La littérature latine
Publié le 10/11/2018
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LA PHILOSOPHIE LATINE EXISTE-T-ELLE?
Les Romains s'intéressent aux mœurs, mais les secrets du monde les indiffèrent : il n'existe pas de métaphysique romaine, et les philosophes qui écrivent en latin, avant saint Augustin, s'inspirent largement de deux écoles grecques, l'épicurisme et le stoïcisme. Toutes deux sont des matérialismes, toutes deux débouchent sur un art de vivre privilégiant la mesure et la satisfaction du corps. Cicéron et Lucrèce, au siècle d'Auguste, ont respectivement illustré le stoïcisme et L'épicurisme, le premier dans ses traités, le second dans
De la nature. Sénèque le philosophe apparaît comme un commentateur plus qu'un créateur, plus soucieux de donner des recettes pratiques que de renouveler les concepts. L'empereur MarcAurèle, enfin, donnera des Pensées pour moi-même, au titre paradoxal, puisque c’est sans doute l'une des rares œuvres de littérature latine à conserver aujourd'hui de nombreux lecteurs.
Les premiers Romains cultivent des qualités fort éloignées du monde un peu léger, à leurs yeux, de la littérature. C'est un plaisir qu'on laisse volontiers aux Grecs, ce peuple amolli par la civilisation : un citoyen digne de ce nom se consacre à ses terres, à la cité et à la guerre. Or, ce sont précisément ses succès militaires qui vont amener Rome à considérer les arts d'un œil différent Après la prise de Tarente, en 272 av. J.-C., des milliers d'esclaves grecs arrivent dans les maisons des patriciens. Cultivés et raffinés, ils
imposent rapidement leur goût des /eftes, et une littérature latine se forme bientôt reprenant les genres et les règles de la grecque. Les Romains ne sont pas de simples imitateurs : dans les domaines qui leur tiennent le plus à cœur, l'histoire, la politique et la morale, ils se révèlent d'admirables stylistes, et savent donner à leurs œuvres les plus originales le ton martial et un peu rude, la saveur âpre de la Rome originelle. Mais ils apprennent des Grecs l'harmonie, la douceur, un certain goût du plaisir, enfin, qui est l'autre face de la littérature latine.
L'indignation vertueuse de Cicéron répond ainsi à la sérénité d'Horace, comme la morale cinglante de Juvénal fait écho aux douceurs raffinées d'Ovide.
DES DÉBUTS TARDIFS
C'est en 240, un peu moins de trente ans après la prise de Tarente, qu'est composée la première tragédie latine. Cette œuvre anonyme, apparemment imitée
«
d'équivalent
latin de ce que furent
L'lfiade et L'Odyssée pour la Grèce.
De la même façon, ses Géorgiques
(39-29) répondent à une demande
d'Auguste, qui souhaite voir les Romains
se réconcilier avec la vie traditionnelle,
celle de la campagne.
C'est sans doute
dans une œuvre de jeunesse, les
Bucoliques (42-39),
que Virgile se
dévoile le plus, en
célébrant la vie
pastorale de son
enfance avec des
images que
reprendront des générations de poètes
jusqu'à aujourd'hui.
H ORA CE
HortiCe (65-8) donne vers la même
époque des Satires
et des Épodes qui
lui valent l'amitié
de Virgile; son
chef-d'œuvre reste
pourtant les Odes
qu'il compose
jusqu'à sa mort.
La
célébration lyrique
du monde s'y
�iiri,..r....l� donne à lire dans
une langue aussi élégante que pure :
le latin, dit-on, trouve sa perfection avec
Horace, qui pousse la simplicité romaine
jusqu'à un raffinement et une
délicatesse sans égal.
Il cultive dans ses
œuvres l'Idéal d'une vie retirée, partagée
entre l'amitié et les plaisirs simples de
la campagne.
Un fond profondément
romain se rencontre chez lui avec la
tradition grecque de l'épicurisme; de
lai� alors que ses prédécesseurs étaient
partagés entre l'imitation des Grecs et
le choix de genres plus spécifiquement
romains, Horace est sans doute le
premier à réunir les deux fils de la
littérature latine.
LES MŒURS EN DÉCADENCE
LES tltGIES
Le nom de son ami Tibulle (50-19) est
souvent associé à celui de Properce
(47-15), pour la délicatesse et le
raffinement de leurs élégies.
t:un et
l'autre, pourtant, reviennent à une
tradition grecque marquée par la
complexité du vers, l'ellipse, le goût des
formes rares.
Le vers latin, avec eux,
atteint la souplesse et le raffinement
de la poésie grecque, comme pour
suggérer que la république, devenue
empire, a désormais les mœurs plus
relâchées et les façons moins viriles.
t:Orient conquis, le risque n'est-il pas
de s'amollir à son contact?
