La poésie italienne
Publié le 14/11/2018
Extrait du document
UNE EXTRAORDINAIRE MUSICALITE
Nourrie de deux traditions, l'une antique et l'autre chrétienne, la poésie italienne trouve sa plus belle expression dans les œuvres de Dante et de Pétrarque, au sortir du Moyen Âge. Mais la langue toscane est aussi celle de la poésie de la Renaissance, des dernières épopées, du baroque italien et enfin des révolutions modernes, au premier rang desquelles le futurisme de Marinetti. La vitalité de la poésie moderne, qui n'a pas hésité à s'aventurer dans les dialectes des campagnes et les argots des villes, atteste enfin la fécondité d'une histoire loin d'être achevée. Si les poètes dont les œuvres ont traversé les frontières sont surtout des créateurs d'images, les autres, plus difficiles à traduire, travaillent les langues italiennes au cœur de ce qui fait leur force : une extraordinaire musicalité.
UNE HISTOIRE DE LANGUE
Au regard du français, l'italien est marqué par deux caractéristiques, qu'il faut connaître pour comprendre ce que peut signifier la poésie pour les écrivains de la péninsule.
Des DIALECTES
La première caractéristique est l'existence, encore aujourd'hui, de dialectes régionaux quelquefois très différents de la langue officielle, qui est aussi celle des grands poètes : le toscan. Si Dante et Pétrarque écrivent la langue qu'ils parlent, pour d'autres poètes la langue écrite n'est pas celle qu'ils ont parlé dans leur enfance ou qu'ils continuent à utiliser dans la vie quotidienne. La prononciation, souvent l’orthographe, quelquefois les mots diffèrent, même si les locuteurs de deux dialectes se comprennent sans difficulté. Cette situation n'est pas sans conséquence : les poètes, pendant plusieurs siècles, ont vécu la poésie comme une tentative de parler avec pureté. Écrire, bien écrire, cela signifie choisir la langue pure, par opposition à la langue «impure» de la vie de tous les jours. Dès lors, les images et les thèmes ont tendance eux aussi à glisser vers l'idéalité, vers quelque chose de moins concret que ce qui a pu s'écrire chez les poètes français, par exemple. À l’inverse, les poètes du xxe siècle, comme Pier Paolo Pasolini, goûtent dans les dialectes une possibilité d’échapper à la pureté et aux mensonges du monde officiel : là où Rimbaud cherche dans la douleur à «trouver une
MICHEL-ANGE, PEINTRE ET POÈTE
On célèbre souvent en Léonard de Vinci le génie universel, mais on sait moins que Michel-Ange (14751564) fut, à côté de son œuvre de peintre, d'architecte et de sculpteur, un poète élégant. Quelques dizaines de sonnets amoureux forment un ensemble qui permet de mieux comprendre l'artiste, et notamment le rapport ambigu qu'il entretient avec le corps masculin.
langue», les poètes italiens ont à leur disposition des dialectes dont la rugosité savoureuse peut suffire à dire une vie que le toscan ne parviendrait plus à saisir.
Un rythme
Seconde caractéristique, l'italien a hérité du latin une forte accentuation, qui s'entend bien sûr dans les rues et les cafés, mais constitue surtout le fond de l'écriture poétique. Là où notre système prend surtout en compte la longueur des vers et la qualité des rimes, les poèmes italiens se définissent par le rythme de leurs vers : le jeu entre les syllabes accentuées et celles qui ne le sont pas définit des cellules rythmiques qui, à l'intérieur d'un vers, se répètent ou alternent selon des schémas convenus, directement hérités du latin. Les poètes classiques respectent ces schémas. Les poètes modernes, à la façon des nôtres qui pratiquent le vers libre, s'en affranchissent pour en trouver d'autres, préférant l'invention et la découverte aux règles et aux conventions.
«
jusqu'à
l'extrême, il est souvent
considéré comme un héritier de
Pétrarque ou un précurseur de
Mallarmé, cherchant à broder, de
métaphore en métaphore, un tissu
poétique aussi éloigné que possible
de la réalité vulgaire.
