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LA REPETITION, OU L'ART DE JOUER FAUX

Publié le 20/01/2020

Extrait du document

> CORPUS

J. ANOUILH, La Répétition ou l’amour puni, extrait de l’acte II, 1951.

Texte : Jean Anouilh, La Répétition, II, 1951

Tigre, le comte, souhaite donner une représentation théâtrale dans son château. Il a choisi La Double Inconstance de Marivaux. Il attribue le rôle de Sylvia à Lucile, qu ’il aime. Celle-ci a été introduite au château par M. Damiens, son-tuteur et homme d’affaires de la comtesse. La comtesse Éliane, son amant ridicule, Villebosse, la maîtresse du comte, Hortensia, et Héro, fttard amer et cynique, seront également de la distribution.

Alors que Lucile vient de repousser les avances du comte, la répétition reprend.

Le COMTE, commence. C’est bon. Répétons. « Hé quoi, Sylvia, vous ne me regardez pas ? Vous devenez triste toutes les fois que je vous aborde, j’ai toujours le chagrin de penser que je vous suis importun1. » LUCILE - « Bon. Importun ! Je parlais de lui tout à l’heure. »

5 Le COMTE - « Vous parliez de moi ? Et qu’en disiez-vous belle Sylvia ? » LUCILE - « Oh ! je disais bien des choses. Je disais que vous ne saviez pas encore ce que je pensais. »

Le COMTE - « Je sais que vous êtes résolue à me refuser votre cœur et c’est là savoir ce que vous pensez. »

 LUCILE - « Vous n’êtes pas si savant que vous le croyez. Ne vous vantez pas tant. Mais dites-moi, vous êtes honnête homme et je suis sûre que vous me direz la vérité, vous savez comme je suis avec Arlequin, à présent prenez que j’aie envie de vous aimer, si je contentais mon envie, ferais-je bien ? ferais-je mal ? Là, conseillez-moi, dans la bonne foi. »

15 Le COMTE - « Comme on n’est pas le maître de son cœur, si vous aviez envie de m’aimer, vous seriez en droit de vous satisfaire, voilà mon sentiment. »

 

.../...

 

Dès qu’ils ont ouvert la bouche, le son de leur propre voix les enchante comme la flûte d’un charmeur de serpents. Ils s’engourdissent de plaisir en s’entendant et ils croient, dur comme fer, que nous partageons leur extase. Le naturel, le vrai, celui du théâtre, est la chose la moins naturelle du monde, ma chère. N’allez pas croire qu’il suffit de retrouver le ton de la vie. D’abord dans la vie le texte est toujours si mauvais ! Nous vivons dans un monde qui a complètement perdu l’usage du point-virgule, nous parlons tous par phrases inachevées, avec trois petits points sous-entendus, parce que nous ne trouvons jamais le mot juste. Et puis le naturel de la conversation, que les comédiens prétendent retrouver : ces balbutiements, ces hoquets, ces hésitations, ces bavures, ce n’est vraiment pas la peine de réunir cinq ou six cents personnes dans une salle et de leur demander de l’argent, pour leur en donner le spectacle. Ils adorent cela, je le sais, ils s’y reconnaissent. Il n’empêche qu’il faut écrire et jouer la comédie mieux qu’eux. C’est très joli la vie, mais cela n’a pas de forme. L’art a pour objet de lui en donner une précisément et de faire par tous les artifices possibles - plus vrai que le vrai. Mais je vous ennuie. Je commence à me prendre au sérieux, moi aussi. Attaquons le deux2. À vous, Sylvia.

LUCILE, à Hortensia. — « Oui je vous crois. Vous paraissez me vouloir du bien. Aussi vous voyez que je ne souffre que vous. Je regarde tous les autres comme mes ennemis. Mais où est Arlequin ? »

HORTENSIA - « Il va venir, il dîne encore. »

HÉRO, dans son verre, lorgnant Villebosse qui rumine dans son coin. - Erreur ! Il ne dîne pas, il souffre. Et s’il a l’air de dîner c’est qu’il remâche sa rancœur.

