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La littérature est-elle un anti-destin?

Publié le 17/01/2022

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"Eh bien moi, je ne veux pas accepter cette situation". Cette déclaration que Bérenger effectue dans l'Acte III de Rhinocéros de Ionesco, chacun d'entre nous l'effectue dans son for intérieur à un moment de son existence, quand nous nous laissons envahir par le sentiment que nous ne sommes pas maîtres de notre vie, de notre avenir. Néanmoins, tout en nous sentant marionnettes de ce que les latins appelaient le fatum, le destin,et tout en ayant le désir, aussi fort soit-il, de ne pas plier, sommes-nous capables de trouver les ressources pour résister? Il semble que ce soit plutôt en voyant Bérenger crier "Je ne capitule pas!" à la fin de la pièce qu'une sorte de courage s'empare de nous.Ce serait donc l'attitude même du personnage qui nous procure le sentiment que nous sommes nous aussi en train de lutter contre des éléments nous dépassant. La littérature apparaît donc comme une sorte d' élixir de jouvence nous permettant d'échapper au joug de notre destin. Nous pouvons ainsi nous questionner sur ce point: dans quoi réside cette force apparente de la littérature? C'est ce à quoi nous allons nous intéresser, en étudiant les différents outils que celle-ci met à notre disposition dans notre tentative de lutte et de compréhension du destin.

« la mort elle-même".

En couchant cette pensée sur le papier, le poète la considère comme devenant une réalitésur laquelle il peut se reposer, lui procurant ainsi l'espoir nécessaire, dans sa situation, à la survie.

Ceci est parailleurs aussi le cas lorsqu'il écrit, dans le poème LXX: " Et l'absence après tout n'est rien lorsque l'on s'aime".Grâce à ce poème , l'auteur invente un nouveau cadre de vie dans lequel les distances sont annihilées,inexistantes, dans lequel il réussit à sentir la présence de celle qu'il aime, sans se soucier de la séparation réellequi existe entre eux. Néanmoins, à ces notions temporelles que nous avons évoquées en montrant à quel point la littératurepermettait de les combattre est nécessairement liée la notion de changement de notre être.

La littérature a-t-elleles moyens de nous permettre de redevenir celui que nous étions, voire de changer totalement de peau? Il sembleque ce soit le cas... Nous avançons avec le temps, notre personnalité change, de même que nos idées,que notre vision dumonde dans lequel nous évoluons.

ceci est naturellement douloureux à accepter, et ce pour au moins deuxraisons: nous regrettons certaines époques de notre vie, telle que l'enfance par exemple, et avons de plus en plusde mal à changer de point de vue, nous tendons de plus en plus à nous en tenir à ce que nous savons, à ce quenous avons soutenu auparavant, sans que nous ne puissions y faire quoi que ce soit, du fait de la difficulté quecela représenterait si nous étions seuls à tenter de changer notre mode de pensée.

Néanmoins, nous possédonscet outil précieux qu'est la littérature, comme nous pouvons l'apercevoir dans cette oeuvre aux multiples niveauxde lecture: Le Petit Prince, d'Antoine de de Saint Exupéry.

dans cette oeuvre, le lecteur est grandement incité àchanger son point de vue sur le monde, à retrouver celui qu'il avait dans son enfance, au moins durant le tempsde la lecture.

ceci est suggéré entre autres en deux endroits de la préface:" je demande pardon aux enfantsd'avoir dédié ce livre à une grande personne." ceci nous incite à nous-mêmes nous considérer comme un enfant,et à adopter , au moins momentanément, le point de vue selon lequel les " grandes personnes" sontméprisables,"étranges", comme le dira le Petit Prince.

de plus, Saint Exupéry écrit:" Toutes les grandes personnesont d'abord été des enfants.(Mais peu d'entre elles s'en souviennent.)" Nous sommes donc invités à effectuer unesorte d'introspection, de questionnement sur cette occultation de notre enfance, ce qui nous mèneirrémédiablement à nous revoir lorsque nous en étions à cette période de notre vie, tout ceci étant accentué parla fascination artistique offerte par le récit.

