Devoir de Philosophie

LA NOUVELLE EN LITTERATURE

Publié le 25/11/2018

Extrait du document

NOUVELLE. Pour beaucoup d’esprits, elle serait au roman ce qu’est le court métrage au grand film : exercice d’esthète (ne parle-t-on pas volontiers d’« art de la nouvelle »?), ouvert aux débutants et que le public — par conséquent les éditeurs — boude avec obstination. Cette image est largement fausse, mais elle s’explique par une conception obsolète de ce genre.

 

Un genre narratif bref parmi d'autres

L’emploi du mot « nouvelle » pour désigner un genre littéraire n’apparaît guère en français avant les Cent Nouvelles nouvelles (1462), c’est-à-dire à une époque où se fait déjà sentir l’influence de la novella italienne, attestée depuis beaucoup plus longtemps. Il y a donc chez nous collusion entre la tradition autochtone et la vogue italianisante.

 

Dès le XIIe siècle, le verbe noveler, qui signifiait originellement « changer », a tendu à prendre aussi le sens de « raconter », mais c’est bien l’auteur anonyme des Cent Nouvelles nouvelles qui a inventé une poétique pour un genre dépourvu de modèles antiques et dont la seule référence est le Décaméron de Boccace. La nouvelle rapportera, en termes concis, un fait récent, volontiers joyeux. Elle s’opposera à l’histoire, qui, à cause du sens du mot estoire en ancien français, suggère l’idée de longueur et celle de faits anciens. A quelques détails près, c’est ce modèle que l’on va observer en France pendant des siècles. La hantise de la longueur, exprimée dans les Cent Nouvelles nouvelles, trouve un écho chez l’une des devisantes de l’Heptaméron (écrit vers 1540-1547) : « Je sçay bien [...] que ceste longue nouvelle pourra estre à aucuns fascheuse : mais si j’eusse voulu satisfaire à cel-luy qui la m’a comptée, elle eust esté trop plus que longue ». Trois siècles plus tard, Baudelaire, à l’image de son temps, est du même sentiment : « une nouvelle trop [...] courte vaut encore mieux qu’une nouvelle trop longue ». Entre-temps, on a cependant vu apparaître (au xvme siècle) des ouvrages de 700 pages intitulés « nouvelles ». Pourquoi? Parce que la nouvelle ne s’est jamais développée de façon indépendante. A la Renaissance, elle est liée aux autres formes brèves; du xviie au début du xixe siècle, elle entretient avec le roman des rapports de concurrence, et à l’occasion, quand ce dernier est déconsidéré — c’est le cas au xviiie siècle —, elle lui prête son étiquette.

A cela on voit que la nouvelle est tout, sauf une « forme simple »; et, plutôt que d’en chercher la structure primitive ou les analogues à travers les littératures du monde entier, nous dégagerons ses traits dominants et variés au cours des siècles.

La nouvelle à la Renaissance

Trois caractéristiques à ce moment : 1° elle se constitue en tant que genre en même temps que l’imprimé se qualifie comme support et medium', 2° elle ignore la concurrence du roman et profite de la disponibilité du public; 3° elle s’ouvre à des influences inconnues auparavant, comme le roman grec, tout en poursuivant des échanges avec d’autres genres narratifs brefs (la facétie, le motto, l’épigramme, la leçon, etc.).

De là vient la diversité du genre. Les libraires lyonnais exploitent les ressources commerciales de la nouvelle dans une série de recueils (Parangon des nouvelles hon-nestes et délectables, 1531; Discours modernes et face-cieux de Jean Bergier, 1572); mais ils savent aussi promouvoir des nouveautés audacieuses (songeons aux recueils de Jeanne Flore ou de Des Périers).

Le public lui réserve tout au long du siècle un accueil très favorable, quelle que soit son orientation. Des titres aussi divers que les Serées de Guillaume Bouchet, les Histoires tragiques de Boaistuau et Belleforest, les nouvelles de Marguerite de Navarre, les Comptes du monde adventureux ou les Dialogues de Tahureau ont tous connu un nombre important de réimpressions avant le début du xviie siècle.

Propice aux expériences, l’époque assimile tout d’abord la tradition des facetiae du Pogge, non sans l’édulcorer. On conserve le gaulois, le scatologique; on gomme tout ce qui ressortit à la contestation politique et religieuse. De la même façon, Boccace, témoin des luttes urbaines de l’Italie du trecento, tend-il à devenir, chez ses traducteurs français et surtout chez ses imitateurs, un écrivain élégant et cultivé qui se délasse dans le Décaméron.

