre, en les replaçant dans la logique d'une intention divine.Candide, qui ne comprend rien, prend «le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes» (l.

15-16).

«Allerraisonner ailleurs» est un euphémisme, une manière polie, mais aussi moqueuse, de dire qu'il déserte; quant àl'expression «des effets et des causes», elle appartient encore au langage de Leibniz et de Pangloss qui prétendentmalgré les évidences donner une cause logique et acceptable au mal et à la guerre.Commence alors un tableau réaliste qui va remettre en question la belle assurance du jeune homme.

Les deuxarmées ont rompu leur ordre initial pour laisser place à «des tas de morts et de mourants» (l.

17).

Puis Candidearrive chez les civils et découvre l'horreur.

Voltaire critique au passage, avec l'expression ironique «selon les lois dudroit public» (l.

20), une idée courante à son époque : la guerre était considérée par certains comme un droitjustifiant les massacres de civils.

Il évoque alors successivement tous ceux qui, sans défense, pâtissent de la guerre: vieillards, femmes, enfants, jeunes filles (l.

20 à28).

A leur sujet, il accumule, d'une façon macabre, des détails crus et anatomiques : «cervelles répandues» (l.27),«bras et jambes coupés» (l.

27-28); par leur pathétique, il suscite chez le lecteur un sentiment d'indignation etde pitié.

La rime en «é» des participes passés rythme l'horreur : «criblés» (l.

21), «égorgées» (l.

22), «éventrées» (l.23), «brûlées» (l.

25).En découvrant ce monde qui ne répond pas à ses préjugés, Candide prend la fuite.

Dans l'autre camp, il rencontreles mêmes atrocités (l.

29).

La rime en «-ares», dans les noms Abares et Bulgares, souligne la symétrie etl'universalité de la cruauté.

Voltaire revient en outre sur la dénonciation des prétendus «héros» guerriers (l.

24 et l.30) qui affirment leur pouvoir sur des gens sans défense. Conclusion Ce texte est une célèbre satire de la guerre.

Pour cela, Voltaire utilise l'ironie, en faisant semblant, au début dutexte, d'adopter le point de vue de Candide qui voit la bataille en philosophe.

Il a recours aussi au réalisme : àl'harmonie initiale s'oppose ensuite un spectacle d'épouvante.

On retrouve dans ce contraste la démarchefondamentale du livre : détruire la vision optimiste de Candide et de Pangloss, mais aussi ruiner les fausses valeurscomme l'héroïsme guerrier.

Le conte et la fiction collaborent ainsi au mouvement des Lumières qui dénoncent laguerre comme une barbarie contraire au progrès de la civilisation.. »

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