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La Hontan, Louis Armand de Lom d'Arce, baron de (1666-1716), DIALOGUE DE M. LE BARON DE LA HONTAN ET D'UN SAUVAGE DE L'AMÉRIQUE

Publié le 25/09/2010

Extrait du document

 

Dialogue de M. le baron de La Hontan et d'un sauvage de l'Amérique

O quel genre d'hommes sont les Européens ! 0 quelle sorte de créatures ! qui font le bien par force et n'évitent à faire le mal que par la crainte des châtiments? Si je te demandais ce que c'est qu'un homme, tu me répondrais que c'est un Français, et moi je te prouverai que c'est plutôt un castor. Car un homme n'est pas homme à cause qu'il est planté droit sur ses deux pieds, qu'il sait lire et écrire, et qu'il a mille autres industries. J'appelle un homme celui qui a un penchant naturel à faire le bien et qui ne songe jamais à faire du mal. Tu vois bien que nous n'avons point des juges ; pourquoi ? parce que nous n'avons point de querelles ni de procès. Mais pourquoi n'avons-nous pas de procès? C'est parce que nous ne voulons point recevoir ni connaître l'argent. Pourquoi est-ce que nous ne voulons pas admettre cet argent? C'est parce que nous ne voulons pas de lois, et que depuis que le monde est monde nos pères ont vécu sans cela. Au reste, il est faux, comme je vous l'ai déjà dit, que le mot de lois signifie parmi vous les choses justes et raisonnables, puisque les riches s'en moquent et qu'il n'y a que les malheureux qui les suivent. Venons donc à ces lois ou choses raisonnables. Il y a cinquante ans que les gouverneurs du Canada prétendent que nous soyons sous les lois de leur grand capitaine. Nous nous contentons de nier notre dépendance de tout autre que du grand Esprit ; nous sommes nés libres et frères unis, aussi grands maîtres les uns que les autres ; au lieu que vous êtes tous des esclaves d'un seul homme. Si nous ne répondons pas que nous prétendons que tous les Français dépendent de nous, c'est que nous voulons éviter des querelles. Car sur quel droit et sur quelle autorité fondent-ils cette prétention? Est-ce que nous nous sommes vendus à ce grand capitaine ? Avons-nous été en France vous chercher ? C'est vous qui êtes venus ici nous trouver. Qui vous a donné tous les pays que vous habitez ? De quel droit les possédez-vous? Ils appartiennent aux Algonkins depuis toujours. Ma foi, mon cher frère, je te plains dans l'âme. Crois-moi fais-toi Huron. Car je vois la différence de ma condition à la tienne. Je suis maître de mon corps, je dispose de moi-même, je fais ce que je veux, je suis le premier et le dernier de ma nation : je ne crains personne et ne dépends uniquement que du grand Esprit. Au lieu que ton corps et ta vie dépendant de ton grand capitaine ; son vice-roi dispose de toi, tu ne fais pas ce que tu veux, tu crains voleur, faux témoins, assassins, etc. Tu dépends de mille gens que les emplois ont mis au-dessus de toi. Est-il vrai ou non? sont-ce des choses improbables et invisibles? Ha ! mon cher frère, tu vois bien que j'ai raison ; cependant, tu aimes encore mieux être esclave français, que libre huron. O le bel homme qu'un Français avec ses belles lois, qui croyant être bien sage est assurément bien fou ! puisqu'il demeure dans l'esclavage et dans la dépendance, pendant que les animaux eux-mêmes jouissant de cette adorable liberté, ne craignent, comme nous, que des ennemis étrangers.

 

Dans ses Dialogues, Lahontan prétend rapporter le dialogue qu'il aurait noué avec un Indien du Canada. Sous le couvert de cette conversation, il exprime sa propre critique de la société française, qu'il fait assumer au « sauvage «, nommé Adario. Voici un extrait d'une intervention de cet Indien :

 

I. Questions

1. Quelle est la thèse d'Adario sur l'homme ? Quels en sont les présupposés implicites ? Définissez sa forme grammaticale. 2. Suivez la progression de sa démonstration en relevant tous les connecteurs logiques. 3. Quelles sont les formulations affectives les plus utilisées dans ce texte ? Relevez toutes les occurrences et justifiez-les avec cohérence en vous référant aux figures d'énonciation que vous connaissez.

II. Travaux d'écriture

1. Dans cet extrait, Adario mène, à partir de son point de vue d'Indien, une critique de la société française. Précisez la teneur de cette remise en cause. Appréciez-en la pertinence en une quarantaine de lignes. 2. Adario affirme : «Nous ne voulons pas de lois. « En une trentaine de lignes, nuancez son point de vue. 3. Et vous, aimeriez-vous vous faire Huron ? Expliquez votre point de vue en vingt lignes environ.

 

« terme, est naturellement porté à agir selon la loi morale.

Il n'a pas besoin d'être éduqué pour cela.

Ainsi s'explique lasupériorité des « sauvages » sur les prétendus civilisés, qui, en fait, dénaturent l'homme au nom de fausses valeurs.Ce présupposé de la vertu naturelle de l'homme se retrouve chez la plupart des philosophes des Lumières.Montesquieu et, surtout, Rousseau sont connus pour avoir défendu le point de vue d'une moralité innée chezl'homme.

Le premier parle de « vertu civique », qui inciterait à privilégier l'intérêt commun au bien personnel.

Quantau second, il fonde toute sa vision du monde sur l'idée que la société pervertit l'homme, naturellement bon et enclinà une pitié naturelle pour son semblable.

Cependant, Voltaire, lui, adopte une position plus nuancée et estime qu'ilfaut établir un savant équilibre entre les bienfaits de la civilisation et les apports de la nature.Notons encore qu'Adario se moque de la limitation du point de vue manifestée par son interlocuteur : « Si je tedemandais ce que c'est qu'un homme, tu me répondrais que c'est un Français » (l.