Tm·LIVE
Tite-Live (59-17) entame certes à cette
époque sa monumentale Histoire de
Rome, qu'il n'achèvera jamais :cette
entreprise d'idéalisation de la nation
romaine, n'hésitant pas à déformer la vérité
historique pour accentuer sa
signification morale, représente une
tentative magistrale d'imposer un
certain idéal de vie, exaltant la vertu,
les mœurs et le courage.
OVIDE n PtTIIONE
Mais les temps changen� et l'on peut
bien exiler Ovide (43-18), on
n'empêchera pas les Romains de se
jeter sur son Art d'aimer.
Avec les même
époque, tente lui aussi de
conjurer la décadence des mœurs en
relançant le genre grec de la fable, jadis
illustré par Ësope.
Mais, comme pour
Sénèque, le succès de ses œuvres
n'empêche pas l'histoire de s'écrire.
Rome entre en décadence, et les
écrivains qui continuent à se faire les
champions de la morale deviennent
de plus en plus violents, ce qui atteste
la profondeur de leur dégoût mais aussi
leur impuissance.
LA SATIRE
Perse (34-62) puis Juvénal (60-130)
vont ainsi pousser à la perfection un
genre pratiqué avec mesure par
Horace, la satire.
Le sens moderne de
ce terme, qui insiste sur la drôlerie, ne
rend pas l'agressivité qui le caractérise
dans l'Antiquité : Perse et Juvénal
manient l'invective et l'image blessante
avec une virulence presque sans
équivalent dans la littérature moderne,
sinon peut-être chez les grands
pamphlétaires comme Courier ou
Céline.
Leurs vers brutaux jouent des
images les plus dégradantes, d'une
ironie sans limite, pour attaquer des
figures derrière lesquelles on peut
parfois reconnaître un puissant.
Juvénal
connaîtra plus d'une fois la disgrâce,
et ce n'est pas un hasard s'il achève sa
carrière en exil.
Métamorphoses,
il donne enfin à
Rome son grand récit mythologique,
prenant le relais de la très ancienne
Théogonie d'Hésiode, le contemporain
d'Homère.
Ovide, cependant, est bien
loin de la religion naïve de son lointain
prédécesseur : il privilégie toujours la
dimension érotique, et il insiste
davantage sur le romanesque et ses
surprises que sur l'enseignement moral
que l'on pourrait tirer de ses histoires.
Tout aussi scandaleu �pparaît l'œuvre
de Pétrone (?-66), un ami de Néron,
r--------------1 UNE
UTTtRATURE MORALE
Martial (40-104), quant à lui, ne donne
pas des satires, mais des Épigrammes
dont le style cru et vif dénonce les
mœurs de son époque sans craindre
les allusions à demi déguisées.
Il existe
ainsi dans les deux premiers siècles
de notre ère une littérature morale
extrêmement vive, qui est peut-être ce
que Rome a donné de meilleur, et en
tout cas de plus conforme à son génie :
ce sont des écritures de guerre que
les œuvres de Martial, Perse, Juvénal.
Une guerre morale, une guerre contre
l'histoire, aussi :de celles qu'on ne
saurait gagner, mais où l'on peut
s'Illustrer par son audace.
L'Â GE DE
L'HISTOIRE
Alors que Tite-Live avait fait du récit
historique un instrument de la grandeur
de Rome, ses successeurs sont du
même bois que les poètes leurs
contemporains.
T Acm n SutroNE
Tacite (55-120) donne avec ses
(115-117)
sans de la
dont le Satiricon reprend le genre grec
LA unÉRATURE SCIENTIFIQUE raccourci
saisissan� il met son style au du roman pour conter, entre vers et ET TECHNIQUE service d'une vision de l'histoire teintée
prose, une histoire fort leste qui fera de
pessimisme.
date : Pétrone y décrit les mœurs Grands juristes, les Romains se sont
Suétone (69-126) n'a sans doute pas
dissolues de son époque, sans jamais également
distingués par leurs talents la
même ampleur de vue, et sa Vie des
se demander s'il faut ou non les
dans le domaine des sciences
douze césars est plus une collection
condamner.
Ce réalisme nouveau, cette appliquées.
Si la métaphysique et la
d'anecdotes qu'une interprétation
absence de morale fondent une physique
ne progressent guère au historique; elle n'en reste pas moins fort
tradition romanesque qui sera à la temps
où Rome domine le monde, la éclairante quant à l'exercice du pouvoir
source des chefs-d'œuvre modernes,
médecine et les techniques connaissent dans la Rome impériale.
jusqu'à Proust et au-delà.
Mais, à Rome,
en revanche un
le roman fait scandale, tout autant pour développement
le spectacle qu'il montre que pour son remarquable.
refus inconcevable de prendre parti.
