Devoir de Philosophie

L'ART ET LE STYLE DANS HAMLET

Publié le 10/03/2011

Extrait du document

   Il s'agit, non pas d'étudier l'art de Shakespeare dans l'ensemble de son œuvre, mais de se limiter à Hamlet, dont on dit merveille. Par sa structure, son exécution, la mise en valeur des caractères, cette tragédie est-elle « la plus belle création littéraire de tous les temps ? «. N'a-t-elle pas ses défauts comme ses qualités ?

« avec le langage populaire des soldats qui montent la garde (A.I, Sc.l) et des fossoyeurs qui plaisantent la mort (A.V,Sc 1), avec le langage pédant, déclamatoire et lourd de Polonius (A.II,Sc.l), avec le langage théologique etliturgique du Roi en prière (A.III, Sc.3) et le même langage employé au cours de l'enterrement d'Ophélie (A.V, Sc.l),avec le langage technique de l'escrime, de la vénerie, de la médecine que l'on trouve çà et là dans la pièce, avec lelangage déclamatoire des comédiens, que Hamlet critique rudement (A.III, Sc.2), avec le style précieux et affectédes gens de cour, qu'il parodie pour faire rire le public (le personnage d'Osric, A.V, Sc.l), avec le style emphatique,entaché de mauvais goût, dont Hamlet use lorsqu'il écrit à Ophélie (A.II, Sc.2).

Bref, Shakespeare n'a pas un style,mais des styles.

Il sait les ressources de la langue, et il en use parfois jusqu'à l'excès.

Ces styles ne nuisent en rienà la poésie qui, pour Shakespeare, est sans doute l'art suprême, ou, tout au moins, une inégalable parure.

DansHamlet, comme dans les autres tragédies, comme dans la plupart des comédies, le vers alterne avec la prose, sansqu'on puisse déterminer d'une manière précise à quel mobile obéit cette alternance, sans doute calculée.

Aucuntraducteur ne s'en explique clairement, et presque tous présentent leur traduction entièrement en prose, estimantsans doute qu'ils ne pourraient rendre ni le rythme ni la poésie exacts du vers.

Pourquoi Shakespeare use-t-il duvers blanc, du vers libre alterné — souvent en passages brusques dans une même scène — avec la prose ? Il n'estpas le seul, à son époque, à en user, mais on aimerait savoir quelles nuances ce vers introduit dans les paroles etdans la psychologie de tel ou tel personnage. En revanche, on saisit mieux l'extrême importance que Shakespeare accorde à l'image, car l'imagerie est la ressourceessentielle de toute poésie.

Le poète parle par images et par symboles.

Shakespeare les accumule, en forme desgroupes, emprunte les unes et les autres au règne végétal, au règne animal, aux arts et métiers, aux techniquesartisanales.

Les exemples sont multiples, chaque scène contenant des images, comparaisons, métaphoresextrêmement variées, souvent inattendues, toujours évocatrices.

La mythologie lui offre des rapprochementscurieux et fréquents : Ossa, Hercule, Hypérion, Neptune, Mars, Jupiter, Mercure, l'Olympe, etc...

La religionchrétienne lui permet d'avoir recours aux enfers rebelles, au ciel maudit, aux damnés, aux anges, aux démons, auxforces surnaturelles, simples apostrophes qui ne posent pas de questions angoissées face à l'infini et qui netrahissent pas de véritables préoccupations métaphysiques.

Tout au plus permettent-elles à Shakespeare detourner en dérision la destinée humaine. Certes, il est très difficile à un étranger de sentir cette poésie si typiquement anglaise et parfois si proche de lamusique, car elle est intraduisible, et traduire c'est trahir.

André Gide a montré qu'il nous est à peu près impossiblede saisir la valeur de telle expression, de tel vers, dont parfois le sens nous échappe, comme il échappe quelquefoisaux Anglais eux-mêmes.