3 à l.

5) — aujourd'hui, onparlerait de l'ethnocentrisme du Français.

Adario, lui, propose une formule gnomique (caractérisée par le présent àvaleur intemporelle et des déterminants définis, article défini ou pronom démonstratif) valable universellement et nonpas soumise à la représentation sociale que l'on peut élaborer de l'homme. Question 2: Suivez la progression de la démonstration en relevant tous les connecteurs logiques. • Le discours d'Adario est très organisé et suit un progression logique fort claire.La première phase, dialectique, intègre le point de vue de l'interlocuteur : le « sauvage » commence par poser unconstat empirique : les Français sont contraints de se donner des lois pour faire le bien par force.

Pratiquantl'asyndète (= absence volontaire d'éléments de liaison) pour accentuer son effet (l.

3), il enchaîne sur ladisqualification du point de vue supposé de l'interlocuteur ; Adario critique l'ethnocentrisme du Français et, pour ledéstabiliser, devance son intervention en la ridiculisant : « et moi je te prouverais que c'est plutôt un castor » (l.

5-6), voilà un exemple de persiflage (ou de moquerie badine).

Ensuite, la conjonction de coordination « Car » introduitla raison de la remise en cause critique : « un homme n'est pas homme », nous avons là un distinguo (oucomparaison négative) fondé sur une fausse tautologie (puisque le second « homme » désigne la nature humainedans l'abstrait alors que le premier « homme » renvoie à un individu quelconque).

Puis vient l'énoncé de la définitionavancée par Adario.Cette définition lance la deuxième phase du discours, proprement polémique, autrement dit le processusdémonstratif.

Celui-ci s'élabore toujours de manière dialectique, puisqu'il demeure soutenu par une opposition entreles pratiques des Hurons et celles des Français mais il se développe en deux temps.

D'abord, il analyse lecomportement des « sauvages » et produit un processus causal appuyé par la reprise de l'adverbe interrogatif «pourquoi ».

Adario remonte du plus visible au moins évident : sa démonstration s'amorce sur un nouvel appel àl'évidence (« Tu vois bien que nous n'avons point desjuges », l.

10-11) et procède à une série de questions suivies de réponses articulées sur la reprise des termessignifiants : « pourquoi? parce que nous n'avons point de querelles ni de procès.

Mais pourquoi n'avons-nous pas deprocès? C'est parce que nous ne voulons point recevoir ni connaître l'argent.

Pourquoi [...] C'est parce que...

» (l.11-14).

Ce faisant, Adario remonte des effets aux causes véritables de l'aliénation témoignée par les Français :l'argent est la cause de tous les maux.

C'est lui qui perturbe les relations naturelles et incite les individus à identifierle modèle idéal de comportement avec leur propre culture, en fait une civilisation fondée sur l'appropriation desbiens.Ainsi s'impose la remise en question radicale de la notion même de loi, introduite par la locution adverbialed'opposition « Au reste » : « Au reste il est faux » (l.

18).

Nous passons donc à une attaque directe de la positionde l'interlocuteur avec une prise à partie claire et une explication simple amenée par la conjonction de subordinationà valeur causale « puisque ».

La loi française n'est pas appliquée par tous : il existe une discrimination passant parl'argent.

Ensuite, le discours s'intéresse à la relation entre la définition théorique des lois, ou « choses raisonnables »et son démenti dans la pratique.

« Venons donc à ces lois » (l.

21).

Il s'oriente sur l'exploitation de l'incompatibilitédes positions soutenues par les Hurons et les Français : ceux-ci prétendent asservir ceux-là non pas à leursprétendues lois mais à l'autorité de leur roi (« au lieu que » : connecteur logique introduisant une opposition).

Adariodénonce le caractère illégitime de cette prétention : « Car...

» précise l'absence de fondement de cette entreprisecoloniale qui se réduit à une pure et simple appropriation du bien d'autrui.

Nous aboutissons à une contradictiondans les termes puisque c'est au nom de la loi, juste et raisonnable, que les Français commettent des exactionstotalement illégales. A partir de l'apostrophe « Ma foi, mon cher frère » (l.

37), Adario personnalise son discours : il s'adresse directementà son interlocuteur pour l'inciter à se faire Huron et il lui fournit une série d'arguments convaincants introduits par laconjonction de coordination « car ».

Le « sauvage » se définit comme un homme libre, indépendant et égal à tousles autres de son peuple.

Il s'oppose (« Au lieu que », 1.

43) à l'Européen, qui, lui, entre dans de constants rapportsde dépendance.

Adario en appelle encore à l'évidence : «Est-il vrai ou non? » et souligne la contradiction logique («cependant », adverbe d'opposition) pour aboutir à un paradoxe : « croyant être bien sage est assurément bien fou» (l.

51- 52).Question 3: Quelles sont les formulations affectives les plus utilisées dans ce texte ? Relevez toutes les occurrenceset justifiez-les avec cohérence en vous référant aux figures d'énonciation que vous connaissez.• Les tournures affectives les plus utilisées dans ce texte sont l'interrogation et l'exclamation.

Elles témoignent de laprésence de l'implication directe d'Adario dans son propos et elles rendent compte de la prise à partie de soninterlocuteur.

Comme telles, elles constituent autant de marques de l'énonciation.Relevons les occurrences des exclamations : « O quel genre d'hommes sont les Européens ! » (l.

1), « 0 quelle sortede créatures ! » (l.

1-2), «0 le bel homme qu'un Français avec ses belles lois, qui croyant être bien sage estassurément bien fou ! » (l.

50-52). »

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