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« Le bord de la mer », livre III, XV, Victor Hugo

Publié le 10/11/2010

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hugo

 

HARMODIUS La nuit vient. Vénus brille. L'ÉPÉE Harmodius ! c'est l'heure. LA BORNE DU CHEMIN Le tyran va passer. HARMODIUS J'ai froid, rentrons. UN TOMBEAU Demeure. HARMODIUS Qu'es-tu ? LE TOMBEAU Je suis la tombe. - Exécute ou péris. UN NAVIRE A L'HORIZON Je suis la tombe aussi, j 'emporte les proscrits. L'ÉPÉE Attendons le tyran. HARMODIUS J'ai froid. Quel vent ! LE VENT Je passe. Mon bruit est une voix. Je sème dans l'espace Les cris des exilés, de misère expirants, Qui sans pain, sans abri, sans amis, sans parents, Meurent en regardant du côté de la Grèce. VOIX DANS L'AIR Némésis ! Némésis ! lève-toi, vengeresse ! L'ÉPÉE C'est l'heure. Profitons de l'ombre qui descend. LA TERRE Je suis pleine de morts. LA MER Je suis rouge de sang. Les fleuves m'ont porté des cadavres sans nombre. LA TERRE Les morts saignent pendant qu'on adore son ombre. À chaque pas qu'il ait sous le clair firmament Je les sens s'agiter en moi confusément. UN FORÇAT Je suis forçat, voici la chaîne que je porte, Hélas ! pour n'avoir pas chassé loin de ma porte Un proscrit qui fuyait, noble et pur citoyen. L'ÉPÉE Ne frappe pas au cœur, tu ne trouverais rien. LA LOI J'étais la loi, je suis un spectre. Il m'a tuée. LA JUSTICE De moi, prêtresse, il fait une prostituée. LES OISEAUX Il a retiré l'air des cieux et nous fuyons. LA LIBERTÉ Je m'enfuis avec eux - ô terre sans rayons, Grèce, adieu ! UN VOLEUR Ce tyran, nous l'aimons. Car ce maître Que respecte le juge et qu'admire le prêtre, Qu'on accueille partout de cris encourageants, Est plus pareil à nous qu'à vous, honnêtes gens. LE SERMENT Dieux puissants ! à jamais, fermez toutes les bouches ! La confiance est morte au fond des cœurs farouches. Homme, tu mens ! Soleil, tu mens ! Cieux, vous mentez ! Soufflez, vents de la nuit ! emportez, emportez L'honneur et la vertu, cette sombre chimère ! LA PATRIE Mon fils ! Je suis aux fers. Mon fils, je suis ta mère ! Je tends les bras vers toi du fond de ma prison. HARMODIUS Quoi ! le frapper, la nuit, rentrant dans sa maison ! Quoi ! devant ce ciel noir, devant ces mers sans borne ! Le poignarder, devant ce gouffre obscur et morne, En présence de l'ombre et de l'immensité ! LA CONSCIENCE Tu peux tuer cet homme avec tranquillité !

 

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hugo

« LA JUSTICEDe moi, prêtresse, il fait une prostituée. LES OISEAUXIl a retiré l'air des cieux et nous fuyons. LA LIBERTÉJe m'enfuis avec eux - ô terre sans rayons,Grèce, adieu ! UN VOLEURCe tyran, nous l'aimons.

Car ce maîtreQue respecte le juge et qu'admire le prêtre,Qu'on accueille partout de cris encourageants,Est plus pareil à nous qu'à vous, honnêtes gens. LE SERMENTDieux puissants ! à jamais, fermez toutes les bouches !La confiance est morte au fond des cœurs farouches.Homme, tu mens ! Soleil, tu mens ! Cieux, vous mentez !Soufflez, vents de la nuit ! emportez, emportezL'honneur et la vertu, cette sombre chimère ! LA PATRIEMon fils ! Je suis aux fers.

Mon fils, je suis ta mère !Je tends les bras vers toi du fond de ma prison. HARMODIUSQuoi ! le frapper, la nuit, rentrant dans sa maison !Quoi ! devant ce ciel noir, devant ces mers sans borne !Le poignarder, devant ce gouffre obscur et morne,En présence de l'ombre et de l'immensité ! LA CONSCIENCETu peux tuer cet homme avec tranquillité ! Dans ses Châtiments, Hugo entreprend de dénoncer Napoléon III, l'empereur qui a soumis la patrie à une dominationsans merci et en a fait le pays du mensonge et de la corruption.

Dans plusieurs poèmes du recueil, le dialoguethéâtral fait irruption dans la poésie: Hugo a déjà dans son oeuvre fait parler les morts «assassinés» par l'empereur.Dans « Le bord de la mer», il met en scène la nature tout entière — terre, mer, oiseaux...

— et les allégories deréalités abstraites — patrie, justice — qui encouragent Harmodius, tyrannicide de l'Antiquité grecque, à délivrer lepays d'un tyran sans merci.

Dans cette scène à grand spectacle, effrayante et épique, que le lecteur doittransposer au xixe siècle, Hugo donne la parole aux opprimés du régime: chacun, comme dans un procès, vientexprimer ses griefs qui sont autant de raisons de passer à l'acte, cependant qu'Harmodius est en proie à unevéritable «tempête » intérieure, à une difficile délibération : faut-il tuer ou non le tyran ? Le meurtre d'un tyran est-il légitime? Quel châtiment mérite Napoléon? Le poème donne une réponse, en même temps qu'il formule des griefsgraves, véritable acte d'accusation, qui constitue en lui-même déjà un «châtiment» pour Napoléon. [1.

Une scène romantique à grand spectacle] Le poème prend la forme d'une scène de théâtre à grand spectacle, saisissante et grandiose, et présente descaractéristiques épiques. [1.1.

Les personnages: multiplicité et variété] Le « plateau » est abondamment occupé par une multiplicité de personnages variés: parmi les êtres humains,figurent Harmodius, le protagoniste —futur tyrannicide —, le forçat, le voleur.

La nature entière avec tous leséléments —terre, air sous la forme du «vent», mer — est représentée sur scène et parle; le feu lui aussi est présentà travers l'étoile «Vénus» qui « brille».

La faune prend la forme des «oiseaux» qui fuient.

Même les objets ont prisvie, tous symboliques: l'épée (celle de la vengeance), la borne (lieu du futur crime), le navire (qui emporte lesproscrits exilés), le tombeau (des morts massacrés par l'empereur).

Enfin, des entités abstraites apparaissent sousforme d'allégories: loi, justice, liberté, serment, patrie, conscience.

Les «Voix dans l'air» — souvenir du choeurantique — élargissent ce théâtre grandiose aux dimensions de l'univers et lui donnent une atmosphère épique...

Dix-sept personnages animent cette scène à grand spectacle, qu'on serait bien en peine de mettre en scène et quiserait plutôt un « spectacle dans un fauteuil » (Musset). Cette multiplicité des personnages rend compte de l'universel débat, alors impossible sous le Second Empire: Hugodonne ainsi la parole à ceux qui ne l'ont pas; lui-même affirmait: «Mon bruit est une voix.». »

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