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LA RÉCEPTION DE L'OEUVRE: L'ILE AUX ESCLAVES

Publié le 05/06/2015

Extrait du document

« L'Île des esclaves de Marivaux est une utopie. Des domestiques grecs, " dans le ressentiment des outrages qu'ils avaient reçus de leurs patrons ", ont pris la mer et ont occupé une île. D'abord, ils ont tué tous les maîtres que " le hasard ou le naufrage " conduisaient dans l'île. Puis ils ont trouvé mieux : ces maîtres, au lieu de les supprimer, ils les réédu­quent.

« La pièce commence quand un maître atteint à la nage le sable de l'île, suivi par son domestique.

« Survient l'un des dirigeants politiques de l'île — lui-même accompagné de deux naufragées récentes, une " dame" et sa femme de chambre.

« L'île des esclaves nous fait assister à la rééducation des deux maîtres par les deux esclaves. Le mécanisme inventé par Marivaux est surprenant. Il ne s'agit pas d'un amusement d'esprit. Marivaux annonce clairement des faits politiques d'aujourd'hui, comme les expériences de critique-réforme ou la rééducation des propriétaires terriens par les paysans pau­vres en Chine maoïste, ou telles séquences de films gauchistes sur les épreuves que des ouvriers font subir à des patrons séquestrés.

« Premier stade de la cure : les deux domestiques — esclaves analysent la situation. Ils ont été dépersonnalisés, c'est là leur grief le plus grave. On leur a ôté leurs vêtements, ils ont dû en porter d'autres. On leur a ôté leurs noms, ils ont dû en accepter d'autres (cela se pratique de nos jours encore dans des familles rétrogrades qui n'autorisent pas une femme de chambre ou une cuisinière à porter son prénom si par exemple la fille de la famille le porte déjà). Enfin, les esclaves montrent bien comment la domination des maîtres, les humiliations, une violence sourde et parfois ouverte, ont achevé, jour par jour, cette dépersonnalisation.

« Deuxième stade de la cure : le responsable politique oblige les deux maîtres à se déshabiller et à endosser la livrée des deux esclaves. Il oblige ensuite les maîtres à changer de noms, à répondre à des noms d'esclaves quand on leur parle. Puis les maîtres doivent écouter attentivement une nouvelle

analyse critique de la conduite qu'ils ont eue, celle-là plus détaillée, plus " historique ", faite par les deux esclaves. Le responsable exige ensuite des maîtres, malgré leur répugnance, qu'ils souscrivent entièrement, ouvertement, à cette critique.

 

«  Troisième stade : sous les regards des maîtres, les deux esclaves engagent une sorte de psychodrame, en " jouant " les patrons. La scène est frappante. Vêtus en domestiques, rebap­tisés domestiques, les ex-patrons, obligés de percevoir cette satire déformée d'eux-mêmes, parcourent plusieurs états de découverte, de honte, peut-être d'autocritique, mais cela n'est pas explicite.

« La réception de l'œuvre 121 maîtres y sont traités avec la dernière rigueur, la sévérité de cette loi n'étant que pour les maîtres, et non pour les esclaves.

Arlequin ne veut pas sortir d'un heureux séjour, où il va être maître à son tour; il se fait par avance un plaisir d'avoir sa revanche des mauvais traitements qu'lphicrate lui a fait essuyer.

Son maître le veut punir de son insolence; mais Arlequin le menace de le faire punir lui-même des menaces qu'il ose lui faire.

Pendant leur contestation, un des chefs de cette nouvelle république arrive, il prend le parti d'Arlequin, il les fait changer de noms, de sort et d'habits; il exhorte lphicrate à se corriger de son orgueil, s'il veut recouvrer sa liberté; il commence par l'obliger à faire l'aveu de ses fautes passées, ce qu'Iphicrate ne fait qu'avec peine; mais Arlequin lui en épargne le soin, par un récit qu'il fait des sottises de son maître devant ce chef des nouveaux républicains.

Ce chef fait connaître comment, et sur quoi leur république a été fondée.

Des esclaves maltraités de leurs maîtres se sauvèrent de quelques villes de Grèce, formèrent une colonie et à la faveur de quelques vaisseaux qu'ils armèrent, ils vinrent aborder l'Isle où se passe l'action théâtrale.

Dans les premières années de leur fondation ils firent périr tous les maîtres que les vents et leur mauvais sort poussèrent sur leurs côtes; mais devenus enfin plus traitables, ils se contentèrent de les condamner au même esclavage qu'ils avaient fait subir aux autres, avec cette différence qu'ils pourraient mériter leur liberté par leur amen­ dement.

« Euphrosine et Cléanthis, qui ont fait naufrage avec Iphicrate et Arlequin, jouent à peu près le même rôle dont on vient de parler; mais Silvia s'en acquitte avec des grâces qui la mettent au rang des meilleures actrices qui aient encore paru sur nos théâtres.

« Arlequin et Cléanthis s'oublient à tel point dans leur nouvelle fortune, qu'ils projettent un double mariage : savoir du valet avec la maîtresse, et du maître avec la servante.

Cette dernière dureté afflige tellement lphicrate et Euphrosine qu'ils en versent des larmes.

Arlequin et Cléanthis en sont pénétrés jusqu'au fond du cœur; ils se jettent aux pieds de leurs premiers maîtres, et leur demandent pardon de s'être oubliés jusqu'à les mépriser.

Cette double scène est très touchante.

Le chef des républicains en est touché lui-même; et sollicité par les anciens esclaves de rendre la liberté à leurs maîtres, il y consent, et leur promet de les renvoyer incessamment à Athènes, d'où ils sont partis.

Arlequin et Cléanthis veulent être du voyage, persuadés que leurs maîtres en useront mieux. »

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