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[Le jardin] CANDIDE DE VOLTAIRE (lecture analytique du chapitre XXX)

Publié le 05/07/2011

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voltaire

Candide, en retournant dans sa métairie, fit de profondes réflexions sur le discours du Turc. Il dit à Pangloss et à Martin : «Ce bon vieillard me paraît s'être fait un sort bien préférable à celui des six rois avec qui nous avons eu l'honneur de souper. - Les grandeurs, dit Pangloss, sont fort dangereuses, selon le rapport de tous les philosophes; car enfin Eglon, roi des Moabites, fut assassiné par Aod; Absalon fut pendu par les cheveux et percé de trois dards; le roi Nadab, fils de Jéroboam, fut tué par Baasa; le roi Ela, par Zambri; Ochosias, par Jéhu; Athalia, par Joïada ; les rois Joachim, Jéchonias, Sédécias, furent esclaves. Vous savez comment périrent Crésus, Astyage, Darius, Denys de Syracuse, Pyrrhus, 15 Persée, Annibal, Jugurtha, Arioviste, César, Pompée, Néron, Othon, Vitellius, Domitien, Richard II d'Angleterre, Edouard II, Henri VI, Richard III, Marie Stuart, Charles Ier, les trois Henri de France, l'empereur Henri IV? Vous savez... - Je sais aussi, dit Candide, qu'il faut cultiver notre jardin. - Vous avez raison, dit Pangloss; car quand l'homme fut mis dans le jardin d'Eden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu'il y travaillât; ce qui prouve que l'homme n'est pas né pour le repos. - Travaillons sans rai- 25 sonner, dit Martin; c'est le seul moyen de rendre la vie supportable.« Toute la petite société entra dans ce louable dessein; chacun se mit à exercer ses talents. La petite terre rapporta beaucoup. Cunégonde était, 30 à la vérité, bien laide; mais elle devint une excellente pâtissière; Paquette broda; la vieille eut soin du linge. Il n'y eut pas jusqu'à frère Giroflée qui ne rendît service; il fut un très bon menuisier, et même devint honnête homme; et Pangloss disait quelquefois à 35 Candide : «Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles : car enfin, si vous n'aviez pas été chassé d'un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l'amour de mademoiselle Cunégonde, si vous n'aviez pas été 40 mis à l'Inquisition, si vous n'aviez pas couru l'Amérique à pied, si vous n'aviez pas donné un bon coup d'épée au baron, si vous n'aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d'Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches. - Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin. «

Avec les derniers diamants d'Eldorado, Candide achète une «petite métairie«, où il réunit tous ses compagnons. Pour compléter son enquête philosophique sur les problèmes du mal et du bonheur, il est allé consulter un derviche (religieux musulman appartenant à une confrérie) et un vieillard, deux figures traditionnelles de la sagesse. Le premier déclare qu'il faut se taire sur ce qu'on ne peut pas comprendre. Le second préconise le travail comme remède au malheur humain. Candide rentre alors dans sa métairie et met en pratique ces enseignements.

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« un processus de civilisation qui transforme rationnellement la nature.

L'adjectif possessif «notre» exprime lapersonnalisation affective de l'entreprise et insiste sur son caractère communautaire.

Pour échapper à l'angoisse età l'ennui, les hommes doivent se regrouper et participer à une œuvre collective.

Avec le mot «jardin», on passe dupoint de vue général et creux de l'histoire universelle des rois au point de vue particulier du petit domaine.

Cettelimitation condamne les discours qui ne débouchent pas sur l'action concrète.

Le mot «jardin» a donc d'abord unsens physique; c'est un lieu qui permettra à l'homme cultivant la terre de se réconcilier avec la nature qui luiapporte sa subsistance et donne un sens à sa vie.

Il renvoie à l'idéal de certains penseurs de l'époque appelésphysiocrates qui considéraient que la richesse reposait sur l'agriculture.

Le terme fait en outre écho au paradisperdu de la Genèse, à cet endroit mythique où l'homme était parfaitement heureux.

Voltaire suggère ici qu'on peut leretrouver sur terre grâce au travail, plutôt que dans un au-delà hypothétique.

A l'opposé des systèmes a priori, ildéfinit donc une sagesse pratique essentiellement tournée vers l'action.Malgré le ton assuré de Candide, Pangloss ne désarme pas et poursuit sa logorrhée [flux de paroles inutiles].

Avecobstination, il fait appel, pour expliquer la situation présente, à la métaphysique [recherche intellectuelle qui vise àdécouvrir la vérité au-delà de l'expérience concrète].

Il cite en l'occurrence et interprète avec une éruditionpédante la Genèse [premier livre de la Bible] : «Car quand l'homme fut mis dans le jardin d'Éden, il y fut mis utoperaretur eum, pour qu'il y travaillât; ce qui prouve que l'homme n'est pas né pour le repos» (l.

21- 24).

Le travailainsi n'est plus comme chez Candide l'expression de la liberté humaine; il est artificiellement légitimé par la volontédivine.