Le
médecin
Car la littérature reste, pour beaucoup, Celse,
au siècle
indissociable des mœurs : de la même d'Auguste,
laisse
façon que l'éthique d'un orateur est un Art de la
indispensable à la crédibilité de son médecine qui
discours, une œuvre qui ne se fera
autorité
légitimerait pas par sa vocation morale pendant des siècles, au même titre que
est d'une certaine façon aberrante.
les
traités de Galien (131-202), 1e
LES GARDIENS DE LA MORALE
StNÈQUE
C'est cette tradition morale que tente
de faire vivre Sénèque le philosophe
un héritier
i du
son
i Lucilius,
renouvelle le genre tragique avec
Médée : passion, immoralité et folie
s'y nouent dans une transe que l'on
désigne en latin sous le nom de furor.
Mais le chef-d'œuvre de Sénèque,
c'est un personnage de chair et de
sang : Néron, son élève, qui lui
demandera pour finir de se suicider.
L UCAI N n PHÈDRE
Lucain (39-65) connaîtra le même sort;
l'auteur de la Pharsale, un récit en vers
du conflit qui opposa César à Pompée,
est impliqué dans une conspiration
et doit s'ouvrir les veines.
t:ancien esclave Phèdre (15-50), à la créateur
de la théorie des humeurs.
Pline l'Ancien (23-79) donne une
gigantesque Histoire llllfllrtllt, dont
les 37 livres font le tour des
connaissances des Anciens.
À la même
époque, enfin, Vitruve donne
un Traité d'architecture qui est le seul
ouvrage théorique consacré à cet art
dans l'Antiquité et qui fera autorité
jusqu'au XIX' siècle.
PLINE
LE JEUNE
Le règne de Trajan, au début du
1� siècle, apparaît comme une brève
saluée par
protégé Pline
Jeune (61-114)
le début
nouvelle
(POJ1é OIIfiOLJe de
vers 110).
même auteur,
on peut également
citer les Lettres, destinées à être lues en
public, où il dépeint la société romaine
de son temps.
Le dernier historien notable est Dion
Cassius (155-235), après qui le genre
s'éteint doucement La capacité des
Suétone, Tacite et autres Pline le Jeune
à rendre compte de la réalité de leur
époque n'empêche pas en effet la
sévère concurrence du roman, cette
forme peu prisée des lettrés mais fort
goûtée du public.
LE ROMAN
On doit à Apulée (125-180) l'un des
chefs-d'œuvre du genre romanesque,
L'Âne d'or ou les Métamorphoses
(à ne pas confondre avec celles
d'Ovide).
Transformé en âne, le héros
traverse une série d'aventures
rocambolesques qui lui permettent de
décrire au plus près l'envers du décor,
ce que tout le monde sait mais que
personne ne dit : une écriture émerge,
ici, qui devra attendre l'Espagne du
Siècle d'or pour renaître et conquérir
le monde.
ÉCRIVAINS
CHRÉTIENS
Dans une Rome décadente où le centre
de la vie intellectuelle se déplace peu à
peu du monde païen au monde
chrétien, l'heure n'est plus au roman.
Parmi les grands écrivains latins de l'ère
chrétienne, on citera d'abord les
apologistes comme Tertullien (155-220)
et Lactance (260-325), combattants
infatigables d'une religion encore en
butte à la suspicion et à la persécution.
Reprenant la veine polémique d'un
Juvénal ou d'un Tacite, ils usent de tous
les ressorts de la langue latine pour
imposer leur foi dans la Rome officielle,
celle des lettrés et des patriciens.
LES PhES DE L'ÉGLISE
Viennent ensuite ceux que l'on nomme
les Pères de l'Église, parce qu'à une
époque où les hérésies se multiplient
et où la chrétienté est menacée
d'éclatemen� ils contribuent à imposer
un canon strict Stlint Ambroise (339-
Sllint Jérôme (347-420), qui travaille
toute sa vie à traduire la Bible en latin;
la traduction grecque des Septante, plus
ancienne, faisait jusque-là autorité, mais
la traduction de Jérôme contribue à
recentrer l'Église sur le monde romain.
SAINT AUGUSTIN
Saint Augustin (354-430), philosophe
de première importanc e, est aussi un
polémiste de talen� combattant tour
à tour divers hérésiarques avant de
donner son grand œuvre.
Les chrétiens
ayant été rendus responsables du sac
de Rome par les soldats d'Alaric en 410,
il répond à la rumeur avec La Cité de
Dieu, dans laquelle il pose le principe
devenu proverbial de «rendre à César
ce qui est à César, et à Dieu ce qui est
à Dieu» .
..--
--.- ..... ...
Avec Augustin,
le latin - qui était
surtout jusque-là
une langue
littéraire -devient
une langue
phi lo sophique et
'�
IJit1 M!I Uthéologique , la ----....:.--'première devant
le grec.
C'est sous cette forme qu'il va
survivre au Moyen Âge, quand il ne
sera plus parlé que par les clercs..
»
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