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[L'arrivée dans Eldorado] CANDIDE DE VOLTAIRE (lecture analytique du chapitre XVII)

Publié le 05/07/2011

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voltaire

Cacambo, qui donnait toujours d'aussi bons conseils que la vieille, dit à Candide : «Nous n'en pouvons plus, nous avons assez marché; j'aperçois un canot vide sur le rivage, emplissons-le de cocos, jetons- 5 nous dans cette petite barque, laissons-nous aller au courant; une rivière mène toujours à quelque endroit habité. Si nous ne trouvons pas des choses agréables, nous trouverons du moins des choses nouvelles. - Allons, dit Candide, recommandons- 10 nous à la Providence.« Ils voguèrent quelques lieues entre des bords tantôt fleuris, tantôt arides, tantôt unis, tantôt escarpés. La rivière s'élargissait toujours; enfin elle se perdait sous une voûte de rochers épouvantables 15 qui s'élevaient jusqu'au ciel. Les deux voyageurs eurent la hardiesse de s'abandonner aux flots sous cette voûte. Le fleuve, resserré en cet endroit, les porta avec une rapidité et un bruit horribles. Au bout de vingt-quatre heures ils revirent le jour; mais leur 20 canot se fracassa contre les écueils ; il fallut se traîner de rocher en rocher pendant une lieue entière; enfin ils découvrirent un horizon immense, bordé de montagnes inaccessibles. Le pays était cultivé pour le plaisir comme pour le besoin; partout l'utile était 25 agréable. Les chemins étaient couverts ou plutôt ornés de voitures d'une forme et d'une matière brillante, portant des hommes et des femmes d'une beauté singulière, traînés rapidement par de gros moutons rouges qui surpassaient en vitesse les plus 30 beaux chevaux d'Andalousie, de Tétuan et de Méquinez. «Voilà pourtant, dit Candide, un pays qui vaut mieux que la Westphalie.«

L'arrivée de Candide en Amérique est marquée par la désillusion : espérant trouver un monde en accord avec son optimisme, il y rencontre les mêmes maux qu'en Europe. A peine arrivé à Buenos Aires, il est à nouveau séparé de Cunégonde, et doit s'enfuir devant les envoyés de l'Inquisition partis à sa recherche. Il se réfugie en compagnie de son valet Cacambo chez les Jésuites du Paraguay, où il retrouve miraculeusement le frère de Cunégonde devenu commandant. Il lui annonce son intention d'épouser sa sœur, mais le baron qui ne veut pas d'un tel mariage s'emporte et Candide le transperce d'un coup d'épée. Il est ensuite capturé avec son valet par les sauvages Oreillons qui s'apprêtent à les manger. Cacambo sauve la situation grâce à son ingéniosité.   

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« petite barque, laissons-nous aller au courant» (l.

2-6).

Dans ces quelques paroles se retrouvent tous les traits ducaractère de Cacambo : prévoyance avec l'idéede remplir l'embarcation de «cocos», c'est-à-dire ici de noix de coco qui leur éviteront de mourir de faim; goût del'aventure avec l'exagération: «jetons-nous»; optimisme avec sa confiante soumission au hasard : «laissons-nousaller au courant»; bon sens avec la certitude de trouver un lieu d'accueil : «une rivière mène toujours à quelqueendroit habité» (l.

6-7).

La dernière phrase apporte la clef du personnage : «Si nous ne trouvons pas des chosesagréables, nous trouverons du moins des choses nouvelles» (l.

7-9).

Curieux de tout et attiré par la nouveauté àlaquelle il s'adapte avec souplesse, Cacambo contraste avec son maître Candide qui, prisonnier de sa visiondogmatique des choses, fait preuve d'immobilisme.D'ailleurs, cet abandon spontané au hasard : «lais- sons-nous aller au courant» (l.

5), est aussitôt corrigé parCandide en abandon à la Providence : «Allons, dit Candide, recommandons-nous à la Providence» (l.

9-10).

Parcette traduction intellectuelle et morale de l'invitation de Cacambo, il confirme que pour lui, il n'y a pas de hasard,mais une intention supérieure qui préside au cours des événements, conformément à la doctrine «optimiste» dePangloss. • L'épreuve du mal (l.

11 à 21)Commence alors une descente en canot qui exprime symboliquement la situation de l'homme dans l'univers etreprend les grands thèmes du roman.

La fragilité de l'homme face à l'immensité du monde où les contraires secôtoient est soulignée par la répétition de l'adverbe «tantôt» et par les antithèses qui opposent «fleuris» à «arides»et «unis» à «escarpés» [l'antithèse est une figure de style consistant à opposer deux mots, deux expressions oudeux pensées contraires] : «Ils voguèrent quelques lieues entre des bords tantôt fleuris, tantôt arides, tantôt unis,tantôt escarpés» (l.

11-13).

