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« Le bord de la mer », livre III, XV, Victor Hugo

Publié le 17/01/2022

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hugo

HARMODIUS  La nuit vient. Vénus brille.    L'ÉPÉE  Harmodius ! c'est l'heure.    LA BORNE DU CHEMIN  Le tyran va passer.    HARMODIUS  J'ai froid, rentrons.    UN TOMBEAU  Demeure.    HARMODIUS  Qu'es-tu ?    LE TOMBEAU  Je suis la tombe. - Exécute ou péris.    UN NAVIRE A L'HORIZON  Je suis la tombe aussi, j 'emporte les proscrits.    L'ÉPÉE  Attendons le tyran.    HARMODIUS  J'ai froid. Quel vent !    LE VENT  Je passe.  Mon bruit est une voix. Je sème dans l'espace  Les cris des exilés, de misère expirants,  Qui sans pain, sans abri, sans amis, sans parents,  Meurent en regardant du côté de la Grèce.    VOIX DANS L'AIR  Némésis ! Némésis ! lève-toi, vengeresse !    L'ÉPÉE  C'est l'heure. Profitons de l'ombre qui descend.    LA TERRE  Je suis pleine de morts.    LA MER  Je suis rouge de sang.  Les fleuves m'ont porté des cadavres sans nombre.    LA TERRE  Les morts saignent pendant qu'on adore son ombre.  À chaque pas qu'il ait sous le clair firmament  Je les sens s'agiter en moi confusément.    UN FORÇAT  Je suis forçat, voici la chaîne que je porte,  Hélas ! pour n'avoir pas chassé loin de ma porte  Un proscrit qui fuyait, noble et pur citoyen.    L'ÉPÉE  Ne frappe pas au cœur, tu ne trouverais rien.    LA LOI  J'étais la loi, je suis un spectre. Il m'a tuée.    LA JUSTICE  De moi, prêtresse, il fait une prostituée.    LES OISEAUX  Il a retiré l'air des cieux et nous fuyons.    LA LIBERTÉ  Je m'enfuis avec eux - ô terre sans rayons,  Grèce, adieu !    UN VOLEUR  Ce tyran, nous l'aimons. Car ce maître  Que respecte le juge et qu'admire le prêtre,  Qu'on accueille partout de cris encourageants,  Est plus pareil à nous qu'à vous, honnêtes gens.    LE SERMENT  Dieux puissants ! à jamais, fermez toutes les bouches !  La confiance est morte au fond des cœurs farouches.  Homme, tu mens ! Soleil, tu mens ! Cieux, vous mentez !  Soufflez, vents de la nuit ! emportez, emportez  L'honneur et la vertu, cette sombre chimère !    LA PATRIE  Mon fils ! Je suis aux fers. Mon fils, je suis ta mère !  Je tends les bras vers toi du fond de ma prison.    HARMODIUS  Quoi ! le frapper, la nuit, rentrant dans sa maison !  Quoi ! devant ce ciel noir, devant ces mers sans borne !  Le poignarder, devant ce gouffre obscur et morne,  En présence de l'ombre et de l'immensité !    LA CONSCIENCE  Tu peux tuer cet homme avec tranquillité !

Formant un paysage qui évoque une géographie infernale (où les «fleuves « portent des « cadavres sans nombre«, où la terre «sans rayon « sent s'agiter en elle les morts innombrables), êtres animés et inanimés interviennent tour à tour pour accuser le tyran et convaincre Harmodius de le tuer.  La culpabilité du tyran. Tous les crimes du tyran sont ici rappelés: le vol, qui le distingue des « honnêtes gens«, les meurtres « sans nombre«, les déportations et les proscriptions (« les cris des exilés«), l'emprisonnement des suspects (v. 17-19)... et, plus fondamentalement, la transgression des valeurs morales fondatrices de la démocratie (Loi, Serment, Justice, Liberté, «l'honneur et la vertu « — clairement rejetés par l'enjambement expressif) et l'asservissement de la Patrie (v. 33-34).   

hugo

« LES OISEAUXIl a retiré l'air des cieux et nous fuyons. LA LIBERTÉJe m'enfuis avec eux - ô terre sans rayons,Grèce, adieu ! UN VOLEURCe tyran, nous l'aimons.

