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LE CARACTÈRE DE MARCEL PROUST

Publié le 05/04/2011

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       Aucune discordance parmi les innombrables témoignages apportés au procès de Marcel Proust, souvenirs, lettres, portraits : amis, camarades, relations, ennemis, tous s'accordent à« le présenter comme un être unique, d'une originalité déroutante, bizarre en tous points, aussi bien pour la conduite de sa vie, de ses affaires, de sa santé, que dans ses goûts et ses manières. Tous s'accordent à dire aussi que l'on « subissait sa grâce «, et cette fascination remonte à son enfance. Les premiers amis des Champs Elysées et de Condorcet; les seconds, du Monde et des Lettres; les derniers, de la Gloire, sont unanimes sur ce point : on n'échappait point au charme de Marcel Proust, fût-on par ailleurs exaspéré, choqué, rebuté par des défauts ou des attitudes que l'on n'eût tolérés chez personne d'autre que lui. Ce charme semble avoir tenu pour une grande part à un don de jeunesse qu'il avait, et même d'enfance, « grand enfant lucide «, gardant, à travers tout, une fraîcheur et une ingénuité désarmantes.

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« l'affaiblir, mais il ne le crée jamais. « La maladie n'est pas, comme on l'a dit, la cause de ce magnifique état d'attention mouvementée, où certains sontallés jusqu'à voir une déformation morbide.

Elle fut, pour Proust, l'occasion, courageusement saisie et utilisée,d'exploiter ses dons prodigieux; elle lui donna le loisir, l'isolement qu'il y fallait, et aussi des éléments nouveaux; maispour résister à la lassitude, et tirer parti de son mal lui-même, ne voit-on pas qu'il fallait, au contraire, unesurprenante santé intellectuelle.

» (Louis Martin-Chauffier, Nouvelle Revue Française, janvier 1923). Dans une lettre qu'il écrivait à dix-sept ans, Marcel Proust manifestait déjà une étonnante passion pour la recherchepsychologique.

Cet aveu se renouvelle dans sa correspondance à toutes les époques de sa vie : ...

l'intérêt qui me pousse à continuer ce débat est le plaisir de discuter, l'amour de la logique et la fureur del'investigation.

(Lettre à Antoine Bibesco). Il écrit dans le Temps Retrouvé, ce livre hâtivement composé dans ses dernières années, dont il ne vit jamais lesépreuves, et que l'on peut considérer comme sa confession : J'avais beau dîner en ville, je ne voyais pas les convives, parce que, quand je croyais les regarder, je lesradiographiais. Nous verrons en détail, en étudiant l'œuvre, jusqu'où le mena l'introspection; et dans quelle mesure on doit dire qu'ilprocéda par induction scientifique, afin d'établir sur des bases inébranlables sa création littéraire. Marcel Proust eut de réelles connaissances médicales.

Ce malade, personnification de la médecine en faillite, donnaitde judicieux conseils à ses amis.

Sa correspondance garde la trace de leurs remerciements et de leurreconnaissance.

Lucien-Alphonse Daudet a publié une lettre étonnante, véritable consultation, suivie d'uneordonnance détaillée. Il a répondu lui-même, et de quel ton, peu avant sa mort, à cette accusation formulée contre lui avec tant depersistance.

« Etes-vous snob ? » lui demandait une dame au salon très achalandé. En soi, elle (cette question) n'a aucun sens ; si dans les très rares amis qui continuent par habitude à venirdemander de mes nouvelles, il passe çà et là un prince ou un duc, ils sont largement compensés par d'autres amisdont l'un est valet de chambre et l'autre chauffeur d'automobile et que je traite mieux.

Ils se valent d'ailleurs.

Lesvalets de chambre sont plus instruits que les ducs et parlent un plus joli français, mais ils sont plus pointilleux surl'étiquette et moins simples, plus susceptibles.

Tout compte fait, ils se valent.

Le chauffeur a plus de distinction. Déjà avant 1914, donnant des conseils à un ami (Antoine Bibesco), il traça idéalement ce portrait moral, qui rappellecurieusement Kipling. Tâche de rester comme tu es, revivifiant perpétuellement tes actes et tes paroles d'une pensée créatrice, nelaissant aucune place à la convention, car ce qu'on croit un simple ridicule mondain ou une simple méchanceté est lamort de l'esprit.

Mais continue à vivre ainsi, sincèrement, irrespectueusement, spontanément, et je te le dis, nondans le sens religieux, mais dans celui d'immortalité littéraire. Un des critiques les moins bienveillants pour Marcel Proust (Pierre Abraham), remarque qu'il eut à dominer, pourconcevoir, construire et achever son œuvre, « l'ennemi le plus dangereux » : la complaisance. « Complaisance de pensée, complaisance d'imagination, complaisance de style...

Proust restera l'exemple d'untempérament qui, soumis à toutes les complaisances d'une nature à la fois indolente et charmeuse, s'en dégage peuà peu et, d'un dernier coup de reins, accède aux rigueurs de la pensée courageuse.

De la complaisance aucourage...

Ainsi pourrait s'intituler l'œuvre.

» Mais ce courage se manifesta durant sa vie mondaine d'une façon éclatante, courage moral et courage physique.Courage moral : allant dans le Monde, fréquentant le faubourg Saint-Germain, Marcel Proust qui pouvait resterneutre, qui n'avait aucun intérêt personnel à défendre, ni à protéger, ni à espérer, prit ouvertement parti en faveurde Dreyfus pendant l'Affaire.

On a dit qu'il obéissait à son atavisme racial, sa mère étant juive.

Mais son père étaitBeauceron, et qui se mêlera de partager les influences héréditaires? Et dans un caractère comme le sien? LéonDaudet qui fut son ami, anti-dreyfusard militant, n'a jamais émis cette hypothèse.

Il a pensé que la générositécertaine de Marcel Proust le faisait voler à la défense d'un accusé qu'il croyait innocent.

Le fait qui nous intéresseici, c'est que, par son attitude, ce jeune homme, à qui le Monde était alors si nécessaire, risqua délibérément deperdre son crédit chez des gens dont la fréquentation lui semblait indispensable. Sa « gentillesse », c'est toujours Léon Daudet qui parle, fit qu'il trouva moyen d'empêcher ses amis de se brouiller.Lui-même, sa tolérance l'aidant, mit de l'apaisement dans les milieux les plus passionnés pour ou contre. Courage physique : Marcel Proust eut plusieurs duels.

Certes, c'était de rigueur à l'époque; certes, il y avaitsouvent une comédie, un semblant.

Certes, aussi, le milieu mondain n'eût pas admis une dérobade.

Mais il reste lefait : lui, malade, émotif, nerveux, il a risqué.

Et, même s'il n'a pas réellement couru de danger, il ne le savait pas, il. »

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