En France, ses
élèves et imitateurs sont connus sous
le nom de «précieux».
Mais la langue
des précieux français, exclusivement
élégante et savante, n'est pas aussi
savoureuse que celle de ce Napolitain
amateur de dialectes, qui glane dans
les régionalismes et les latinismes de
quoi enrichir un italien d'une variété
étourdissante.
LA
TRADmON ÉROnQUE
Si la Rome antique a connu, avec
Catulle et Martial, de grands poètes
érotiques, la tradition se perd pour
resurgir sous une forme populaire
et anonyme à la fin du Moyen Âge.
L'Arétin est le premier, à la
Renaissance, à donner ses lettres de
noblesse à la poésie légère, en les
écrivant dans une langue extrêmement
élaborée, et non plus dans la rude
matière des dialectes.
Il faut pourtant attendre Giorgio
(Zoni) Bldto, à Venise et au XVIII'
siècle, pour
que l'Italie
ait son
VITTORIO ALFIERI (1749·1803) grand
Étudié et célébré dans les écoles, poète
Al firri doit autant son renom à la érotique.
pureté Plus
de
classique de cinq cents
sa langue poèmes au style badin célèbrent les
qu'au choix plaisirs
de la chair, dans une langue
de ses
qui est un savoureux mélange de
thèmes, toscan
et de dialecte vénitien.
Le du
vérisme, les Louanges du ciel, de
la terre, des héros {1904-1912) sont
assez proches de la poésie de Péguy :
célébration lyrique mais ordonnée
des valeurs d'un monde aux vertus
intactes, où l'enthousiasme est
possible mais demande à se détourner
des passions mauvaises et de la
tentation du déclin.
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LEs POtns CRÉPUSCULAIRES
Peu connus, ils représentent une
génération intermédiaire, qui dans les
deux premières décennies du XX' siècle
tente de rompre avec l'écriture
symboliste et l'esthétique du sublime
pour se confronter à l'apre réalité
du monde.
Sergio Corazzini, Guido
Gouano, Marino Moretti, Corrado
Govani sont les principaux noms d'une
école éclipsée par le futurisme mais
que redécouvriront les poètes des
années 1960.
et en
poème oscille ainsi entre la pureté FILIPPO ToMMASo MARINETTI
particulier de la littérature classique et la crudité "(1:=8"'
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1 �94 ::.:4:�.)--,--,...,-,------,--- - à un d'un
langage précis et sans voile.
Comme son ainé D'Annunzio ,
nationalisme 1------------� Marinetti se jette à corps perdu dans
plein d'élan Zibaldone,
le comte Leopardi fait ses un
fascisme qu'il considère comme le
qui a touché au cœur les patriotes du débuts
en 1819 avec un poème intitulé salut de l'Italie.
Toutefois, dans son
siècle suivant.
Turinois comme Cavour L'Infini,
qui cas, il
s'agit moins d'un reniement de
(l'homme de l'unification italienne), est
aussi ses passions antérieures que du
il passe sa jeunesse à voyager, important
prolongement
logique d'une aventure
découvrant en chemin les penseurs dans
l'histoire poétique tournée vers la modernité :
politiques anglais et français.
Le succès littéraire
créateur
en 1909 d'un mouvement
de Cléopâtre (1775) ne l'empêche pas italienne
littéraire
et artistique franco-italien,
de réaliser qu'il parle mal l'italien, que
son
le futurisme, il fait l'apologie de la
ayant été élevé -comme tous les contemporain
jeunes nobles de son époque- en français,
Les
français.
Il part pour la Toscane, patrie
Méditations
de Dante, et, outre de nouvelles de Lamartine.
tragédies, se consacre à la poésie, Mémoire et sensations dialoguent en
recueillant des vers qui seront publiés
un jeu subtil qui fait du poème non
en 1804, juste après sa mort.
plus
seulement un récit ou une
génération plus jeune
qu'Alfieri,
Ugo
Foscolo a
en commun
avec lui un
patriotisme
fervent qui
le conduit
à prendre
les armes aux côtés des Français pour
délivrer Venise des Autrichiens, en
1799.