VILLEBOSSE — Monsieur, je vous ai déjà dit que je ne vous parlais pas ! Ma patience a des bornes, sachez-le.

Le COMTE — Héro, sois sérieux pour une fois !

HÉRO — Impossible mon cher, je ne suis pas encore ivre. Je serai sérieux un peu plus tard.

LUCILE — « C’est quelque chose d’épouvantable que ce pays-ci ! Je n’ai jamais vu de femmes si civiles, d’hommes si honnêtes. Ils ont des manières si douces, tant de révérences, tant de compliments, tant de signes d’amitié. Vous diriez que ce sont les meilleurs gens du monde, qu’ils sont pleins de cœur et de conscience. Quelle erreur ! »

(Au comte)

Je passe ?

Le COMTE — Oui. Passez. Vous dites tout cela fort bien...

LUCILE —... « Ne valoir rien, tromper son prochain, lui manquer de parole, être fourbe et mentir. Voilà le désir des grandes personnes de ce maudit endroit-ci. Qu’est-ce que c’est que ces gens-là ? D’où sortent-ils ? De quelle pâte sont-ils ? »

> TRAVAIL D'ÉCRITURE [16pts]

I - Commentaire

Faites le commentaire de la fin de cet extrait, de « Non. C’est trop joli. Continuez » (l. 110) à la fin.

II - Dissertation

Le comte déclare : « Le naturel, le vrai, celui du théâtre, est la chose la moins naturelle du monde... »

En vous appuyant sur le corpus et les pièces que vous connaissez, vous commenterez et apprécierez cette affirmation.

III - Écrit d'invention

Une troupe de comédiens amateurs répète une scène de la pièce qu’ils travaillent. L’un des leurs occupe le rôle du metteur en scène. Il entre en conflit avec les autres comédiens. Sous la forme d’un dialogue théâtral, imaginez cette répétition.

le champ lexical du théâtre dans le texte (« Répétons », 1. 1 ; « le texte »,

1. 29, 47 ; « dernière scène », 1. 35 ; « en scène », 1. 121). Le comte interprète le rôle du Prince, mais il est aussi le metteur en scène. C’est lui qui dirige les acteurs, c’est pourquoi il emploie des impératifs (« Soyez charmante », 1. 55 ; « ne l’oubliez pas », 1. 56) et des futurs à valeur injonc-tive (« Nous passerons les tirades de Sylvia », 1. 52, 53). Le comte est également là pour critiquer le jeu de ses interprètes (« Je vous trouve un peu méchante dans votre scène avec Sylvia », 1. 54) ou les encourager (« Bien, Hortensia », 1. 117). Les autres personnages, en particulier Lucile qui interprète le rôle de Sylvia et Hortensia celui de Flaminia, se contentent de jouer. Les répliques extraites de la pièce de Marivaux sont indiquées entre guillemets (« LUCILE : « [...] Par-dessus le marché, cette fidélité n’est-elle pas mon charme ? » (Au comte) Je passe ? », 1. 97., 110).

Ce procédé d’écriture offre un double avantage à Anouilh. Le premier est interne à la pièce. La répétition est en effet une occasion pour les personnages d’explorer les méandres de leurs relations amoureuses : leurs vrais sentiments risquent de se dévoiler à travers le texte de Marivaux. Ainsi, le comte cherche à savoir pour quelle raison Lucile se refuse à lui, il croit trouver la réponse dans une réplique de Sylvia (LUCILE : « Ne vous mêlez pas de deviner... » LE COMTE, la coupe soudain : C’est cela, pardi ! [...] Vous m’avez menti, vous aimez quelqu’un. », 1. 25, 26). Le procédé de théâtre dans le théâtre a également un intérêt externe à l’intrigue. Il permet à l’auteur d’amorcer avec son public une réflexion sur le théâtre. Le comte, en tant que metteur en scène, exprime son point de vue sur le théâtre et défend en particulier l’idée qu’il faut jouer faux, de manière artificielle. Il s’exprime de manière excessive par des jeux de mots (« Le naturel [...] au théâtre, est la chose la moins naturelle du monde », 1. 64) ou des hyperboles (« dans la vie le texte est toujours si mauvais ! », 1. 66), il ne faut donc pas nécessairement le prendre au sérieux, mais ces formules provocantes amènent le spectateur à réagir, à se poser des questions. La réflexion amorcée par le comte se poursuit dans la construction de la scène : en mettant en scène une répétition, Anouilh démonte en effet l’illusion du théâtre, souligne le caractère artificiel du spectacle.

