Le Jeu de l'Amour et du Hasard (III - 8)
Publié le 14/02/2011
Extrait du document
Silvia. — Que vous importent mes sentiments ? Dorante. — Ce qu'ils m'importent, Lisette ! peux-tu douter encore que je ne t'adore ? Silvia. — Non, et vous me le répétez si souvent que je vous crois, mais pourquoi m'en persuadez-vous ? que voulez-vous que je fasse de cette pensée-là, monsieur ? Je vais vous parler à cœur ouvert. Vous m'aimez ; mais votre amour n'est pas une chose bien sérieuse pour vous. Que de ressources n'avez-vous pas pour vous en défaire ! La distance qu'il y a de vous à moi, mille objets que vous allez trouver sur votre chemin, l'envie qu'on aura de vous rendre sensible, les amusements d'un homme de votre condition, tout va vous ôter cet amour dont vous m'entretenez impitoyablement. Vous en rirez peut-être au sortir d'ici, et vous aurez raison. Mais moi, monsieur, si je m'en ressouviens, comme j'en ai peur, s'il m'a frappée, quel secours aurai-je contre l'impression qu'il m'aura faite ? Qui est-ce qui me dédommagera de votre perte ? Qui voulez-vous que mon cœur mette à votre place ? Savez-vous bien que, si je vous aimais, tout ce qu'il y a de plus grand dans le monde ne me toucherait plus ? Jugez donc de l'état où je resterais. Ayez la générosité de me cacher votre amour. Moi qui vous parle, je me ferais un scrupule de vous dire que je vous aime, dans les dispositions où vous êtes. L'aveu de mes sentiments pourrait exposer votre raison, et vous voyez bien aussi que je vous les cache. Dorante. — Ah ! ma chère Lisette, que viens-je d'entendre ? tes paroles ont un feu qui me pénètre. Je t'adore, je te respecte. Il n'est ni rang, ni naissance, ni fortune qui ne disparaisse devant une âme comme la tienne. J'aurais honte que mon orgueil tînt encore contre toi, et mon cœur et ma main t'appartiennent.
Introduction. Généralités sur le marivaudage... Ex. — Fin du « Jeu de l'Amour et du Hasard « : l'aveu de Silvia. Localiser. (Lecture du texte). Plan. Protestations de Dorante. — Aveu de Silvia. — Joie de Dorante. Mais ce schéma donne certainement une idée fausse du mouvement de ce passage. Comment résumer des réactions aussi mobiles que celles de Silvia ? Force nous est de suivre le texte pas à pas.
«
« Mais moi, etc...
» Désespoir anticipé pathétique.
Les froideurs de Silvia s'expliquent par sa coquetterie, sesmanières de précieuse, et aussi par le complexe de la jeune fille qui fait de l'amour la grande affaire de la vie et quicraint d'être victime d'un séducteur.
Termes pathétiques : « Si je m'en ressouviens » « s'il m'a frappée » ;interrogations véhémentes ; superlatif « tout ce qu'il y a de plus grand sur la terre ».
Seul un amour profond et qui craint parce qu'il est profond peut déterminer Silvia à imaginer d'une manière aussi vivecette situation douloureuse.
Le ton plein de feu constitue lui aussi un aveu brûlant de ses sentiments.
Mais au milieude l'évocation de cette scène, Silvia se rétracte à demi : aux futurs ( = Silvia se voit mariée) elle mêle des « si » oudes conditionnels qui semblent tout remettre en question.
« Objet » (= femme aimée) « rendre sensible » (= faire naître l'amour en vous) : distinction du langage précieux ; enmême temps termes enveloppés, comme si l'amour refusait à la jalousie des visions trop précises.
Aspect social du couplet : féminisme.
Diatribe contre les séducteurs, de Don Juan au Vicomte de Valmont.
Cf.
lecouplet de Marceline dans le Mariage de Figaro.
« Ayez la générosité de me cacher votre amour ».
Conclusion attendue, mais les termes de cette conclusionreconnaissent la sincérité de Dorante ; de plus, appel aux bons sentiments : autre atmosphère !
Dernières phrases.
— Enveloppé de conditionnels, de scrupules, caché sans l'être, le « je vous aime » est quandmême dit.
La raison qui en retarde l'aveu (elle craint de rendre Dorante fou de joie) produit précisément l'effetapparemment évité.
Quelle gentillesse touchante ! Que d'amour ! Quel feu se dissimulait sous cette glace !
Ton plus calme de la fin : joie et satisfaction de Silvia qui constate le pouvoir qu'elle a sur Dorante.
Dorante.
— Après tant de froideurs : fou de joie.
— Force des termes et exaltation du ton.
Aspect social du couplet (faisant écho à celui de Silvia) : « Je te respecte » (Anti-Don Juan : moralité touchante.
—« Rang...
naissance...
fortune...
» : mépris des préjugés, signes d'« orgueil ».
(Cf.
les ironies de Voltaire à l'égarddes nobles) : petit détail révélant chez les auteurs le désir de plaire à la bourgeoisie dont le rôle politique vagrandissant.
Conclusion.
Le marivaudage : choix d'un sujet et adoption d'un style.
Voir ce que le jeu apparent recouvre de sérieux(importance du débat pour Silvia ; pudeur réelle ; questions sociales évoquées).
De là nécessité d'approfondir la psychologie et de réfléchir aux ressources du vocabulaire et de la syntaxe.
Intérêt dramatique : un jeu subtil des sentiments aboutissant au triomphe du « naturel », de l'amour, et provoquantchez le spectateur un sourire mêlé d'attendrissement...
— une formule dont se souviendra Musset !.
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