C'est aussi le thème du roman
épistolaire qui l'a rendu célèbre,
Dernières Lettres de Jacopo Ortis
(1802).
Lyrisme à la Werther,
enthousiasme nationaliste, tous ces
éléments se trouvent concentrés à
l'extrême dans un poème consacré en
1806 à la grandeur héroïque de ceux
qui sont morts pour la patrie : Les
Tombeaux.
Sur le plan formel, l'œuvre
reste classique; en ce qui concerne
les thèmes, elle est déjà romantique :
sentiments amoureux et patriotiques
s'entrecroisent dans un enthousiasme
communicatif.
GIACOMO lEOPARDI
(1798·1837)
Surtout connu pour son immense
recueil de notes inachevé, le description,
mais aussi le lieu d'une
expérience.
Le lyrisme devient une des
voies de la réflexion, une méthode de
découverte du monde, comparable
dans sa profondeur à la pensée
déductive.
Si Leopardi n'a donné
qu'une quarantaine de poèmes, il
prend place à la manière de Nerval
parmi les grands initiateurs de la
modernité :avec lui, la poésie est non
seulement un art, mais aussi une
manière d'être dans le monde.
GABRIELE D'ANNUNZIO
(1863·1938)
L'auteur du Triomphe de la mort
{1894), prince de Monte Nevoso,
est une personnalité fascinante.
Il commence sa carrière littéraire
dans l'univers feutré et raffiné du
symbolisme parisien pour finir dans
le costume d'un aventurier fasciste,
créateur d'un petit État conquis sur
les terres yougoslaves, la Ville libre
de Fiume.
En poésie, son écriture est
d'abord marquée par les atmosphères
fin-de-siècle et l'amour des adjectifs
rares, avant
d'amorcer une inflexion
vers une
ligne plus
dure : de
romanesque technique.
Ses ambitions sont
grandes : il s'agit de créer un homme
nouveau (mi-humain, mi-aéroplane,
dans Mafarka le futuriste, 1910) et de
détruire l'État bourgeois dégénéré.
Politiquement, on voit où cela peut
le conduire; poétiquement, et c'est
beaucoup plus intéressant, cela mène
l'écrivain à bouleverser la syntaxe,
mais aussi l'ordre des mots sur la
page, la ponctuation; l'essentiel à ses
yeux est de parvenir à créer un style
aussi vif et agité que la vie moderne.
Alexandrie, Ungantti vit
à Paris, où il
rencontre Apollinaire et
Marinetti, et
au Brésil.
C'est dans
la froideur
et la mitraille des tranchées de 1914
qu'il donne les premiers poèmes de ce
qui deviendra Vie d'un homme (1968).
Immédiatement reconnaissable,
l'œuvre d'Ungaretti est marquée par
l'extrême brièveté du vers et du
poème; une, deux, trois lignes,
quelques syllabes parfois suffisent à
cette écriture fulgurante qui vise à
trancher directement dans le réel.
SALVATORE
QUASIMODO (1901-1968)
Un peu oublié
aujourd'hui,
Quasimodo a
obtenu le prix
Nobel en 1959
représentative
de la poésie
de son époque.
Issue du symbolisme
et marquée par l'influence de
D'Annunzio, elle porte en elle des
souvenirs de l'Antiquité et ouvre la
voie d'un lyrisme tourné vers le
cosmos.
La Terre incomparable {1958)
est le plus bel exemple de cette
écriture exigeante, dense et réflexive,
où le rapport entre l'homme et la
nature est interrogé dans toute sa
difficulté, mais aussi toutes ses
promesses.
UMBERTO SABA
(1883·1957)
En marge des courants littéraires de
son époque, Saba est l'auteur d'un
journal en vers et en prose (Il
Canzionere) où il collectionne les
notes sur la vie populaire et sa propre
existence, s'attachant notamment à
faire revivre ses souvenirs d'enfance.
