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LE GENIE DE RACINE DANS ANDROMAQUE

Publié le 30/04/2011

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Nous essaierons d'analyser les caractères de ce génie, d'en donner le comment. Mais le pourquoi reste inexplicable ; les documents nécessaires nous manquent. Songeons en effet à ce qui est pour l'essentiel la véritable originalité d'Andromaque. Ce n'est pas le sujet, ces amours sans réciprocité qui entraînent le heurt des passions ; ce n'est pas la curiosité et la justesse de l'analyse psychologique qui saisit les contradictions des cœurs déchirés entre des sentiments opposés ; ce n'est pas la violence furieuse de ces cœurs qui se laissent entraîner jusqu'au crime. Tout cela, il faut bien le répéter, se rencontre constamment chez les prédécesseurs immédiats de Racine. Mais il manque à tout cela, chez tous ces prédécesseurs, une âme. Nous sommes devant un théâtre de marionnettes, devant des gens de métier dont les marionnettes imitent la vie, mais dont nous voyons les ficelles et l'inévitable raideur. Dans Andromaque au contraire, malgré les conventions du théâtre classique, nous ne sommes plus en présence d'un auteur, mais en présence d'une humanité à laquelle Racine communique la même vie que si nous étions mêlés à elle dans la vie. Le génie, dans Andromaque, ce n'est pas surtout la vérité, la vérité abstraite de l'observation. Il y en a en réalité pas mal chez Thomas Corneille ou Quinault. C'est la vérité vivante ; et pathétique parce qu'elle est vivante. 

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« héroïque à la Corneille qu'une tragédie « doucereuse » à la Quinault ; et à une tragédie des Amours d'Ovide dontnous ne savons pas davantage mais qui, de toute évidence, devait être plus galante que « grande ».

Il rime lesBains de Vénus où ne pouvait se mirer dans l'onde cristalline qu'une Vénus de ruelle et non celle qui, dans Phèdre,est tout entière à sa proie attachée.

Il les appelle d'ailleurs lui-même une « galanterie ».

Aussi bien il s'exerce auxgenres que les ruelles cultivent avec délices.

Non pas à tous, car il est incapable de donner à plein dans le goûtprécieux ; il ne semble pas qu'il se soit soucié d'énigmes, d'impromptus, de bouts-rimés, de madrigaux.

Mais il veutécrire dans le style Voiture.

On a beaucoup commenté ses lettres de jeunesse, faute de pouvoir appuyer lescommentaires sur celles de sa maturité qui ont disparu.

On a été justement frappé par leur sécheresse ironique, parleur désinvolture spirituelle, par tout ce qu'elles montrent d'intelligence et le peu qu'elles montrent de sensibilité.

Jene suis pas sûr qu'elles soient des témoignages véritables.

N'oublions pas que, de l'aveu de tous, il y a, à cettedate, deux sortes de lettres : les lettres personnelles et intimes ; et les lettres destinées à être montrées.

Cesdernières sont à la fois un moyen d'information et un véritable genre littéraire, l'un de ceux qui vous donnent le plussûrement une réputation de bel-esprit.

Nous savons par Racine lui-même que les lettres de Le Vasseur à Racine sontde celles que l'on montre : « Elles se communiquent à tout le monde...

Chacun les veut voir et on ne les lit pas tantpour apprendre des nouvelles que pour voir la façon dont vous les savez débiter.

» Il n'y a pas de raison pour que LeVasseur n'ait pas, lui aussi, communiqué les lettres de Racine.

Racine, du moins, savait que son ami pouvait le faireet il n'est pas douteux qu'il a voulu montrer qu'il avait la bonne façon de débiter les nouvelles.

Cette façon étaitalors non le « style Balzac », passé de mode, mais le « style Voiture » où l'on trouvait autant de ravissement qu'auxbeaux jours de la Chambre bleue.

Manifestement, et d'ailleurs avec goût, Racine s'exerce au style Voiture, à celuiqui ne prend des choses que le divertissement.

Le vrai Racine s'attachait peut-être à elles plus qu'il ne convenait austyle à la mode.

Un des perfectionnements mondains et précieux du style Voiture est la lettre, qui n'est ni toutentière en prose, ni tout entière en vers, mais qui est mêlée de prose et de vers.

Le genre fait fureur depuis unedizaine d'années.

Il a donné naissance à de petits chefs-d'œuvre : le voyage « tant vanté » de Chapelle etBachaumont ; les lettres de La Fontaine à sa femme sur son voyage en Limousin.

Racine s'efforcera donc à mêlerharmonieusement une prose délicate et des vers agréables.

Il écrit en prose et vers à La Fontaine, à Antoine Vitart,à Le Vasseur, à Mlle Vitart.Mais la galanterie et l'esprit nourrissent mal leur homme.

