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la negritude

Publié le 02/02/2013

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Article « Qu'est-ce que la négritude? « Léopold S. Senghor Études françaises, vol. 3, n° 1, 1967, p. 3-20. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/036251ar DOI: 10.7202/036251ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Document téléchargé le 8 November 2012 04:02 Q U'EST-CE Q U E LA NÉGRITUDE ? Pourquoi ai-je choisi de vous parler de la Négritude, aujourd'hui ? Parce que cette idéologie, fondée sur des réalités physiques et spirituelles, a soutenu bien des peuples, je dis : toute une race depuis la fin de la première guerre mondiale. Parce que, depuis le début de ce siècle, s'élabore une civilisation planétaire, qui doit beaucoup, si paradoxal que cela puisse être, à la négritude. Commençons par rendre, à Césaire, ce qui est à Césaire. Car c'est le poète et dramaturge martiniquais qui a forgé le mot dans les années 1932-1934. Mais la réalité recouverte par le mot existait bien avant, depuis 40 000 ans, depuis les statuettes stéatopyges des Négroïdes de Grimaldi. D'ailleurs, comment aurait-il pu en être autrement ? N'estil pas normal, je ne dis pas en logique, mais en dialectique, que chaque groupe humain élabore ses moyens d'adaptation à la nature et d'adaptation de la nature à lui -- pour tout dire, ses moyens d'expression, son langage ? C'est l'évidence, toute société humaine a sa civilisation, plus ou moins riche, plus ou moins originale, selon sa personnalité collective. Cette civilisation est constituée d'une somme de réponses devant les énigmes de la nature, de démarches devant les exigences de 1'« énergie humaine «. Elle est fondée sur une métaphysique, sur une ontologie, sur un esprit, qui est la culture, et elle comprend les moeurs, les sciences et les techniques, les arts et les lettres, etc. Elle est fille de la race, de la géographie et de l'histoire, qui expliquent les façons de sentir, de penser et d'agir de chaque groupe humain. Donc, les Négro-Africains, comme toutes les autres ethnies de la terre, ont un ensemble spécifique de qualités, dont l'esprit-culture, dans une situation donnée, a produit une civilisation originale, unique, irremplaçable. Sans doute certaines de ces qualités ont-elles pu se rencontrer chez d'autres peuples, mais certainement pas toutes en- 4 ÉTUDES FRANÇAISES n i , 1 semble, certainement pas sous cet éclairage, dans cet équilibre et au même degré. La négritude est donc l'ensemble des valeurs de civilisation du monde noir, telles qu'elles s'expriment dans la vie et les oeuvres des Noirs. Pourtant, malgré ces vérités d'évidence, la négritude n'a pas été tout de suite comprise. On l'a identifiée à un racisme, à un complexe d'infériorité, alors qu'elle n'est rien autre qu'une volonté d'être soi-même pour s'épanouir. Malgré la passion des débuts, il n'a pas été question, chez nous, de s'isoler des autres civilisations, de les ignorer, de les haïr ou mépriser, mais plutôt, en symbiose avec elles, d'aider à la construction d'un humanisme qui fût authentiquement parce que totalement humain. Totalement humain parce que formé de tous les apports de tous les peuples de la planète Terre. D'aucuns ont été jusqu'à nier l'unité de la culture nègre, en proclamant qu'il n'y avait que des civilisations nègres. Comme si les civilisations française, anglaise, italienne, russe, suédoise, par exemple, n'étaient pas les faciès divers d'une culture occidentale, de tradition gréco-latine, dont nul n'a jamais songé à nier l'unité. Il existe, pareillement, un ensemble de valeurs fondamentales, communes à tous les peuples noirs et qui font l'unité de ces peuples. Depuis plus de trente ans donc, nos idées ont été développées par les écrits de nombreux militants de la négritude. Sans doute, ces écrits, étaient-ils, au départ, polémiques, soulevés d'une certaine passion. Il fallait, d'abord, combattre avec vigueur, mordre d'une dent dure, pour se faire une place au soleil. Devant les préjugés des uns, les lâchetés des autres, les railleries, il fallait frapper fort pour faire admettre notre culture au banquet de l'Universel. C'était la condition sine qua non de notre participation à l'édification d'un nouvel humanisme. Au demeurant, cette lutte culturelle se doublait alors d'une lutte politique : la négritude était également arme de combat pour la décolonisation. Mais nos idées gagnaient du terrain, les oppositions tombaient peu à peu, la compréhension s'élargissait. Même des Blancs européens firent, du combat pour notre iden- QU 'EST-CE QUE LA NÉGEITUDE î 5 tité culturelle, leur combat. Parce qu'ils en avaient saisi la portée humaine, attestée par les nouvelles tendances de la philosophie, de la science et de l'art en Occident. Les oeuvres de nombreux écrivains et artistes noirs d'Afrique comme d'Amérique, les congrès, les colloques, les séminaires, d'un mot, la pratique contribuait à l'approfondissement et à l'extension de la théorie. Enfin, en avril 1966, se tenait, à Dakar, le Premier Festival mondial des Arts nègres, inventaire et illustration magistrale des valeurs de la négritude. Désormais, on pouvait considérer le combat comme gagné: la négritude, consacrée, en Afrique, par André Malraux et, avec lui, par des écrivains, professeurs, chercheurs blancs parmi les plus célèbres, avait désormais droit de cité. Personne ne pourrait plus en nier l'originalité, ni prétendre faire, de nous, des suivistes, tout juste bons à exécuter de mauvaises copies. Cette victoire nous rendait, de ce fait, encore plus ouverts à tous les apports, à tous les dialogues fécondants. * # # Mais, me direz-vous, qu'est-ce que la négritude, quel est son contenu réel ? Vous nous affirmez que c'est une culture originale. En quoi consiste son originalité ? Je partirai de l'homme noir, du Nègre. J'essayerai d'expliquer sa psychologie, son âme. C'est cette explication qui nous donnera la clé de sa civilisation : plus précisément, de son ontologie, de sa philosophie et de son art. Le Nègre est l'homme de la nature. L'environnement animal et végétal, foisonnant en Afrique depuis toujours, le climat chaud et humide lui ont donné une très grande sensibilité, que maints ethnologues ont mise en relief. Le Nègre a les sens ouverts à tous les contacts, voire aux sollicitations les plus légères. Il sent avant que de voir, il réagit, immédiatement, au contact de l'objet, aux ondes qu'il émet de l'invisible. Il n'est pas oeil, il est antenne. C'est sa puissance d'émotion, par quoi il prend connaissance de l'objet. Le Blanc européen tient l'objet à distance; il le regarde, l'analyse, le tue -- du moins le dompte -- pour l'utiliser. 6 ÉTUDES FRANÇAISES HI, 1 Le Négro-Africain sent l'objet, en épouse les ondes et les contours, puis, dans un acte d'amour, se Passimile pour le connaître profondément. Là où la raison discursive, la raison-oeil du Blanc s'arrête aux apparences de l'objet, la raison intuitive, la raison-étreinte du Nègre, par-delà le visible, va jusqu'à la sous-réalité de l'objet, pour, au-delà

