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LA NUIT DE NOCES - Tristan et Yseut de Béroul

Publié le 15/09/2018

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La décision de Tristan suit les méandres d'une « conscience » coupable qui s'efforce de concilier plusieurs codes peu compatibles.

 

Mais le commentaire du narrateur replace d'emblée ce compromis incertain dans la logique d'une courtoisie sans faille : ce ne sont pas Tristan et Yseut aux Blanches Mains qui se rencontrent ou s'évitent dans ce lit peu conjugal, mais raison, volonté, désir et nature, qui se livrent à un ballet allégorique. Si le xiie siècle n'est pas encore celui des figures allégoriques décidément dotées d'une majuscule et de leur indépendance, il n'empêche que Tristan se retrouve, chez Thomas d'Angleterre, allègrement partagé en une série d'instances morales qui prennent en charge ce qu'un lecteur moderne appellerait << états d'âme ».

 

La difficulté s'accroît de ce que les deux termes essentiels de ce débat de notions sont très proches, difficiles à distinguer : volonté et désir semblent curieusement interchangeables, l'une s'opposant arbitrairement à l'autre, et celui-ci l'emportant finalement sur la première quand il devient clair que l'important n'est pas ici le sentiment, mais la personne qu'il concerne : le désir d'Yseut la reine triomphe de celui ressenti auparavant pour Yseut aux Blanches Mains, la volonté de consommer le mariage est supplantée par celle de se comporter en parfait amant courtois.

 

Au demeurant, et de manière un peu paradoxale, le lit où Tristan résiste victorieusement à la tentation de consommer son mariage et sa trahison ressemble étrangement à celui où les troubadours rêvent de manifester leur amour et leur soumission à la dame, en y pratiquant l'asag* : exercice périlleux qui voit l'ami dans le lit de celle qu'il prie

Ayant pris cette héroïque décision, Tristan se couche auprès d'Yseut aux Blanches Mains qui cherche à l'attirer à elle ; il résiste vaillamment, car son désir pour Yseut le détourne de son désir pour elle, et sa raison l'emporte sur sa volonté purement physique de prendre son plaisir là où il se trouve. Cependant, il éprouve un sentiment de honte et se décide à donner une explication de sa conduite à sa femme : il a depuis longtemps au côté une blessure qui lui interdit tout effort et qui le rend fort malade ; il n'est pas à même de faire l'amour, si tôt après la fatigue des cérémo-

« nies : qu'elle veuille bien attendre, ils auront d'autres occa sions plus tard.

Yseut aux Blanches Mains, faisant contre ma uvaise fortune bon cœur, répli que que la nouvelle de la maladie de Tristan la navre, mais qu'elle n'attache pas une telle importance au reste ...

Sans transition le texte passe à Yseut la reine, qui en son pays se lamente et ne pense qu'à Tristan, sans savoir où il est désorm ais.

COMM ENTAIRE Récit et analyse S'i l est un passage où se manifeste clairement l'intérêt de Thomas pour l'analyse, et réciproquement l'ennui qu'il éprouve à l'égard du récit événementiel, c'est bien celui-là :les festivités du mar iage sont expédiées en seize vers, et une formule lapidaire assure le lecteur que tout s'est passé comme il convenait en pareilles circonstances et pareille com pagnie.

Les riches énumérations, les descriptions somptueuses n'o nt pas cours chez Thomas.

Pas un mot n'est dit sur l'hérol'ne de la fête, la mal heureuse Yseut aux Blanches Mains.

Une seule notation concr ète :celle du bliau t aux manches étroites de Trista n, responsa­ ble de la chu te de l'ann eau ; et ce détail n'est ment ionné que parce qu'il déclenche le mouvement réflexif du person nage, pas en tant que te l.

Tout de suite, dans un décor résolument absent, s'ouvre le mor­ ceau important, c'est-à-dire le débat intérieur de Trista n.

Les angoisses de Tristan Tristan semble s'éveiller tout à coup à la conscienc e de ses devoirs d' amant courtois; ce qu'i l a fait, en épousant Yseut aux Blanch es Mains, est pire qu'un crime :une faute de goût, une fausse note, qui menace de démolir tout l'édifice romanesque de la légende.

Il a, en un sens, réussi son coup : désormais il est comme Yseut la reine lié par un contrat qui lui impose un certain nombre d'obl igations ; dans la mesure où Yseut aux Blanches Mains ne lui a pas en effet donné de motif de se plaindre d'elle, il se doit de la traiter comme son épouse ; l' excuse boiteuse qu'il finir a par inventer souligne cette nécessité.

Il ne s'agi t pas d'amour, de désir, ou de fidélité, mais d'un rite social.

En refusant de s'y plier, mû par un sentiment tardif de loyauté à l'é gard. »

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