Car ce maîtreQue respecte le juge et qu'admire le prêtre,Qu'on accueille partout de cris encourageants,Est plus pareil à nous qu'à vous, honnêtes gens. LE SERMENTDieux puissants ! à jamais, fermez toutes les bouches !La confiance est morte au fond des cœurs farouches.Homme, tu mens ! Soleil, tu mens ! Cieux, vous mentez !Soufflez, vents de la nuit ! emportez, emportezL'honneur et la vertu, cette sombre chimère ! LA PATRIEMon fils ! Je suis aux fers.

Mon fils, je suis ta mère !Je tends les bras vers toi du fond de ma prison. HARMODIUSQuoi ! le frapper, la nuit, rentrant dans sa maison !Quoi ! devant ce ciel noir, devant ces mers sans borne !Le poignarder, devant ce gouffre obscur et morne,En présence de l'ombre et de l'immensité ! LA CONSCIENCETu peux tuer cet homme avec tranquillité ! Enjeu du texte: Faut-il tuer Napoléon III? Ce poème, écrit comme une pièce de théâtre, met en scène les réflexions d'Harmodius (personnage auquel Hugodonne le nom d'un tyrannicide de l'Antiquité grecque), avant le meurtre qu'il doit commettre pour débarrasser laPatrie du tyran.

Posté au «bord de la mer », attendant le passage de sa victime, son épée à la main, il est soudainpris de doutes.

Son épée, puis l'ensemble du paysage à la fois naturel et mental qui l'entoure prennent alors laparole pour le pousser à l'acte.A travers leur échange, Hugo pose le problème, central dans le recueil, de la nature du châtiment à infliger àNapoléon III: faut-il tuer le tyran? Un cadre romantique et symboliqueHugo utilise pour cette scène trois éléments caractéristiques du drame romantique : un cadre nocturne, la présencedu surnaturel, la richesse symbolique de l'intrigue.La force de l'évocation.

La scène se passe la nuit, moment propre aux réunions de conspirateurs et auxmanifestations surnaturelles.

On peut rappeler par exemple que quatre des cinq actes d' Hernani se déroulaient lanuit, comme du reste le troisième acte de Lorenzaccio, occupé par les monologues du héros.

La précision, donnéedès les premiers mots « la nuit vient», est reprise plus loin : « l'ombre qui descend», notation amplifiée par l'écho duson nasalisé de « Profitons», le verbe qui précède.

Cette nuit laisse la « terre» « sans rayons», le « ciel» « noir» ettransforme la mer en « gouffre obscur».Le lieu est désertique, évoquant par exemple la lande sur laquelle s'ouvre L'homme qui rit, un roman de Hugo.

Commeelle, il est au « bord de la mer», dans ce lieu partagé entre la terre et l'eau, lieu de métamorphoses et de danger, «territoire du vide» comme le désigne l'historien Alain Corbin.

La mer s'étend à l'infini: ici nulle balise pour le « navire àl'horizon», le pluriel même (« mers sans borne») semble en souligner « l'immensité».

Ce lieu est balayé par « le vent»glacé, qui devient « les vents de la nuit», plus inquiétant encore de cette multiplication.

Simple « chemin» avec sa «borne», auprès duquel fut élevé un tombeau, accessoire romantique qui trouva son plus bel emploi à l'acte IV d'Hernani.Le surnaturel.

Le texte donne la parole aux éléments mêmes du décor (la Borne du chemin, le Tombeau, le Vent, laTerre, la Mer, les Oiseaux), suivant le procédé de la prosopopée, souvent utilisé par Shakespeare, auteur deréférence pour les romantiques: on songe en particulier à l'ouverture de Macbeth, située sur une lande déserte, oùtrois sorcières poussent le héros à tuer le roi Duncan.La nature n'est pas la seule à interpeller le héros.

Les valeurs bafouées par le tyran participent également au. »

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