Il compose, dès 1660, une Nymphe de la Seine, qui est uneode allégorique sur la paix des Pyrénées et sur les incomparables grandeurs dont elle est le témoignage ; en 1663une ode sur la Convalescence du roi, c'est-à-dire sur l'extase de l'univers en apprenant que le plus grand des roisétait guéri de la rougeole ; la même année une Renommée aux Muses proclamant à la face de l'univers que le plusgrand des rois est en même temps le plus généreux pour ceux qui cultivent les Muses.

Il ne suffit pas d'ailleurs deprodiguer l'encens et les allégories pour sortir de l'obscurité et garnir sa bourse.

Il faut qu'on ait l'idée de respirerl'encens et qu'on prenne connaissance des allégories.

Racine n'ignore pas ce qu'il faut faire et il le fait.

Nicolas Vitart avait accès auprès de Chapelain qui dispensait alors, mieux que tout autre, les réputations.

L'ode de la Nymphede la Seine lui fut portée.

Il la reçut avec « la plus grande bonté ».

Il fit, comme il se devait, des observations,auxquelles Racine souscrivit avec modestie.

Mais il fut si content qu'il voulut faire lire le poème à Perrault.

Chapelainet Perrault c'était Colbert ; et Colbert, c'était Louis XIV.

Dès lors la gloire et la fortune commencent à sourire aujeune poète.

Il est difficile de fixer avec une rigoureuse exactitude les « gratifications » ou « pensions ».

Mais s'iln'est pas prouvé que la Nymphe de la Seine ait été payée cinq cents francs ou cent louis, le poète reçut pour lemoins, de 1663 à 1667, huit cents livres, six cents livres, huit cents livres ; et six cents livres sont tout de mêmeune vingtaine de mille francs de notre argent de 1939.

Avec l'argent venait la considération.

Le comte de Saint-Aignan, qui se piquait de bel-esprit et se flattait de n'avoir pas de rival dans les impromptus et les bouts rimés,trouva de son goût la Renommée aux Muses.

Il introduisit Racine à la cour.

Le poète est, dès novembre 1663, aulever du roi : « Vous voyez, écrit-il à Le Vasseur, que je suis à demi courtisan.

Mais c'est un métier assez ennuyant».

Ne l'en croyons pas sur parole puisqu'il le pratiquera assidûment jusqu'à ses derniers jours.A défaut de ces œuvres où, pas plus que dans la Thébaïde et Alexandre, rien n'annonce Andromaque sinon l'adresseet la sûreté du style, nous pourrions trouver un « vrai Racine » dans l'histoire de sa vie.Depuis qu'il y a des historiens scrupuleux de son théâtre on est d'accord pour convenir qu'il est impossible de jugerle poète d'après la vie que son pieux et chaste fils Louis Racine a écrite pour l'édification de la postérité.

Rappelonsseulement que pour cet honnête marguillier, dont la seule faiblesse fut de vouloir être poète théologien, les relationsentre Racine et la Champmeslé se bornèrent à des leçons de déclamation qui firent d'elle une grande actrice.

Endehors de cette biographie, nous avons pour juger Racine des lettres, des faits et des témoignages contemporains.Malheureusement, les lettres dites de jeunesse s'arrêtent à 1665.

Aucune lettre, entre 1665 1676.

Quand lacorrespondance reprend vraiment, en 1681, Racine est retiré du théâtre, retourné à une scrupuleuse dévotion,marié, père de famille, homme de cour, résolu à ne rien dire et sans doute à ne rien penser qui ne soit grave etvertueux.

Même ces lettres de jeunesse ne sont pas, nous l'avons dit, des témoignages spontanés de soncaractère.

Ce sont, au moins pour une part, des exercices de style, où Racine s'évertue, d'ailleurs avec bonheur, àattraper le style à la mode, ce style Voiture qui exige un badinage ironique, qui veut qu'on prenne les choses avecune indulgence sceptique.

Telles quelles, elles ont, malgré tout, été écrites par un jeune homme de vive intelligence,capable de travailler et de s'instruire, pour le plaisir de l'être, avec le plus grand zèle et la plus sage méthode.

Ellesprouvent aussi bien qu'il n'est pas fait pour vivre dans la seule cité des livres.

Il se résigne à Uzès, dans une petiteville où tout se sait et se commente, à s'enfermer dans une sagesse austère, in angello cum libello, pour se montrerdigne du canonicat qu'il ne réussit pas à obtenir.

Mais tout aussi bien, c'est la vie qui l'intéresse ; c'est pour vivre,pour converser avec d'aimables dames, pour fréquenter même des demoiselles à la tête légère, pour cultiver desMuses qui vous font bien voir dans les salons, qu'il échappe à Port-Royal et prend pour amis des jeunes gens quin'avaient aucun goût pour la gravité, ni même pour la science rébarbative.

De toutes ses forces, malgré lescontraintes d'une pauvreté qui l'oblige à vivre des bienfaits des siens, malgré les prudences, les inquiétudes, lesdésespoirs dé sa famille qui ne songe qu'au salut de son âme, il aspire à toutes les vanités du monde, à toutes lesjoies du siècle.

Pour être heureux, il lui faut être brillant, célèbre, aimé.

A Uzès même, il essaie avec une réelle. »

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