Puis la nouvelle est mise au service de la vaste entreprise de moralisation liée au concile de Trente. On réactive la tradition médiévale des exempta, et l’utile prend le pas sur le doux. C’est le sens de la traduction et de l’adaptation des Novelle de Bandello par les soins de Belleforest. Parallèle à ce mouvement, le genre de la leçon, d’origine humaniste, à la recherche de lecteurs qui ignorent le latin, s’agrège à celui de la nouvelle. On voit ainsi apparaître à la fin du siècle, sous la plume de Cholières, du Fail ou Bouchet, des recueils plus proches d’Athénée, de Plutarque, voire de Platon, que du récit à comice (« encadrement ») popularisé par Boccace.

Cette interpénétration des formes accélère la circulation des motifs et des sujets. Une épigramme de Marot ou d’Eustorg de Beaulieu devient nouvelle en prose chez Le Moulinet; un arrêt de justice lu chez Jean Papon connaît le même sort dans l'Esté de Poissenot; tandis que les auteurs de leçons se servent partout, à pleines mains. La nouvelle de la Renaissance, en raison même de l’incertitude de sa définition, vit donc non seulement de réécritures d’œuvres plus anciennes (comme tous les genres littéraires), mais aussi d’aménagements de textes contemporains que la critique ultérieure jugera étrangers à elle. Et le tout s’effectue dans la plus grande indifférence théorique.

Nous ne retrouvons pas, aux périodes suivantes, plusieurs des éléments qui nourrissent cette diversité. Non parce qu’ils ont disparu mais parce qu’ils se sont marginalisés; la facétie, par exemple, est au xviie et au XVIIIe -siècle activité vile, abandonnée aux presses du colportage. Nul ne songe plus alors à confondre les opuscules de La Mothe Le Vayer avec l'Élite des contes du sieur d'Ouville.

L'incertitude classique

Au xvie siècle, aucun auteur de nouvelles ne peut s’alarmer de la concurrence des romans; au début du xviie, il faut compter avec leur essor. La frontière est difficile à tracer, comme le montre ce titre de Mme de Villedieu : Cléonice ou le Roman galant, nouvelle (1669). Elle est sans cesse traversée. On lit, dans le Roman comique de Scarron, des nouvelles enchâssées (on en rencontrera encore dans Jacques le Fataliste, et il s’en trouvait déjà une dans la Mort le roi Artu au XIIIe siècle); Le Petit voit en la nouvelle un « demy-roman » et Challe parle de son « roman » ou de ses « histoires, comme on voudra les appeler », à propos des Illustres françaises (1713). Cette nonchalance, qu’il ne faut pas exagérer, dissimule mal tantôt une indifférence, tantôt une incertitude, tantôt les deux à la fois.

La Renaissance lisait les Italiens, le xviie siècle lira les Espagnols (comme le xviiie les Anglais ou le xixe les Russes). Ce changement de fournisseur exerce une influence non seulement sur la tonalité du genre mais aussi sur son économie. Cervantès a inventé une nouvelle fondée sur la reconstruction de la chronologie là où, auparavant, on préférait un parcours linéaire; la tendance à l’allongement, déjà sensible dans la seconde moitié du xvie siècle, trouve là de nouvelles munitions; d’autant plus que notre genre assume en partie le rôle du genre narratif long à partir des années 1650. A. Kibédi Varga voit en la nouvelle « surtout une réaction contre le roman », et, peu avant la fin du siècle, du Souhait affirmera qu’elle a détruit les grands romans.

Mais le grand événement de cette époque est l’intérêt porté par des écrivains de talent, qui sont aussi des théoriciens (Sorel, Scarron, Segrais et, dans une moindre mesure, Donneau de Visé), à la nouvelle. La raison en est simple : « Depuis quelques années, les trop longs romans nous ayant ennuyés, afin de soulager l’impatience des personnes du siècle on a composé plusieurs petites histoires détachées qu’on a appelées des nouvelles ou des historiettes » (Sorel).

