La Patrie. La France. Sully PRUDHOMME, Poésies
Publié le 15/02/2012
                            
                        
Extrait du document
                                
I.
Qu’est-ce que la patrie ? Est-ce un refuge heureux ? Quelque molle oasis, à notre goût ornée, Que par caprice un jour nous nous sommes donnée, Où se parlent d’amour la terre et l’homme entre eux ? Non, la patrie impose et n’offre pas ses nœuds ; Elle est la terre en nous malgré nous incarnée Par l’immémorial et sévère hyménée D’une race et d’un champ qui se sont faits tous deux.
De là vient qu’elle est sainte et cruellement chère, Et que, s’il y pénètre une armée étrangère, Cette vivante injure aux entrailles nous mord, Comme si, dans l’horreur de quelque mauvais songe, Chaque fois que sur elle un bataillon s’allonge, On se sentait hanté par les vers comme un mort.
Sully Prudhotnrne n'a pas toujours professé, en matière de patriotisme, une doctrine aussi saine, aussi saine. L'histoire de son évolution est éminemment instructive, c'est par elle, croyons-nous, qu'il convient de commencer l'explication de ce sonnet....
                                «
                                                                                                                            11 plaint le paysan illettre, ignorant la cause gull defend, mourant anonyme,
inconnu de ses chefs, oublie de ses camarades,
...Dans l'horreur de tous les abandons...
A In veille de la depeche d'Ems, it s'estime « moins bete avec une mau-
vaise plume a la main qu'avec un fusil sur l'epaule >.
                                                            
                                                                                
                                                                    Quelques semaines
plus tard volontairement, it quitte la plume et .prend le fusil.
Que s'est-il donc passé? Il a consul* sa raison et son cceur, tout sim-
plement.
                                                            
                                                                                
                                                                    « Ces hommes qui delaissent femme, enfants, affaires aiment-ils
la guerre? - Pas plus que moi.
                                                            
                                                                                
                                                                    - Quelle force les pousse donc? - Une
puissance instinctive, l'instinct de la conservation, l'instinct de la propriete,
cet inconscient attachement qui lie l'homme a la terre.
                                                            
                                                                                
                                                                    » L'amour de la
patrie s'impose a lui comme un fait, une exigence imperieuse.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'en est fait.
                                                            
                                                                                
                                                                    mange le chassepot d'une facon desastreuse >, mais ii accomplit tout
son devoir, « deguise en militaire >, it vague a des « corvees de portefaix ).
                                                            
                                                                                
                                                                    Caporal-instructeur, it explique la theorie aux recrues.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ii rime pendant le
siege de Paris, des vers resignes; les dernieres semaines, oii l'on mange
du « pain sans ble > achevent d'epuiser son corps fragile; it est reforme en
fevrier 1871.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le philosophe reprendra le .pas, dans la suite sur le patriote,
mais celui-ci aura laisse a la posterite un immortel mea culpa, la piece inti-
tulee Repentir.
Le sonnet que nous allons analyser gravite autour d'une idee centrale
nous ne choisissons pas notre patrie; elle s'impose a nous.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le developpe-
ment de ce theme est a la fois ingenieux et pathetique; c'est une definition
en meme temps philosophictue et poetique, l'image s'y male d'un bout a
l'autre au raisonnement; la rigueur de Pexpression n'a d'egale que sa splen-
deur.
                                                            
                                                                                
                                                                    Tels sont les caracteres et qualites que nos explications s'efforceront
d'illustrer.
                                                            
                                                                                
                                                                    La composition, comme toujours chez ce Parnassien rompu
la technique du sonnet, ce penseur faconne par les methodes scientifiques,
est reguliere et presque symetrique : les deux quatrains definissent la patrie;
les deux tercets tirent les consequences de la definition, le tout rendu en
termes concrets et vivants.
Le premier quatrain comprend deux questions : le premier hemistiche
cst interrogatif, sans plus; le reste est interrogatif et dubitatif.
                                                            
                                                                                
                                                                    La simpli-
cite caracterise la premiere de ces deux questions.
                                                            
                                                                                
                                                                    Quand on connait l'his-
toire du poke, elle eveille aussitot notre curiosite.
                                                            
                                                                                
                                                                    Dans quel sens va-t-il se
prononcer? Est-ce le philosophe d'avant-guerre, est-ce le patriote converti
qui va repondre? - L'attente se prolonge; trois vers et demi nous laissent
cn suspens...
                                                            
                                                                                
                                                                    ou plutot, non; déjà l'interrogation complexe, imagee, qui suit
la premiere, breve et depouillee, nous oriente (MA.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est le repenti qui va
repondre, et avec quelle richesse d'expression! Un refuge heureux, c'etait
bien; une molle oasis, c'est mieux, plus evocateur.
                                                            
                                                                                
                                                                    Nous songeons a l'an-
tique devise : UN bene, ibi patria et aux declarations memes de Sully
Prudhomme premiere maniere :
...0a l'art me sourit et m'appelle,
Oa la race est polie et belle,
Je naturalise mon cceur...
Cette « molle oasis >, nous ne l'aurions pas acceptee telle quelle, mais
nous l'aurions ornee a notre goat.
                                                            
                                                                                
                                                                    Les inversions des vers 2, 3 et 4 sont
d'une elegance raffinee, et justifient celles de nos classiques, condamnees par
le romantisme.
                                                            
                                                                                
                                                                    En outre, nous nous serions donne, par caprice, un jour,
cette terre de rave.
                                                            
                                                                                
                                                                    Autant de details qui, tout a Pheure, trouveront dans le
second quatrain une replique vigoureuse, definitive.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le vers 4 prend des allures caressantes, idylliques; et sa double inversion lui confere la meil-
leure harmonic possible.
                                                            
                                                                                
                                                                    Que l'on essaie d'adopter un autre ordre des mots,
et l'on se convaincra que non seulement chacun des termes devait occuper
cette place pour former un alexandrin correct, mais encore que tout autre
arrangement ne contenterait pas autant l'oreille.	
Il plaint 	le 	paysan 	illettré, 	ignorant 	la 	cause 	qu'il 	défend, 	mourant 	anonyme, 	inconnu 	de 	ses 	chefs, 	oublié 	de 	ses 	camarades, 	
...
                                                            
                                                                                
                                                                    Dans  l'horreur  de tous  les abandons  ...
                                                            
                                                                                
                                                                    	
A 	la 	veille 	de 	la 	dépêche 	d'Ems, 	il 	s'estime 	« moins 	bête 	avec 	une 	mau· 	vaise 	plume 	à la 	main 	qu'avec 	un 	fusil 	sur 	l'épaule 	».
                                                            
                                                                                
                                                                    	Quelques 	semaines 	plus 	tard 	volontairement, 	il 	quitte 	la 	plume 	et 	;prend 	le 	fusil.
                                                            
                                                                        
                                                                    
Que 	s'est-il 	donc 	passé? 	Il 	a consulté 	sa 	ratson 	et 	son 	cœur, 	tout 	sim	plement.
                                                            
                                                                                
                                                                    	« Ces 	hommes 	qui 	délaissent 	femme, 	enfants, 	affaires 	aiment-ils 	la 	guerre? 	-	Pas 	plus 	qne 	moi.
                                                            
                                                                                
                                                                    	-	Quelle 	force 	les 	pousse 	donc? 	-	Une 	puissance 	instinctive, 	l'instinct 	de 	la 	conservation, 	l'instinct 	de 	la 	propriété, 	cet 	inconscient 	attachement 	qui 	lie 	l'homme 	à 	la 	·terre.
                                                            
                                                                                
                                                                    	» 	L'amour 	de 	la 	patrie 	s'impose 	à lui 	comme 	un 	fait, 	une 	exigence 	impérieuse.
                                                            
                                                                                
                                                                    	C'en 	est 	fait.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Il 	« manie 	le 	chassepot 	d'une 	façon 	désastreuse 	», 	mais 	il 	accomplit 	tout 	son 	devoir, 	« déguisé 	en 	militaire 	», 	il 	vaque 	à des 	« corvées 	de 	portefaix 	».
                                                            
                                                                                
                                                                    	Caporal-instructeur, 	il 	explique 	la 	théorie 	aux 	recrues.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Il 	rime 	pendant 	le 	siège 	de 	Paris, 	des 	vers 	résignés; 	les 	dernières 	semaines, 	où 	l'on 	mange 	du 	«pain 	sans 	blé» 	achèvent 	d'épuiser 	son 	corps 	fragile; 	il 	est 	réformé 	en 	février 	1871.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Le 	philosophe 	reprendra 	le 	pas, 	dans 	la 	suite 	sur 	le 	patriote, 	mais 	celui-ci 	aura 	laissé 	à la 	postérité 	un 	immortel 	mea  culpa, 	la 	pièce 	inti-	tulée 	Repentir.
                                                            