Son idéal littéraire est la transparence,
l'expression aussi limpide que possible
de sentiments essentiels.
EU,ENIO MONTALE (1896·1981)
Chef de file de l'école «hermétique»
qui domine le paysage littéraire italien
de l'entre-deux-guerres, Montale
s'inspire des
expériences mallarméennes
pour créer une
œuvre dense où
le paysage -et
en particulier la
côte ligure -est
au centre d'une
réflexion sur
la place de l'homme dans le cosmos.
La Tourmente {1957) est sans doute le
moment le plus intense de cette œuvre
inquiète, où le rythme obsédant reflète
les angoisses de l'auteur.
S'il est surtout
connu pour le
journal publié
, après son suicide
(Le Métier de
vivre), Pavrsr est
aussi l'auteur de
brefs romans et
de poèmes réunis
dans un mince recueil au titre
fulgurant : La mort viendra et elle aura
tes yeux.
Angoissé par le poids d'une
existence difficile, Pavese trouve dans
l'écriture une délivrance incomplète.
LE
GROUPE 63
C'est de la revue Officina, créée par
Pasolini, que surgit au début des
années 1960 le Groupe 63, créé en
référence au Groupe 47 qui a
révolutionné la littérature allemande.
Après le futurisme des années 1910
et l'hermétisme des années 192û-
1930, c'est une nouvelle avant-garde
qui s'impose, retenant de Pasolini
et des communistes la leçon de
méfiance politique et une vocation
révolutionnaire qui vont se manifester
dans la critique
et l'imitation
des codes
linguistiques de
l'Italie moderne.
Edoardo
Sanguinetti est la
principale figure
du groupe, mais
on peut citer aussi
Pagliarini, Giuliani,
Balestrini, Porta, et enfin le théoricien
de la bande, UMiet1o Eco.
la guerre de l'écriture hermétique
représentée par Montale, Saba ou
Quasimodo.
Si son écriture s'éclaircit
et s'ouvre aux questions de son
époque, il n'en continue pas moins de
mener une réflexion philosophique sur
l'être, l'espace, le temps.
Pin PAOLO PASOLINI (1922·1975)
Cinéaste de renom, Pasolini est aussi
l'auteur d'une œuvre en prose et en
vers particulièrement intéressante,
aussi bien pour
le choix du
dialecte frioulan
que pour
l'intensité de
l'engagement
politique et de
la réflexion
lyrique sur le
sens de la vie.
Qui je suis
(posthume, 1980) peut en être
considéré comme l'aboutissement,
mais les amateurs préfèrent souvent
les port raits et impressions des
premiers poèmes, recueillis dans
La Nouvelle Jeunesse (1974).
EDOARDO SANCUINETTI
(NÉ EN
1930)
Principale figure du Groupe 63,
Sanguinetti a notamment donné
Capricio italiano {1963) et Le Noble
Jeu de l'oie (1967).
D'une modernité
agressive à ses débuts, son écriture
se fait ensuite plus lisible, jouant avec
les vocables et les cou tumes d'une
Italie contemporaine qui lui semble
vide de sens.
GIANNI D'ELIA (Nt EN
1953)
S'il est hasardeux de choisir parmi
les poètes vivants celui que l'histoire
retiendra, on peut avancer le nom
de Gianni D'Elia parce que, plus
que d'autres, il a le sentiment de
représenter une génération.
Désillusion, titre d'un long poème
publié en 1991, en serait le mot clé :
après l'engagement de la génération
Pasolini et du Groupe 63, les poètes
contemporains s'aventurent à nouveau
MARIO Luz1
(1914·2005)
dans les dialectes pour tenir la
L'influence de Mallarmé est
chronique d'une époque en demi-
fondamentale pour ce poète qui fait
teinte, dont la prose et la logique ne
ses débuts avec un texte très obscur, La peuvent dire les doutes ni les
Barque (1935), mais se détourne après impasses..
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