A l’influence des Italiens avait répondu l’antiitalianisme; à celle des Espagnols répondra l’affirmation de la « nouvelle françoise ». En 1623, Charles Sorel fait paraître un recueil de Nouvelles françoises. Pourquoi françoises ? Parce que, nous dit l’auteur, « elles contiennent les aventures de beaucoup de personnes de notre nation ». A cette assimilation encore superficielle il faut ajouter le souci — conforme à la tradition du genre, mais étranger au roman précieux ou héroïque — de mettre en scène des personnages de condition moyenne. Mais c’est là rendre hommage, comme en convient Scarron, aux Espagnols, qui « ont le secret de faire de petites histoires qu’ils appellent nouvelles, qui sont bien plus à notre usage et selon la portée de l’humanité que ces héros de l'Antiquité qui sont quelquefois incommodes à force d’être honnêtes gens ». En 1657, Segrais reprend le titre de Nouvelles françaises, entre-temps abandonné par Sorel, pour mieux prendre ses distances par rapport à ce dernier : l’ami (et le collaborateur) de Mme de La Fayette entend tout à la fois restaurer le cadre qui était celui de l'Heptaméron, lutter contre l’hispanophilie et réhabiliter des personnages de haut parage. A ce trait on distingue déjà l’esquisse d’un palmarès du genre, qui, on le verra, se constituera chez nous en formant peu à peu le panthéon de ses modèles.

En attendant, le Mercure galant, l’un des premiers magazines féminins (c’est-à-dire visant une clientèle en majorité féminine), publie, entre 1672 et 1710, période qui correspond au règne de Donneau de Visé, 370 nouvelles. Ici se poursuit donc la tradition de succès commercial et de large diffusion du genre.

La nouvelle occupe aussi le second rayon. Le recul de la liberté sexuelle aidant, les livres « pour tous » de la Renaissance deviennent des curiosa au xviie siècle. Leur production ne ralentit pas; elle change de nature, réalisant « la synthèse de l’esprit gaulois, hérité des conteurs du xvie siècle, et du libertinage de l’âge baroque » (M. Lever). Il est remarquable de noter, à côté de brûlots politiques comme les allégories de Bussy-Rabutin ou d’œuvres fortes comme le Rut ou la Pudeur éteinte de Paul-Alexis Blessebois, la présence d’une veine scatolo-gique (qui remonte à du Troncy et à Tabarin), mêlée (si l’on peut dire) à la pornographie dans les Délices du cloître ou la Nonne éclairée (1672) ou Vénus dans le cloître ou la Religieuse en chemise (1683) de Chavigny de La Bretonnière.

Si l’on met à part l’œuvre de Sade (examinée par ailleurs), la nouvelle française du xviiie siècle pérennise ses choix anciens, parfois les affirme un peu plus. L’exigence de réalisme affichée dans la « nouvelle française » antérieure devient systématique dans l’« histoire véritable » telle que la conçoit Challe. De même la tradition de l’histoire tragique est revivifiée par un recours renouvelé à la chronique judiciaire et criminelle contemporaine dans une série comme celle des Causes célèbres de Guyot de Pitaval. Le genre poursuit — et dans certains cas amplifie — son activité de réécriture des nouvelles canoniques (Vignacourt s’empare de l’Heptaméron', Mme de Gomez des Cent Nouvelles nouvelles). Comme au xviie siècle, il s’efforce de profiter (y compris au sens commercial) de l’éclipse du roman : « Ces narrations », écrit Feutry vantant son Choix d'histoires (1753), « sont courtes, variées, et tout à fait indépendantes les unes des autres; elles n’occupent et ne tendent point l’esprit comme la plupart de ces immenses romans qu’il faut nécessairement lire de suite pour ne point perdre de vue la liaison des événements; ou plutôt qu’il ne faut point lire du tout : ils amollissent le cœur et gâtent l’esprit ». Notons au passage que ce qui est ici argument publicitaire pour faire vendre des nouvelles deviendra au xxe -siècle, chez les spécialistes, l’explication de leur mévente!

La fin du siècle voit cependant, grâce aux efforts de Florian et de Sade, la rapidité du rythme d’exposition s’amplifier, la tendance à une plus grande concision s’affermir encore : « Je n’exige essentiellement [...] qu’une chose, c’est de soutenir l’intérêt jusqu’à la dernière page; tu manques le but, si tu coupes ton récit par des incidents ou trop répétés ou qui ne tiennent pas au sujet [...] Le dénouement doit être tel que les événements le préparent », conseille Sade dans son Idée sur les romans.

La fixation de la forme

Pour Georges Poulet, « il semble qu’à partir du XIXe -siècle la nouvelle entre dans la définition de son propre genre, tandis qu’auparavant elle était encore dans une période de tâtonnement ». Cette fixation est provoquée par la convergence de plusieurs facteurs. Tout d’abord, les supports potentiels se multiplient avec l’avènement de la presse quotidienne moderne et le succès des revues auprès des élites. Dans ces espaces éditoriaux, la place de la nouvelle est à la fois marquée et calibrée. Il existe ainsi un débouché économique à la production des nouvelles, et ce n’est donc pas un hasard si la presque totalité des grands écrivains de l’époque a participé à cet essor. Dans le même temps, on redécouvre la littérature de la

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles