Le héros romantique peut-il représenter la figure-type de sa génération ?

« L'orgueil immense de l'exclu et les figures dela révolte Quelle que soit leur véritable condition que les héros denos drames empruntent sous des masques divers, ilsaffectent pareillement une hauteur superbe.

Le hérosse sait et se sent isolé et exclu mais il revendiquecette situation dont il souffre comme de la marqued'un destin exceptionnel.

Son comportement traduitcette volonté par toutes les attitudes de la révolte.

Onrelèvera donc dans les trois drames qui nousintéressent différentes interprétations d'une mêmeimage du révolté : Hernani incarne par excellence lafigure de l'exclu dont la sombre ardeur et la générositémagnifique attirent l'admiration.

Ruy Blas à un degrémoindre, représente le dévouement de l'êtred'exception.

Enfin Lorenzo, en adoptant le masque dudébauché cynique, s'est condamné à une orgueilleusesolitude. — Un sens de la démesure Les haines des personnages atteignent un même degré d'exaltation.

Songeons par exemple à celle qu'Hernaniexprime à l'endroit de Don Carlos, ou à la violence qui anime le bras de Ruy Blas s'érigeant en justicier contre sonmaître Don Salluste.

Evoquons également les pulsions de haine que dissimulent chez un Lorenzo l'affectation de ladébauche et la complicité des orgies d'Alexandre.

Plusieurs scènes du drame de Musset présentent de façonspectaculaire l'étrange exaltation du meurtrier qui « répète » son meurtre et libère ses pulsions criminelles dansune gesticulation effrénée et dans un discours incohérent qui tient du délire verbal en présence de Scoronconcolo.Folie simulée d'abord qui finit, semble-t-il, par dominer le personnage qui s'y prête.

Seul le drame de Musset peutatteindre la dimension shakespearienne.

Cette réinterprétation de Shakespeare correspond bien au goût de lasensibilité romantique.

Peu de tragédies classiques donnent à voir, à part l'Andromaque de Racine, la figure de lafolie que représentent chez Shakespeare Hamlet, Macbeth ou Le Roi Lear. Figure-type d'une époque ou d'un moment de la vie ? La figure du héros est l'expression de samodernité Le héros romantique ainsi caractérisé devient plutôt figure-symbole de la jeunesse, c'est-à-dire d'un moment del'existence que le romantisme a exalté, autant que d'une génération de héros situés dans l'Histoire et marqués parleur époque.

Certes, le héros romantique porte les caractères distinctifs de « l'enfant du siècle » quel'autobiographie de Musset a dépeints en donnant à ses désespérances des motifs historiques.

Nous voyons aussique le héros romantique porte dans sa figure-type les caractères des êtres jeunes avec leurs exigences d'absolu,leur refus des compromissions leur anti-conformisme. Des moments de passage que l'Histoire rend difficiles Autant que la marque d'un siècle, c'est l'indice d'un âge : celui du passage de l'adolescence à l'âge adulte.

Sansdoute certaines circonstances historiques rendent-elles plus difficile ce passage.

La Confession d'un enfant dusiècle de Musset nous fait prendre conscience de la déconvenue qui naît chez une génération confrontée à l'imageexaltante que lui transmet la génération précédente : « Son présent livre maintenant une génération condamnéeau repos par les souverains du monde [...] à l'oisiveté, à l'ennui.

Tout ce qui était n'est plus ; tout ce qui sera n'estpas encore.

» On a pu parler de périodes qui semblent être des « parenthèses de l'histoire ».

C'est l'un de cesmoments incertains où l'histoire paraît être en suspens que l'on retrouve aussi bien dans l'Espagne en déclin de RuyBlas qu'à Florence en 1547 : moments propices et révélateurs pour les figures symboles des personnagesromantiques. Au travers des figures-types des héros romantiques, on peut donc saisir l'expression d'une sensibilité nouvelle :celle du Romantisme.

Mais on éprouve aussi combien, par sa modernité, la figure du héros s'impose à nous commecelle d'un être qui nous serait contemporain.

Le Romantisme ne serait donc pas une époque, encore moins unemode, mais un état d'esprit.

Chaque génération, tout à tour, pourra s'y reconnaître.. »