Car Shakespeare écrit souvent à la diable, pour la scène, non pour la lecture ; ce qu'il veut,c'est « évoquer coup sur coup de vives images ; peut-être même escompte-t-il certain étonnement ébloui à lafaveur duquel passeront les métaphores discordantes et les termes contradictoires.

Ce n'est pas à la raison qu'ils'adresse, mais à l'imagination et au cœur, qui n'ont que faire d'ergoter ».

N'ergotons donc pas, et croyons ce quenous en dit, par exemple, Romain Rolland, lorsque, plein d'admiration, il vante, à propos d'Hamlet, « la beauté de laforme, la douceur attendrie du modelé, la musique des lignes et des couleurs qui baigne les contours secs et durs dela réalité ».

Acceptons les éloges, qui vont jusqu'au dithyrambe, de la poésie shakespearienne.

Cette poésie, il estaussi malaisé à un Français de la saisir qu'il est malaisé à un Anglais de saisir la poésie de Racine.

Acceptons aussiles réserves et qu'on nous dise, par exemple, que le style du IVme acte d'Hamlet, loin d'être poétique, est lourd,confus et entortillé.

A chacun sa religion et son goût littéraires. Ce qui est hors de doute, c'est que Shakespeare mêle un réalisme cru, parfois grossier, à une poésie sombre, lapoésie de la peur, de la nuit et de la mort.

« Voici, dit Hamlet, l'heure la plus sombre de la nuit, l'heure oùs'entr'ouvrent les tombes, où l'enfer exhale sa contagion sur le monde.

Maintenant je pourrais boire le sang chaud etexécuter de funestes besognes que le jour frémirait de voir » (A.III, Sc.2).

Poésie d'un romantisme macabre ! Maisparfois cette poésie se pare d'images cosmologiques, car l'astronomie préoccupe les Anglais d'alors. « Doute que les étoiles soient de flamme, Boute que le soleil se meuve...

» C'est ainsi qu'Hamlet écrivait à Ophélie, se référant deux fois dans une seule strophe à des notions astronomiques »,remarque Fred Hoyle.

Les chansons que chante Ophélie ne sont pas non plus sans grâce ; elles relèvent d'un folkloredont on goûte la saveur populaire (A.

IV, Sc.5).

En revanche, les deux scènes qui mettent aux prises Hamlet avecOphélie, puis avec sa mère, sont un exemple de la vulgarité et de l'impitoyable dureté dont il use avec les femmes ;vulgarité et dureté qui passent dans le vocabulaire et lui donnent un caractère percutant dont les délicats seplaignent.

La scène du cimetière est également très réaliste et le langage des fossoyeurs, leurs chansons plus oumoins narquoises, ont une authentique valeur.

Mais les méditations d'Hamlet sur les corps exhumés font contrepoidset donnent à la scène ce caractère macabre, cette poésie de la mort et du néant rendus tangibles, à portée de lamain, terme définitif de toute destinée.

Poésie teintée d'une philosophie assez banale.

Car on ne s'est pas fait fautede nous rappeler notre néant, depuis le Pulvis es et le Vanitas Vanitatum de l'Ecclésiaste.

Shakespeare a du moins lemérite de rendre spectaculairement sensibles cette poussière et cette vanité, de les faire toucher du doigt à unpublic oublieux du sort qui l'attend.

Faut-il aller plus loin et lui prêter gratuitement l'intention de résoudre desproblèmes abstraits ? S'agit-il ici de savoir si l'on peut trouver la vérité et vivre avec elle, si la tragédie d'Hamlet est« le frisson du savoir aux limites de l'homme », si elle cherche à découvrir un juste milieu entre la carence et l'excèsdu sentiment ?.

C'est tomber d'un cas particulier dans des considérations générales qui dépassent ce cas.

Hamletn'est pas un philosophe ; c'est un homme qu'une situation douloureuse oblige à réfléchir par moments sur lui-mêmeet sur le train du monde ; ce n'est pas non plus un homme d'action. Faut-il chercher enfin les secrets d'un art qui, chez Shakespeare, est plus instinctif, primitif et spontané que réfléchi. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles