La mort du Père Goriot
Publié le 02/05/2011
Extrait du document
« _ Allons, lui dit Eugène, recouchez-vous, mon bon père Goriot, je vais leur écrire. Aussitôt que Bianchon sera de retour, j’irai si elles ne viennent pas. _ Si elles ne viennent pas ? répéta le vieillard en sanglotant. Mais je serai mort, mort dans un accès de rage, de rage ! La rage me gagne ! En ce moment, je vois ma vie entière. Je suis dupe ! Elles ne m’aiment pas, elles ne m’ont jamais aimé ! Cela est clair. Si elles ne sont pas venues, elles ne viendront pas. Plus elles auront tardé, moins elles se décideront à me faire cette joie. Je les connais. Elles n’ont jamais su rien deviner de mes chagrins, de mes douleurs, de mes besoins, elles ne devineront pas plus ma mort ; elles ne sont seulement pas dans le secret de ma tendresse. Oui, je le vois, pour elles, l’habitude de m’ouvrir les entrailles a ôté du prix à tout ce que je faisais. Elles auraient demandé à me crever les yeux, je leur aurais dit : " Crevez- les ! " Je suis trop bête. Elles croient que tous les pères sont comme le leur. Il faut toujours se faire valoir. Leurs enfants me vengeront. Mais c’est dans leur intérêt de venir ici. Prévenez- les donc qu’elles compromettent leur agonie. Elles commettent tous les crimes en un seul. Mais allez donc, dites- leur donc que, ne pas venir, c’est un parricide ! Elles en ont assez commis sans ajouter celui - là. Criez donc comme moi : " Hé, Nasie ! Hé, Delphine ! Venez à votre père qui a été si bon pour vous et qui souffre ! " Rien, personne. Mourrai- je donc comme un chien ? Voilà ma récompense, l’abandon. Ce sont des infâmes, des scélérates ; je les abomine, je les maudis ; je me relèverai, la nuit, de mon cercueil pour les remaudire, car, enfin, mes amis, ai- je tort ? Elles se conduisent bien mal ! Hein ? Qu’est- ce que je dis ? Ne m’avez- vous pas averti que Delphine est là ? C’est la meilleure des deux. Vous êtes mon fils, Eugène, vous ! Aimez- la, soyez un père pour elle. L’autre est bien malheureuse. Et leurs fortunes ! Ah, mon Dieu ! J’expire, je souffre un peu trop ! Coupez- moi la tête, laissez- moi seulement le coeur. _ Christophe, aller chercher Bianchon, s’écria Eugène épouvanté du caractère que prenaient les plaintes et les cris du vieillard, et ramenez-moi un cabriolet. _ Je vais aller chercher vos filles, mon bon père, je vous les ramènerai. _ De force, de force ! Demandez la garde, la ligne, tout ! tout, dit-il en jetant à Eugène un dernier regard où brilla la raison. Dites au gouvernement, au procureur du roi, qu’on me les amène, je le veux ! _ Mais vous les avez maudites. _ Qui est-ce qui a dit cela ? répondit le vieillard stupéfait. Vous savez bien que je les aime, je les adore ! Je suis guéri si je les vois… « L’extrait étudié est l’agonie du Père Goriot qui, veillé par Rastignac, apprend que ses filles ne viendront pas à son chevet. Le monologue qui découle de cette situation en fait un passage passionné, où se mêlent pathos et tragédie, amour et vengeance, douleur et amertume.
I. Un père martyr a. La tragédie du Père Goriot b. Une figure religieuse II. Une agonie atroce a. La souffrance insupportable b. Les visions morbides du Père Goriot c. Le pathos du passage Conclusion
«
II.
Une agonie atrocea.
La souffrance insupportableb.
Les visions morbides du Père Goriotc.
Le pathos du passageConclusion
I/ Un père martyre
1/ La tragédie du Père Goriot
Le Père Goriot se révèle être une véritable figure tragique dans son agonie.