« QU'EST-CE QUE LA NÉGRITUDE ? Pourquoi ai-je choisi de vous parler de la Négritude, aujourd'hui ? Parce que cette idéologie, fondée sur des réalités physiques et spirituelles, a soutenu bien des peuples, je dis : toute une race depuis la fin de la première guerre mondiale.

Parce que, depuis le début de ce siècle, s'éla- bore une civilisation planétaire, qui doit beaucoup, si para- doxal que cela puisse être, à la négritude. Commençons par rendre, à Césaire, ce qui est à Césaire.

Car c'est le poète et dramaturge martiniquais qui a forgé le mot dans les années 1932-1934.

Mais la réalité recouverte par le mot existait bien avant, depuis 40 000 ans, depuis les statuettes stéatopyges des Négroïdes de Grimaldi. D'ailleurs, comment aurait-il pu en être autrement ? N'est- il pas normal, je ne dis pas en logique, mais en dialec- tique, que chaque groupe humain élabore ses moyens d'adaptation à la nature et d'adaptation de la nature à lui — pour tout dire, ses moyens d'expression, son lan- gage ? C'est l'évidence, toute société humaine a sa civi- lisation, plus ou moins riche, plus ou moins originale, selon sa personnalité collective.

Cette civilisation est constituée d'une somme de réponses devant les énigmes de la nature, de démarches devant les exigences de 1'« énergie humaine ». Elle est fondée sur une métaphysique, sur une ontologie, sur un esprit, qui est la culture, et elle comprend les mœurs, les sciences et les techniques, les arts et les lettres, etc.

Elle est fille de la race, de la géographie et de l'histoire, qui expliquent les façons de sentir, de penser et d'agir de chaque groupe humain. Donc, les Négro-Africains, comme toutes les autres ethnies de la terre, ont un ensemble spécifique de qualités, dont l'esprit-culture, dans une situation donnée, a produit une civilisation originale, unique, irremplaçable.

Sans doute certaines de ces qualités ont-elles pu se rencontrer chez d'autres peuples, mais certainement pas toutes en-. »

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