La rivière devient le symbole de la vie tumultueuse des personnages, et l'on retrouvedans cette «descente aux enfers» les caractères du monde hostile parcouru par Candide : «La rivière s'élargissaittoujours; enfin elle se perdait sous unevoûte de rochers épouvantables qui s'élevaient jusqu'au ciel» (l.

13-15).

L'adjectif «épouvantables» fait écho àl'expression «fracas épouvantable» du chapitre sur l'auto-da-fé et concentre l'horreur de la situation, faite dehasard et d'absurde.

Quant aux «rochers (...) qui s'élevaient jusqu'au ciel», ils soulignent encore le dénuement et lapetitesse de l'homme.Cela n'empêche pas «les deux voyageurs» d'avoir «la hardiesse de s'abandonner aux flots» (l.

15-17); le verbe«s'abandonner» reprend l'idée de la Providence et confirme l'optimisme des personnages.

Mais cette «hardiesse» lesexpose à des dangers plus grands encore : «Le fleuve, resserré en cet endroit, les porta avec une rapidité et unbruit horribles» (l.

17-18).

Les éléments se déchaînent; la «rivière» devient «fleuve»; l'adjectif «horribles», trèsfréquent dans le roman (cf.

Texte 7) et mis en relief à la fin de la phrase, apporte une fois de plus la réponse de lanature à la confiance aveugle de Candide; l'horreur est soulignée par les allitérations [répétition expressive de lamême consonne] en «r» : «Le fleuve, resserré en cet endroit, les porta avec une rapidité et un bruit horribles.»Enfin le changement de sujet traduit l'impuissance des personnages : sujets de la phrase qui décrit leur abandon naïfà la Providence : «Les deux voyageurs eurent la hardiesse de s'abandonner...» (l.

15- 16), ils deviennent objets desforces de la nature : «Le fleuve, resserré en cet endroit, les porta...

» (l.

17-18).La descente s'achève d'une façon dramatique par la destruction du canot, les allitérations en «c» mimant la forcedu fracas : «Mais leur canot se fracassa contre les écueils» (l.

19-20).

L'emploi du tour impersonnel : «Il fallut setraîner de rocher en rocher» (l.

20-21), en ôtant aux héros leur qualité de sujets de l'action prolonge le thème deleur impuissance.

Survient alors un renversement propre aux lois du merveilleux : Candide et Cacambo arrivent dansun paradis. • La révélation de valeurs nouvelles (l.21 à 33) L'adverbe «enfin» marque une rupture : il met en relief, aprèsl'horreur de la descente, la perfection d'Eldoradoque nous découvrons à travers le point de vue émerveillé des voyageurs : « Enfin ils découvrirent un horizonimmense, bordé de montagnes inaccessibles» (l.

21-23).

Ces «montagnes inaccessibles» qui clôturent le pays fontd'emblée d'Eldorado un monde en marge, sans relation avec l'extérieur, et la vision de «l'horizon immense» après lesténèbres du fleuve le place sous le signe de la lumière et de la liberté.

«Le pays était cultivé pour le plaisir commepour le besoin; partout l'utile était agréable» (l.

23-25).

Le verbe «cultiver», dont c'est ici le seul emploi dans leroman avant le dernier chapitre, suggère l'idée d'un bonheur fondé sur le travail.

Ce terme sera une des bases de lasagesse de Candide quand il s'écriera finalement : «Il faut cultiver notre jardin.» La présence annonciatrice de cemot indique par ailleurs la valeur d'exemple qu'aura pour le jeune homme l'utopie d'Eldorado.Quant à l'idée de joindre «le plaisir» et «le besoin», «l'utile» et «l'agréable», elle est une des façons traditionnellesde définir la perfection en art.

Cette définition apparaît par exemple dans Y Art poétique du poète latin Horace :utile dulci miscere (mêler l'utile à l'agréable).

Cet idéal caractérise aussi un art de vivre cher à Voltaire.La dernière phrase du paragraphe avec son rythme large et régulier présente l'image d'une société heureuse : «Leschemins étaient couverts ou plutôt ornés de voitures d'une forme et d'une matière brillante, portant des hommes etdes femmes d'une beauté singulière, traînés rapidement par de gros moutons rouges qui surpassaient en vitesse lesplus beaux chevaux d'Andalousie, de Tétuan et de Méquinez» (l.

25-31).

Tous les éléments de ce tableau indiquentune civilisation évoluée qui répond à l'idéal défini plus haut.

«Les chemins» sont l'indice d'une organisation sociale;dans le monde sauvage des Oreillons, il n'y avait «aucune route» (cf.

début du ch.

XVI).

La rectification «ou plutôtornés» montre que les relations entre les gens ne sont pas seulement économiques, mais aussi tournées versl'agrément.

L'expression «d'une forme et d'une matière brillante» à propos des voitures est un clin d'œil de Voltaireau lecteur, car grâce au titre du chapitre il comprend, avant les personnages,qu'il s'agit d'or.

La «beauté singulière» des habitants témoigne de leur culture développée et de leur éducation; son. »

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