                                                                                
                                                                    	· 	
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                                                                    .
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Le 	sonnet 	que 	nous 	allons 	analyser 	gravite 	a,utour 	d'une 	idée 	centrale 	: 	nous 	ne 	choisissons 	pas 	notre 	patrie; 	elle 	s'impose 	à nous.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Le 	développe	ment 	de 	ce 	thème 	est 	à la 	fois 	ingénieux 	et 	pathétique; 	c'est 	une 	définition 	en 	même 	temps 	philosophique 	et 	poétique, 	l'image 	s'y 	mêle 	d'un 	bout 	à 	l'autre 	au 	raisonnement; 	la 	ngueur 	de 	l'expression 	n'a 	d'égale 	que 	sa 	splen	deur.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Tels 	sont 	les 	caractères 	et 	qualités 	que 	nos 	explications 	s'efforceront 	d'illustrer.
                                                            
                                                                                
                                                                    	La 	composition, 	comme 	toujours 	chez 	ce 	Parnassien 	rompu 	à 	la 	technique 	du 	sonnet, 	ce 	penseur 	façonné 	par 	les 	méthodes 	scientifiques, 	est 	réguliere 	et 	presque 	symétrique 	: les 	deux 	quatrains 	définissent 	la 	patrie; 	les 	deux 	tercets 	tirent 	les 	conséquences 	de 	la 	définition, 	le 	tout 	rendu 	en 	termes 	concrets 	et 	vivants.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
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                                                                    ..
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Le 	premier 	quatrain 	comprend 	deux 	questions 	: le 	premier 	hémistiche 	est 	interrogatif, 	sans 	plus; 	le 	reste 	est 	interrogatif 	et 	dubitatif.
                                                            
                                                                                
                                                                    	La 	simpli	cité 	caractérise 	la 	première 	de 	ces 	deux 	questions.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Quand 	on 	connaît 	l'his	toire 	du 	poète, 	elle  éveille 	aussitôt 	notre 	curiosité.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Dans 	quel 	sens 	va-t-il  se 	prononcer? 	Est-ce 	le 	philosophe 	d'avant-guerre, 	est-ce 	le 	patriote 	converti 	qui 	va 	répondre? 	-	L'attente 	se 	prolonge; 	trois 	vers 	et 	demi 	nous 	laissent 	en 	suspens 	...
                                                            
                                                                                
                                                                    	ou 	plutôt, 	non; 	déjà 	l'interrogation 	complexe, 	imagée, 	qui 	suit 	la 	première, 	brève 	et 	dépouillée, 	nous 	oriente 	déjà.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est 	le 	repenti 	qui 	va 	répondre, 	et 	avec 	quelle 	richesse 	d'expression! 	Un 	refuge  heureux, 	c'était 	bien; 	une 	molle oasis, 	c'est 	mieux, 	plus 	évocateur.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Nous 	songeons 	à l'an	tique 	devise 	: Ubi 	bene, ibi patria 	et 	aux 	déclarations 	mêmes 	de 	Sully 	Prudhomme 	première 	manière 	: 	
...
                                                            
                                                                                
                                                                    Où 	l'art 	me 	sourit  et m'appelle, 	Où 	la 	race  est polie  et belle, 	Je 	naturalise 	mon 	cœur 	...
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Cette 	« molle 	oasis 	», 	nous 	ne 	l'aurions 	pas 	acceptée 	telle 	quelle, 	mais 	nous 	l'aurions 	ornée 	à notre  goût.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Les 	inversions 	des 	vers 	2, 	3 	et 	4 sont 	d'une 	élégance 	raffinée, 	et 	justifient  celles 	de 	nos 	classiques, 	condamnées 	par 	le 	romantisme.
                                                            
                                                                                
                                                                    	En 	outre, 	nous  nous 	serions 	donné, par caprice, 	un 	jour, 	cette 	terre 	de 	rêve.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Autant 	de 	détails 	qui, 	tout 	à l'heure, 	trouveront 	dans 	le 	second 	quatrain 	une 	réplique 	vigoureuse,  définitive.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Le 	vers 	4 	prend 	des 	allures 	caressantes, 	idylliques; 	et 	sa 	double 	inversion 	lui 	confère 	la 	meil	leure 	harmonie 	possible.
                                                            
                                                                                
                                                                    Que 	l'on 	essaie 	d'adopter 	un 	autre 	ordre 	des 	mots, 	et 	l'on 	se 	convaincra 	que 	non 	seulement 	chacun 	des 	termes 	devait 	occuper 	cette 	place 	pour 	former 	un 	alexandrin 	correct, 	mais 	encore 	que 	tout 	autre 	arrangement 	ne 	contenterait 	pas 	autant 	l'oreille..
                                                                                                                    »
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