D'ailleurs, l'ensemble de l'œuvre étaitdécrite par Balzac comme « une effroyable tragédie parisienne ».Cet aspect tragique passe par plusieurs dimensions :– la fatalité qui pèse sur lui : « Mais je serai mort »– l'image de la paternité frustrée jusqu'à la folie : « l'habitude de m'ouvrir les entrailles a ôté du prix à tout ce que jefaisais ».
On voit que son sens de la famille n'a aucune limite ; il propose aussi de se crever les yeux pour elles.– la présence d'éléments d'hybris, c'est-à-dire la démesure dans la tragédie grecque.– un destin fatal et atroce qui se profile : « Mourrai- je donc comme un chien ? »
Le Père Goriot emprunte donc bien des tonalités des discours antiques, notamment des héros tragiques.
Mais il nese contente pas de copier leur discours ; d'autres éléments évoquent directement des figures mythiques.
On peutciter Œdipe avec l'idée des yeux crevés.
De plus, à l'image des grandes tragédies grecques ou raciniennes, la vengeance et le cycle familial se dessine defaçon très explicite : « je les maudis », « leurs enfants me vengeront », « parricide ».
2/ Une figure religieuse
Mais Balzac va plus loin, en faisant de Goriot un véritable « Christ de la paternité » selon ses propres mots.Les éléments se référant au Christ et à la religion sont en effet nombreux :– le sacrifice personnel de toute une vie est évoqué à de nombreuses reprises– il se sent abandonné : « voilà ma récompense, l'abandon », ce qui rappelle Jésus crucifié (« pourquoi m'as-tuabandonné ? »)– le pardon accordé à ses filles rappelle celui du Christ envers ceux qui l'ont trahi.– Comme Jésus Christ, le père Goriot mêle passion et souffrance.
II/ Une agonie atroce
1/La souffrance insupportable
Le Père Goriot est en proie à des souffrances atroces, aussi bien morales que physiques.
D'ailleurs dès le début del'extrait, il nous est présenté « sanglotant ».Son délire est presque total, alors qu'il a été discret tout au long du roman.
Mais à cet instant, tout semble sortir : ils'exclame (« Hé, Nasie ! Hé, Delphine ! Venez à votre père qui a été si bon pour vous et qui souffre ! »), maudit («je me relèverai, la nuit, de mon cercueil pour les remaudire »), s'interroge (« Mourrai- je donc comme un chien ? »),crie sa souffrance.
En réalité, chacun de ses mots exprime les mêmes idées : souffrance, incompréhension, amour et rage.
Lemonologue ne fait que reformuler en permanence ses délires d'agonie.
2/ Les visions morbides du Père Goriot
Car tout cela n'est pas une simple colère ponctuelle : le Père Goriot est en train de mourir.
C'est pour cela d'ailleursqu'il se remémore sa vie : « en ce moment je vois ma vie entière », à l'image de nombreux mourants.
Alors qu'il visualise sa mort, il se rend également compte qu'il va mourir dans la solitude, abandonné par ses filles.
Lasouffrance se teinte alors de vengeance et de colère.
Il anticipe pour ses filles la même mort que celle qu'elles luiinfligent, une mort solitaire et atroce.
Il va même plus loin, les accusant de son propre décès : c'est « un parricide», « elles commettent tous les crimes en un seul ».
C'est pourquoi il s'imagine même revenir les hanter après sa mort pour mieux assouvir sa soif de vengeance.
Il serelèvera « de [s]on cercueil » pour mieux les maudire ad vitam aeternam.
Puis, semblant réaliser l'atrocité de sacolère, il culpabilise et se condamne : « coupez-moi la tête, laissez moi seulement le cœur ».
De cette manière, ilsemble vouloir qu'on lui ôte la capacité de raisonner (et par contrecoup celle d'être fou), et de ne lui laisser que sessentiments, soit l'amour pour ses filles.
3/ Le pathos du passage
Les outils de langue et d'image utilisés par Balzac utilisent au maximum le pathétique..
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