La nostalgie du paradis perdu chez Baudelaire
Publié le 07/09/2013
Extrait du document

La contradiction que l'on a relevée dans ce poème met face à
face la contemplation de la beauté du monde et la contemplation
de soi. En plongeant «dans« la beauté du monde, en
voulant ne faire qu'un avec cette beauté («Au milieu de
l'azur, des vagues, des splendeurs«) le poète, au lieu de
parvenir à la béatitude procurée par l'oubli de soi, «se souvient
« au contraire de sa solitude essentielle. Cette langueur
douloureuse entretenue, «approfondie« par les odeurs des
esclaves nus et par le balancement rafraîchissant des palmes,
loin d'adoucir son mal de vivre, le rend plus profond, car plus
conscient. La beauté du monde renvoie l'homme à son exil.
De plus, ces «esclaves nus tout imprégnés d'odeurs« ont
pour fonction d'introduire dans le poème la sensation olfactive.
On pourrait dire à juste titre que ces esclaves sont des
flacons vivants. Or, d'une part, l'odeur est chez Baudelaire la
sensation la plus immédiatement liée au souvenir. D'autre
part, on constate une gradation dans la série des « correspondances
«. Après la sensation visuelle, et la sensation auditive
qui s'échangent, se mêlent, se confondent dans un paysage
syncrétique, l'odorat vient précéder le toucher dans la série
des correspondances que vient clôturer le contact «rafraîchissant
« des palmes sur le front enfiévré de l'homme qui «se
souvient«. Alors que la vue et l'ouïe sont des sensations plus
intellectuelles, plus mentalement élaborées, l'odorat et le toucher
sont les sens les plus intimement corporels et sexuels,
ceux qui établissent entre les êtres la plus étroite proximité
(Baudelaire écrira dans «Le balcon«: «Je croyais respirer le
parfum de ton sang«, et quelques vers plus loin : « Et mes
pieds s'endormaient dans tes mains fraternelles.«).
Ainsi, le rapport entre les quatrains et les tercets dessine
une échelle qui descend de l'idéal vers le spleen mais remonte
aussi du spleen vers l'idéal. Et cette relation verticale, comme
toujours chez Baudelaire, se transforme en cercle désignant
la totalité, la plénitude harmonieuse à laquelle le poète aspire,
vers laquelle il soupire, car il est trop certain de ne
pouvoir y accéder.

«
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils le soir aux grottes basaltiques.
Les houles, en roulant les images des cieux, Mêlaient d'une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.
C'est
là que j'ai vécu dans les voluptés calmes, Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,
Qui me rafraîchissaient
le front avec des palmes,
Et dont l'unique soin était d'approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.
»
Ce sonnet appartient au cycle «Spleen et Idéal» dont il illustre parfaitement la dualité.
Il est construit sur un parallé
lisme entre les quatrains et les tercets.
A l'effet de reprise du
premier vers de chaque partie
(«J'ai longtemps ha
bité ...
»/« C'est là que j'ai vécu ...
») répond comme dans un
miroir la relation qui s'établit entre
le moi et le monde dans
les vers ultimes de ces deux blocs respectifs
(« ...
reflété par
mes yeux»/« ...
qui me faisait languir»).
L'unité de la création
apparaît comme un phénomène essentiellement subjectif, et
la nature elle-même est présentée comme entièrement média
tisée, voire façonnée
par l'art.
Comme si Dieu, un Dieu
pourtant bien discret, quasi absent, était l'artiste suprême.
Ce renversement, qui attribue à la Nature des fonctions
relevant de la création artistique, apparaît dans le choix de
termes volontairement
«artificiels» pour décrire des phéno
mènes naturels:
«Les soleils teignaient de mille feux».
«Les houles, en roulant les images des cieux, mêlaient d'une façon
solennelle et mystique les tout-puissants accords de leur riche
musique.
» Il se produit donc à travers le jeu des chiasmes
une véritable osmose entre l'art et la nature pour composer
l'harmonieux tableau
d'un monde idéal..
»
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