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LA VIE ET LA CARRIERE POLITIQUE DE LAMARTINE

Publié le 30/06/2011

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lamartine

Cette politique à laquelle Lamartine a immolé son grand rêve du Poème, tâchons de bien la comprendre. Elle est d'ordinaire jugée si légèrement, si sévèrement ! On y voit l'ambition d'un homme avide de bruit, le divertissement d'un oisif qui s'ennuie et qui jetterait son pays aux pires aventures à seule fin de se procurer des émotions inédites ; on répète communément que la politique de ce poète est un tissu d'incohérences, de contradictions, d'idées fausses et de généreuse folie. Il faut cependant regarder les choses d'un peu plus près. La vérité est fort différente de ce que la légende accrédite. Lamartine n'a pas décidé, un beau jour, par je ne sais quelle saute d'humeur, de faire peau neuve et de quitter les vers pour la tribune. Ce qu'il lui arrive de nommer son «diable au corps politique «, le tient de longue date. En 1815, on le voit déjà entretenir son oncle François-Louis d'un opuscule qu'il a été sur le point de faire imprimer et qui touche aux conditions nouvelles de la société ; le 8 février 1816, quatre ans avant les Méditations, il confie à son camarade Vaugelas qu'il publie « des articles politiques « dans plusieurs journaux de Paris. On est très royaliste, très ardemment fidèle aux Bourbons dans sa famille ; on y a détesté l'Usurpateur ; dans ce Manuscrit de ma mère, si trompeur, plein de retouches un peu impies et de textes même entièrement apocryphes, Lamartine prêtera à sa mère des sentiments plus libéraux que n'étaient, en réalité, les siens. Mme de Lamartine tenait la liberté de la presse pour une « peste «, une invention « infernale «. Son fils, en 1820, pensait absolument comme elle ; « je n'ai jamais cru — déclare-t-il à Eléonore de Canonge le 28 janvier 1819 — en fait de gouvernement, qu'à une seule chose qui est la force « ; et il continue : « quand on croit à la raison souveraine des peuples éclairés, on ne les connaît pas du tout ; par conséquent on n'est pas fait pour les gouverner «.

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« échouera, et que le Roi peut fort bien y perdre son trône.Lorsqu'il est reçu, solennellement, à l'Académie, en avril 1830, Lamartine, qui prend la parole pour la première fois,glisse dans son discours une allusion très précise à la Charte ; et, sous forme d'éloge, il indique à la Monarchie queson « seul titre » de gloire est de se montrer, sans défaillance, « la tutrice des droits et des progrès du genrehumain ».

C'était exactement l'inverse de ce que les acharnés de la Congrégation, ses anciens amis, Rohan en tête,attendaient de lui.

Ils purent même observer que, dans l'édition des Harmonies, Lamartine supprima les vingt derniersvers de cette Cantate qu'il avait publiée en novembre, vingt vers trop nettement courtisans, et désormaiscompromettants peut-être, en l'honneur du duc de Bordeaux, « doux espoir de la France »...La Révolution de juillet ne surprend pas beaucoup La- martine ; la catastrophe lui paraissait inévitable ; lesBourbons, dit-il, « se sont suicidés ».

Mais il importe qu'ils n'entraînent pas la France avec eux dans l'abîme, c'est-à-dire que leur chute ne doit pas être le signal d'une subversion générale.

Or Lamartine redoute, plus que tout,l'anarchie, les saturnales de la plèbe.

C'est un campagnard, grand propriétaire ; il a horreur de tout ce qui porteatteinte à la sécurité des possédants.

Déjà se constituent dans les villes, par suite du développement de l'industrie,des armées de prolétaires.

Il sait que le danger de demain est là, que la vraie question n'est déjà plus politique, maissociale.

Ne le diminuons pas, d'ailleurs ; voyons-le bien tel qu'il était : un homme riche et qui craint pour ses biens,certes ; mais aussi, un homme qui croit en conscience, et de toute son âme, que la Propriété est sainte ; qu'elle estla grande loi civilisatrice, et que l'ordre social fondé sur elle est le seul viable, le seul concevable, l'ordre mêmeprescrit par Dieu.

Il est pour sa part d'une charité sans bornes (et qui ne contribuera pas peu à rendre toujoursimpossible l'équilibre de son budget) ; il a cette conception chrétienne du riche qui fait de l'homme qui possède un «dispensateur » ; il veut, non pas que les propriétaires disparaissent mais qu'au contraire ils se multiplient : « je neveux pas, écrira-t-il à Virieu en octobre 1837, qu'un petit nombre possédant la terre par privilège inaliénable,empêche les autres d'arriver légitimement à la possession et à la conservation séculaire, comme nous...

Aristocratiedes lois et des propriétés excluant inévitablement les autres, jamais ! Egalité et justice sont un seul mot ; or, justiceet Dieu c'est un seul mot encore ; donc démocratie libre de la propriété.

» Tel est le but.

Mais pour que l'on puisse seulement songer à se mettre en route dans cette direction, encore faut-ilque l'ordre règne, d'abord.