Nous sommes donc invités à pénétrer dans cette histoire, enchangeant d'état d'esprit, ce qui peut alors nous mener à changer notre vision des choses de manière durable.Ainsi, ce genre de livres réussit à faire face à l'immuabilité supposée de notre être et de nos points de vue sur lemonde, chose qu'en tant normal nous aurions sûrement considérée comme futile de tenter.

Il nous permet de plusde retrouver celui que nous étions, contrecarrant ainsi le changement inévitable et irréversible de notrepersonne.Néanmoins, la littérature peut aller plus loin, et aller même jusqu'à nous faire devenir un tout autreindividu... "Ton affaire, c'est de jouer correctement le personnage qui t'a été confié; quant à le choisir, c'est celle d'unautre" affirmait le philosophe stoïcien Epictète.

Nous pouvons aisément considérer que l'effet de la littératurecontredit fortement cette vision.

Pour le romancier en particulier, la création de sa fiction nécessite unengagement extrêmement fort dans son récit, dans ses personnages.

Il faut qu'il visualise totalement lecomportement et le mode de pensées de chacun des intervenants de son roman afin de les rendre aussipersuasifs et captivants que possible.

Comme l'a dit Gustave Flaubert, en parlant de son roman Madame Bovary: "Bovary, c'est moi!" Il en est donc arrivé à un tel niveau d'investissement dans son ouvrage qu'il réussit à incarnerses personnages, à en être habité.

ceci montre bien que l'écriture permet de pénétrer dans le monde que nouscrééons, de générer une sorte d'osmose entre notre être et le personnage que nous inventons de sorte à seconfondre avec lui.

cette fusion avec le monde fictif est de même visible du côté du lecteur, comme le montre lepersonnage même d'Emma Bovary.

Aant subi une forte désillusion lors de son marriage, Emma Bovary se réfugiedans les romans d'amour, ne vit que par leurs " soupirs au clair de lune, les longues étreintes, les larmes quicoulent sur les mains", comme il est écrit dans le chapitre IX de la première partie.

C'est ainsi qu'elle devientheureuse, qu'elle se sent vivante, qu'elle réussit à échapper à " la fatalité", notion particulièrement présente dansle roman.

Ainsi, l'attachement à la fiction des livres nous aide clairement à nous procurer un sentiment de luttecontre notre condition, contre notre destin.

Néanmoins, la littérature comporte un danger dans lequel il estparticulièrement dangereux de tomber: celui d'un attachement trop profond aux mondes qu'elle génère, d'ychercher plus qu'un refuge, un lieu de deuxième vie.

Ceci ne peut que être destructeur, dans le sens où nesommes plus capables de séparer l'illusion de la réalité..." Quant au reste du monde, il était perdu, sans placeprécise et comme inexistant", voici la vision qu'Emma Bovary possède du monde, du réel.

Elle devient donc ,contrairement à ce qu'elle espère, incapable d'évoluer! Elle devient prisonnière de ses romans, ne sait pas sortirdu monde des romans quand elles ferme ces derniers.

La littérature devient alors un ennemi à la réalisation d'undestin , dans la mesure où elle lui ferme totalement les yeux sur les opportunités relationnelles qui lui sontoffertes, sur la vie heureuse qu'elle aurait pu avoir... Ainsi, il est clair que la littérature, en contrant les notions temporelles et spatiales qui délimitent mon existence,a un extraordinaire rôle dans ma lutte contre le destin.

Certes.

néanmoins, remettre son entière existence entreles mains de cet art détermine une nouvelle existence que nous n'aurions pas nécessairement souhaité...Celasuggère qu'afin de pouvoir être maître de notre vie, nous devrions considérer la littérature sous un autre angle ,et la voir plutôt comme un indicateur, comme un moyen d'avoir un regard exterieur sur nous-mêmes, et de pouvoiren tirer les conséquences.. »

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