Le langage de Gargantua
Publié le 14/01/2020
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tu ben ! La merde ! Po cap de bious... » (p. 154). C'est surtout le cas des crachements et quintes de toux de Janotus de Bragmardo : « hen hen ehen hasch ! » (chap. xix, p. 164). Reproduites devant un auditoire, ces prises de parole sont propices à toutes sortes d’effets sonores. « Escoutez ! » dit Alcofribas à ses lecteurs à la fin du Prologue, signalant ainsi l’importance de l’« escoute » (Prologue, p. 52).
La lecture comme présence
Si le xvi° siècle accorde tant d’importance à l’oral, c'est aussi à cause de sa conception de la lecture comme apprentissage. Accompagnée par un maître, elle est envisagée comme une relation personnelle : on tire des leçons moins d’un texte que d'un auteur, c'est-à-dire d’un homme. Le professeur, qui dialogue concrètement avec l’élève, est celui qui va permettre à l’auteur étudié de s’incarner. La lecture est donc théâtralisée. Elle consiste à créer un échange entre un auteur, un maître et un élève dialoguant ensemble, dans une situation commune réelle. Autrement dit, on conçoit l'écrit comme l’affirmation d’une présence. Dans le Quart Livre, Rabelais espère que le public trouvera du bien-être en « oyans [écoutant] en [s]on absence la lecture de ces livres joyeux. » Il signale ainsi que la lecture orale des romans permet une communication d'un type particulier : l’auteur, quoique absent, bénéficie d’une présence, puisqu’il est incarné par l’ana-gnoste qui se tient face à l’auditoire.
Gargantua fait allusion à cette situation de lecture. En Eudémon, dont le discours reproduit les règles de la rhétorique apprises en compagnie de Ponocrates, revivent les antiques rhéteurs : « mieulx ressembloit un Gracchus, un Cicéron ou un Emilius du temps passé qu’un jouvenceau de ce siecle » (chap. xv, p. 148). La conception de la lecture-présence permet, on te voit, de comprendre que cette phrase n’est pas en contradiction avec le fait qu’Eudémon est qualifié de jeune homme « de maintenant » (ayant bénéficié de l’éducation humaniste) supérieur aux « resveurs du

«
à leur fonction (-+ PROBLÉMATIQUE 7, p.
65), un jeune page nommé
Anagnoste est chargé de lire au géant " quelque pagine de la
divine escripture, haultement et clerement, avec pronunciation
competente à la matiere ,, (chap.
xxm, p.
194).
1 Une performance orale
Dans ces conditions, lire devient une performance orale, un
travail d'acteur destiné à un public.
Il est donc normal que Je texte
comporte des éléments d'oralité, conformes à ce type de lecture.
Les apostrophes comiques d'Alcofribas adressées aux lecteurs -
" Beuveurs tresillustres et vous Verolez tresprecieux (car à vous
non à aultres sont dediez mes escriptz) " (Prologue, p.
46), " vous
ne l'avez pas telle, vous aultres paillards de plat pays ! » (chap.
xv1,
p.
150) ...
-sont ainsi des imitations de situations orales.
Elles
rappellent les propos d'un bateleur, d'un marchand interpellant
ses clients, d'un orateur rassemblant la foule autour de lui.
Dans le
cadre d'une situation de lecture propre au xvi• siècle, elles peuvent
aussi être " jouées " par l'anagnoste qui, tel un comédien de
théâtre, a la possibilité de s'adresser directement à son auditoire,
créant ainsi une situation comique où des courtisans sont assi
milés à des " paillards de plat pays ».
Ces apostrophes sont des
faits de style, de rhétorique littéraire, mais elles relèvent aussi de
!'oralité la plus concrète.
Rabelais se plaît à reproduire des prises de parole particulières,
inhabituelles, surprenantes.
C'est le cas des moines de Seuilly,
dont les psalmodies 1 ridicules sont retranscrites littéralement :
« /ni, nim, pe, ne, ne, ne, ne, ne, ne, tum, ne, num, num...
"
(chap.
xxvi1, p.
222), mais aussi des prières, tout aussi stupides, des
Parisiens noyés sous l'urine de Gargantua : " Carymary, carymara ! »
(chap.
xvn, p.
154).
Dans la première édition, les interjections et
jurons étaient plus nombreux et pittoresques : " Frandienne ! Vez
1.
Psalmodies : chants ou récitations monotones, sur un rythme égal.
PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES B3.
»
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