Une fois encore avec des : «car», «quand», «pour que», «ce qui prouve que», Pangloss plaque sur le mondeune logique a priori, faite de rapports trompeurs qui ne tiennent pas compte des données de l'expérience.

Sondiscours séduit par sa belle rhétorique, mais il est dangereusement inadéquat, comme tout le roman l'a montré.A cet apriorisme forcené s'oppose comiquement la résignation de Martin : «Travaillons sans raisonner (...), c'est leseul moyen de rendre la vie supportable» (l.

24- 26).

Son pessimisme radical le pousse à faire abstraction de touteréflexion.

Pour lui, la vie est un fardeau que seul un travail aveugle peut alléger.

Candide en donnant un sens à sonaction échappe à cette conception trop négative. • La primauté de l'action (l.27 à 46)Voltaire décrit alors la vie de la petite communauté.

Il revient sur le thème du travail avec l'expression «louabledessein» (l.

27-28), qui insiste sur l'importance qu'il attache à cette valeur.

Mais cela suppose l'harmonie desactivités et la possibilité pour chacun de s'épanouir dans le domaine qui lui est propre : «Chacun se mit à exercerses talents» (l.

28).

La réussite couronne l'effort puisque : «La petite terre rapporta beaucoup» (l.

28-29).

Devenuune exploitation agricole florissante, le «jardin» remplace le monde illusoire de Thunder-ten-tronckh et l'utilitéproductive succède, pour définir chacun, aux privilèges de la naissance.

Ce changement de condition montrecombien, à la fin du dix-huitième siècle, le pouvoir de la noblesse est peu à peu supplanté par celui d'une bourgeoisieenrichie par le travail.

Voltaire donnait lui-même l'exemple dans sa propriété de Ferney.

Le travail en outretransforme les individus.

Cunégonde est «laide», mais «elle devint» une excellente pâtissière» (l.

30); frère Giroflée«fut un très bon menuisier, et même devint honnête homme» (l.

33-34).

Cette métamorphose suggère l'idée que letravail peut apporter aussi un perfectionnement moral.

Sa pratique civilise l'individu et lui permet de devenir«honnête homme».

Il n'est plus dès lors considéré comme un châtiment imposé par Dieu, mais comme unerédemption laïque et libératrice.Cette sagesse illustre exactement la maxime du vieillard consulté par Candide : « Le travail éloigne de nous troisgrands maux, l'ennui, le vice et le besoin.»Pangloss, lui, ne fait rien.

Il continue à parler et son obstination se traduit par un long discours d'une seule phrasequi vise à justifier sa conception aprioriste de la vie.

Il reprend d'abord le leitmotiv de sa philosophie : «Tous lesévénements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles : car (...)» (l.

35-36).

Le «car» introduit unexemple qui est en fait un résumé du roman (l.

36 à 44); mais cette conjonction de coordination abuse à nouveaudu lien de causalité.

On peut en effet résumer son raisonnement de la façon suivante : tout va pour le mieux, car sivous n'aviez pas eu tous ces malheurs, vous ne seriez pas ici.

Pangloss veut montrer qu'il existe une harmonie apriori où tout s'enchaîne selon un ordre rigoureux et prévu.

Mais, en fait, son raisonnement est une justification toutà fait gratuite de la situation présente.

Les aventures de Candide, qui se sont déroulées dans le plus grand deshasards, sont présentées ici comme obéissant à une intention supérieure.

Cette philosophie ridicule est dénoncéepar l'effet comique de la phrase : une disproportion absurde apparaît entre la cascade interminable deconditionnelles qui racontent la vie de Candide (l.

36 à 43) et la courte proposition principale qui présente uneaction réduite et dérisoire : «vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches» (l.

43-44).

Lamontagne accouche d'une souris.A travers le discours de Pangloss, Voltaire critique l'abus du discours totalitaire qui légitime tout et remplace laréalité par des concepts.

D'une cohérence trompeuse, ne s'appuyant pas sur l'analyse des faits, ce discours conduità l'immobilisme et interdit le progrès.

Mais au-delà de Pangloss est dénoncée la tentation de tout intellectuel qui, àforce de confondre les mots et les choses, s'enferme dans un système qui n'a plus de rapport avec la vie.Candide quant à lui préfère l'action et conclut avec fermeté : «Cela est bien dit (...) mais il faut cultiver notrejardin» (l.

44-46).

L'expression «Cela est bien dit» signifie que le discours de Pangloss est bien tourné, parfaitementréussi sur le plan rhétorique.

Mais ce bavard impénitent n'a fait qu'une belle phrase qui tombe à plat, car elle estvide de sens.

Elle est aussitôt congédiée par la conjonction «mais» qui introduit le mot de la fin dont la brièvetés'oppose aux interminables propos de Pangloss.

Une fois encore, à un point de vue panoramique prétendant rendrecompte de la totalité du monde, succède un gros plan sur le «jardin».

Candide, devenu adulte, a trouvé une sagesseà sa portée dans le travail et dans l'action constructive. Conclusion. »

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