Le procédé de théâtre dans le théâtre mis en scène dans cet extrait sert donc à la fois l’intrigue et la réflexion de l’auteur sur l’art dramatique.

> COMMENTAIRE (plan détaillé)

Introduction

Jean Anouilh, dramaturge aux multiples visages, apparaît comme un véritable expérimentateur qui explore à la fois les ressources de la comédie

« l Amérique du Sud, novembre 2003 LUCILE -« Me parlez-vous en ami ? » LE COMTE -« Oui, Sylvia, en homme sincère.

» 20 LUCILE -«C'est mon avis aussi; j'ai décidé de même et je crois que nous avons raison tous les deux, ainsi je vous aimerai, s'il me plaît, sans qu'il ait le plus petit mot à dire.

» LE COMTE-« Je n'y gagne rien, car il ne vous plaît point.

» LUCILE -«Ne vous mêlez pas de deviner ...

» 25 LE COMTE, la coupe soudain.

-« C'est cela, pardi ! C'est tout simple.

Vous m'avez menti, vous aimez quelqu'un.

Quelque petit jeune homme qui s'occupe aussi de puériculture et à qui vous écrivez quatre grandes pages tous les soirs dans votre chambre.

LUCILE -Je crois que nous ne dites plus le texte.

30 LE COMTE -Je vous pose une question.

Répondez-moi, tout de suite.

Ils vont entrer.

LUCILE, le regarde et dit gravement.

-Non.

Je n'aime personne et je n'ai encore jamais aimé.

(Les autres entrent.) 35 LA COMTESSE -Alors cette dernière scène ? LE COMTE- Elle va fort bien.

Nous trouvons que nous avons beaucoup de talent, tous les deux.

LA COMTESSE -Nous qui en avons moins, il faudrait peut-être que nous répétions aussi.

10 LE COMTE - Voulez-vous que nous reprenions toute la pièce ? M.

Damiens dit qu'il est encore incertain.

LA COMTESSE -M.

Damiens a l'habitude du public.

Du temps qu'il était aux Assises, il a toujours arraché les larmes à qui il voulait.

Ils' en tirera sûre­ ment mieux que nous tous.

45 MONSIEUR DAMIENS -Voire! J'étais bien jeune, madame, à l'époque, j'avais le trémolo moins honteux.

Et puis j'avais de grandes manches.

Et le texte était de mon cru.

LA COMTESSE-Ne vous faites pas plus modeste que vous n'êtes, monsieur Damiens, par cabotinage, pour vous faire entendre encore une fois.Je n'ai 50 pas de craintes pour vous.

D'ailleurs nous n'avons plus le temps de revoir toute la pièce avant le dîner.

Nous la verrons ce soir.

LE COMTE -Dans ce cas reprenons le début du deuxième acte.

Nous passe­ rons les tirades de Sylvia.

Ma chère Hortensia, c'est pour vous qu'on répète.

Je vous trouve un peu méchante dans votre scène avec Sylvia.

C'est cousu 55 de fil blanc.

Soyez charmante, vous le pouvez.

Il faut la duper, cette fille­ là, ne l'oubliez pas.

HORTENSIA, se pique soudain.

-Si vous pensez que je ne peux pas tenir le rôle, mon petit Tigre ...

LE COMTE -Hortensia, il vous va comme un gant! Je ne vous demande 60 qu'une nuance ...

Ces comédiens sont des gens impossibles, décidément.

71. »

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