LA MER (1936): André WURMSER, Mémoires d'un homme du monde, les Éditeurs français réunis
Publié le 14/07/2012
Extrait du document
Des ouvriers trouvaient farce de se prélasser à la terrasse d'un café , si loin de l'usine, si loin ! et d'autres semblaient s'y être déjà habitués. Xénophon croisa un voisin de compartiment et ils échangèrent un salut amical. Une odeur de poisson l'imprégnait, désagréable et vivifiante. Peut-être que les salles de cinéma auront cette odeur, quand sera inventé le cinéma odorant et qu'on projettera des films sur la mer. Je verrai peut-être ça... Pourquoi pas ? Pourquoi ne verrais-je pas les hommes aller dans la Lune ? Pourquoi est-ce que je ne voyagerais pas en avion ? Pourquoi pas moi ? Ah, vieux fou... A sa gauche , une rue étroite n'avait d'autre fin que le ciel. C'est là sûrement. Au bout de la rue, en effet, était une digue cimentée, et au bas de quatre marches de bois, le sable ; contre la digue, des enfants renversaient des seaux, alignant des pâtés ; plus loin, des adolescents poussaient des boules de croquet ; encore plus loin, des jeunes gens jouaient au tennis - et loin, extraordinairement loin, la mer ! la mer ! le vieil océan qui s'était cru si longtemps hors d'atteinte du vieux Xénophon. Eh bien, me voilà quand même, tu vois. Le sable crissant et mou lui fut une tentation irrésistible. Il s'assit par terre , retira ses souliers, en noua les lacets pour pouvoir tenir la paire d'une main, fourra ses chaussettes dans sa poche, retroussa ses pantalons, tant pis, non sans regarder de côté et d'autre si quelqu'un ne riait pas de lui (mais il aurait ri avec le rieur, cette fois ! ) se redressa d'un bond, comme un jeune homme, et se dépêcha de marcher vers la mer, pour rattraper le temps qu'il venait de perdre. Hé là, c'est qu'on n'a que quinze jours ! Le sable portait maintenant de drôles de rayures, comme une robe plissée, qui coupaillaient un peu la plante des pieds - puis il redevint lisse, mais humide et sombre ; parfois une bulle en sortait : une crevette qui respirait dessous. . . Xénophon releva les yeux : la mer ! la mer ! Il avança encore, et encore. Le sable pâlissait à chacun de ses pas, comme si ses pieds répandaient des ondes qui le séchaient. Les vagues en s'étalant l'aspergeaient de poussière d'eau. Il se lécha les lèvres : c'est tout à fait autre chose, goûter, que savoir. Des enfants intrépides étaient enfoncés dans la mer jusqu'à mi-corps. Xénophon fit encore un pas, car l'eau se retirait devant lui, taquine , grattant le sable. Les petites vagues du bord, retournées, semblaient un moment ces rouleaux feuilletés que le pâtissier emplit de crème blanche. L'eau lui recouvrit les pieds ; il se mit à rire dans ses indulgentes moustaches. Ce bon vieil océan, avec ses îles, ses isthmes, ses golfes... Au loin, l'horizon tendait son fil sous un bateau. Une grosse orange allait se glisser dans la fente entre ciel et mer, comme un sou, autrefois, dans la tirelire de Clotaire. Les enfants se jetaient de l'eau à pleines paumes et à grands cris. Le vieil homme en eut sa moustache trempée. Il ne se fâcha pas. Il rit avec les enfants. Personne ne se moquerait j amais de lui . Il pensait : comme c'est simple ! je n'aurais jamais pensé que c'était si simple !
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Lille
être déjà habitués.
Xénophon croisa un voisin de comparti
ment et ils échangèrent un salut amical.
Une odeur de poisson
l' imprégnait, désagréable et vivif iante.
Peut-être que les salles
de cinéma auront cette odeur, quand sera inventé le cinéma
odorant et qu'on projettera des films sur la mer.
Je verrai
peut-être ça ...
Pourquoi pas? Pourquoi ne verrais-je pas les
hommes aller dans la Lune ? Pourquoi est-ce que je ne
voyagerais pas en avion ? Pourquoi pas moi? Ah, vieux fou ...
A sa gauche , une rue étroite n'avait d'autre fin que le ciel.
C'est là sûrement .
Au bout de la rue, en effet, était une digue
cimentée, et au bas de quatre marches de bois, le sable ;
contre la digue, des enfants renversaient des seaux, alignant
des pâtés ; plus loin, des adolescents poussaient des boules de
croquet ; encore plus loin, des jeunes gens jouaient au tennis
- et loin, extraordinairement loin, la mer ! la mer ! le vieil
océan qui s'était cru si longtemps hors d'atteinte du vieux
Xénophon.
Eh bien, me voilà quand même, tu vois.
Le sable
crissant et mou lui fut une tentation irrésistible.
Il s'assit par
terre , retira ses souliers, en noua les lacets pour pouvoir tenir
la paire d'une main, fourra ses chaussettes dans sa poche,
retroussa ses pantalons, tant pis, non sans regarder de côté et
d' autre si quelqu'un ne riait pas de lui (mais il aurait ri avec le
rieur, cette fois!) se redressa d'un bond, comme un jeune
homme, et se dépêcha de marcher vers la mer, pour rattraper
le temps qu'il venait de perdre .
Hé là, c'est qu'on n'a que
quinze jours ! Le sable portait maintenant de drôles de
rayures, comme une robe plissée , qui coupaillaient un peu la
plante des pieds -puis il redevint lisse, mais humide et
sombre ; parfois une bulle en sortait : une crevette qui
respirait dessous...
Xénophon releva les yeux : la mer ! la
mer ! Il avança encore, et encore.
Le sable pâlissait à chacun
de ses pas, comme si ses pieds répandaient des ondes qui le
séchaient.
Les vagues en s'étalant l'aspergeaient de poussière
d'eau.
Il se lécha les lèvres : c'est tout à fait autre chose,
goûter, que savoir.
Des enfants intrépides étaient enfoncés
dans la mer jusqu'à mi-corps.
Xénophon fit encore un pas, car
l'eau se retirait devant lui, taquine , grattant le sable.
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