« La première nécessité de l'homme en société c'est l'ordre conservé ou rétabli ;l'idéal ne vient qu'après.

» En 1830 tout est menacé, et Lamartine contemple avec indignation la « folie » deslégitimistes qui prêchent la politique du pire, parlent de s'allier aux extrémistes républicains, sans se rendre comptequ'eux les possédants, les conservateurs-nés, ils se font ainsi les complices d'une révolution sociale qui perdraittout.

« Tout plutôt que l'anarchie ! plutôt que cette niaise et honteuse complicité avec les ennemis de nos ennemis,qui nous dévoreraient après eux ! » (à Virieu, août 1830).

Quant à lui, son parti est pris ; ce n'est pas le moment des'inquiéter « si le drapeau a trois couleurs au lieu d'une, si ce qui subsiste de monarchie, de liberté, de religion, destabilité s'appelle Pierre ou Paul ».

Un gouvernement s'est constitué autour du duc d'Orléans.

Va pour le ducd'Orléans ! Le mérite immense de ce Pouvoir, quel qu'il soit par ailleurs, c'est d'exister.

Au moins c'est une police, uninstrument de contrainte, de quoi faire tenir tranquilles les émeutiers, les pillards et les utopistes.

« Ceci oul'anarchie la plus effroyable, voilà la question » (à Virieu, 21 septembre 1830).

Il prêtera serment au nouveau roi,sans la moindre hésitation.Ce serment qu'il vient prononcer à Paris, en septembre, il l'accompagne toutefois de sa démission de diplomate.Attitude dont il se glorifie à maintes reprises, comme d'un sacrifice méritoire accompli sur l'autel de sa fidélitécarliste ; en 1830, dira-t-il dans une longue lettre publique (au journal L'Union, 4 janvier 1859) où il brosse letableau de toute sa carrière politique, « je me dépouille de toutes mes fonctions, de tous mes traitements, detoutes mes ambitions naturelles et je les dépose sur le cercueil de la monarchie légitime ».Pluriels de majesté ; et par surcroît l'immolation était peu coûteuse.

Dès 1828, et même avant, Lamartine avaitsongé à démissionner.

Secrétaire d'ambassade à trente- neuf ans, il s'estimait bien chichement traité par lesbureaux, et même positivement brimé.

De plus, ce n'était pas l'heure d'aller s'expatrier, même pour diriger uneLégation, même avec le titre d'ambassadeur, quand, en octobre 1830, il atteignait précisément l'âge qui allait enfinlui permettre de se faire nommer député.Cette démission qu'il remet à Louis-Philippe — dans les termes, d'ailleurs, les plus convenables et les plusrespectueux,— Lamartine peut la présenter à sa famille, à ses amis, à la postérité, comme une marque de sondésintéressement chevaleresque et comme la retraite fière d'un « royaliste de naissance » qui « porte le deuil de sacause vaincue » ; elle ne lui en est pas moins merveilleusement opportune.

S'il l'eût donnée deux ans plus tôt,comme il avait été tenté de le faire, elle n'aurait pas eu cette commodité qu'elle revêt à présent de se laisserprendre pour un héroïsme.

Lamartine en tire un double avantage : elle le délivre d'un métier qui lui pesait et lui ouvreles portes de la politique militante ; elle le met en posture d'homme d'honneur stoïque, capable de tous les sacrificespar « délicatesse de sentiment ».Le voici désormais indépendant.

Cette liberté lui est précieuse.

Il a plus d'une fois souffert d'en être privé, sousCharles X, lorsque sa position de salarié l'obligeait à garderie silence, ou à ne s'exprimer qu'avec une prudenceextrême.

Il est sans liens, maintenant, ni bâillon.

Sa résolution est bien arrêtée de ne s'en jamais laisser mettre, den'accepter jamais du nouveau gouvernement ni faveur, ni mission, encore moins les offres qui pourront venir departiciper aux responsabilités du pouvoir.Louis-Philippe s'est trouvé là providentiellement pour jeter par-dessus le gouffre une planche de salut.

Mais iltombera, la planche cassera, les périls suprêmes, écartés pour l'instant, redeviendront terribles.

L'échéance estseulement retardée ; de cela Lamartine est sûr ; cette pensée s'impose à lui avec la force d'une évidence.

Le « roides barricades » était, dit-il, « promis au détrônement, à date incertaine, mais à jour fixe ».

(Mémoires politiques.)Louis Blanc, qui ne devine pas encore, en 1840, quel adversaire il a devant lui, fait honneur à Lamartine, dans sonHistoire de dix ans, d'avoir compris, l'un des premiers en France, que « la question des prolétaires » est devenuedésormais capitale.

Nous touchons là, en effet, à la plus profonde pensée, peut-être, de la politique lamartinienne.Cet homme que l'on a tenu pour un fantasque imaginatif, il a, au contraire, dans l'esprit, une continuité de vuessaisissante.

Il vit avec la certitude que des jours menaçants approchent et toute sa manœuvre consiste à chercher. »

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