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Le mariage: Denis de Rougemont, L'Amour et l'Occident

Publié le 24/03/2011

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mariage

   Si l'on songe à ce que signifie le choix d'une femme pour toute la vie, Ton en vient à cette conclusion : choisir une femme, c'est parier.    Or la sagesse populaire et bourgeoise recommande au jeune homme de « réfléchir « avant de prendre une décision : elle l'entretient ainsi dans l'illusion que le choix d'une femme dépend d'un certain nombre de raisons qu'il serait possible de peser. Cette erreur du bon sens est tout à fait grossière. Vous aurez beau tenter de mettre au départ toutes les chances de votre côté — et je suppose que la vie vous laisse le temps de calculer — jamais vous ne pourrez prévoir votre future évolution, et encore moins celle de l'épouse choisie, encore bien moins celle du couple formé. Les facteurs mis en jeu sont trop hétéroclites. A supposer que vous puissiez les calculer dans le présent (comme si leur nombre était fini) et que vous disposiez d'une telle science de l'humain que leurs valeurs vous soient connues et leur hiérarchie évidente, encore ne sauriez-vous prévoir la fin d'une union faite en connaissance de « causes «. Il a fallu, dit-on, plusieurs centaines de millénaires à la nature pour sélectionner les espèces qui nous paraissent adaptées. Et nous aurions la prétention de résoudre d'un coup, en une seule vie, le problème de l'adaptation de deux êtres physiques et moraux des plus hautement organisés ! (C'est pourtant à cette utopie qu'obéit sans le savoir le mal marié, lorsqu'il se persuade qu'un second ou qu'un troisième essai le rapprochera sensiblement de son « bonheur «. Alors que tout nous montre que cent mille essais ne seraient pas encore assez pour constituer les premiers éléments, tout balbutiants et empiriques, d'une science du « mariage heureux «.) Il faut le reconnaître honnêtement : le problème qui nous est posé par la nécessité pratique du mariage apparaît d'autant plus insoluble que l'on tient davantage à le « résoudre « au sens rationnel de ce terme.    Certes, il y a du sophisme dans mon raisonnement : car tout se passe d'ordinaire comme si le bonheur des époux dépendait en réalité d'un nombre fini de facteurs : caractère, physique, fortune, rang social... Mais pour peu que se précisent les exigences individuelles, ces données extérieures perdent en importance, et les impondérables deviennent décisifs. Le sophisme est alors du côté du bon sens, qui recommandait un choix mûri et raisonné, selon des critères impersonnels.    Mais enfin ce n'est pas l'erreur logique qui est grave, c'est l'erreur morale qu'elle suppose. Lorsqu'on incite les jeunes fiancés à calculer leurs chances de bonheur, on détourne leur attention du problème proprement éthique (l). En tentant de réduire ou de dissimuler le caractère de pari que revêt objectivement un choix de cet ordre, on donne à croire que tout se ramène à une sagesse, à un savoir : et non pas à une décision. Or ce savoir ne pouvant être qu'imparfait, et provisoire, devrait se doubler d'une garantie. Et la seule garantie concevable est dans la force de la décision en vertu de laquelle on s'engage pour toute la vie « advienne que pourra «. Mais justement cette décision comme telle paraît secondaire ou superflue dans la mesure où l'on se persuade qu'il s'agit avant tout de calcul.    D'où je conclus qu'il serait plus conforme à l'essence du mariage, et au réel, d'enseigner aux jeunes gens que leur choix relève toujours d'une sorte d'arbitraire, dont ils s'engagent à assumer les suites, heureuses ou non. Ce n'est pas là un éloge du « coup de tête « : car tant que l'on peut calculer, j'admets qu'il est stupide de s'en  priver. Mais je dis que la garantie d'une union raisonnable dans les apparences n'est jamais dans ces apparences. Elle est dans l'événement irrationnel d'une décision prise en dépit de tout, et qui fonde une nouvelle existence, initiant un risque nouveau.    Écartons tout malentendu : irrationnel ne signifie nullement sentimental.    Choisir une femme pour en faire son épouse, ce n'est pas dire à Mlle Untel : « Vous êtes l'idéal de mes rêves, vous comblez et au-delà tous mes désirs, vous êtes l'Iseut toute belle et désirable — et munie d'une dot adéquate — dont je veux être le Tristan. « Car ce serait là mentir et l'on ne peut rien fonder qui dure sur le mensonge. Il n'y a personne au monde qui puisse me combler : à peine comblé je changerais I Choisir une femme pour en faire son épouse, c'est dire à Mlle Untel : « Je veux vivre avec vous telle que vous êtes. « Car cela signifie en vérité : c'est vous que je choisis pour partager ma vie, et voilà la seule preuve que je vous aime.    (Vraiment, pour dire : Ce n'est que cela ! — comme le diront beaucoup de jeunes gens qui s'attendent, en vertu du mythe, à je ne sais quels transports divins — il faut n'avoir connu que peu de solitude et peu d'angoisse, très peu de solitaire angoisse.)    Seule une décision de cet ordre, irrationnelle mais non sentimentale, sobre mais sans aucun cynisme, peut servir de point de départ à une fidélité réelle ; et je ne dis pas à une fidélité qui soit une recette de « bonheur «, mais bien à une fidélité qui soit possible, n'étant pas compromise en germe, par un calcul forcément inexact.    Denis de Rougemont, L'Amour et l'Occident 1938.    1. Vous résumerez ce texte en le réduisant au quart de sa longueur. 2. Vous expliquerez les expressions suivantes :    a) les impondérables deviennent décisifs ;    b) l'essence du mariage.    3. Vous discuterez la phrase suivante :    « Si l'on songe à ce que signifie le choix d'une femme pour toute la vie, l'on en vient à cette conclusion : choisir une femme, c'est parier. «

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« 3.

Vous discuterez la phrase suivante : « Si l'on songe à ce que signifie le choix d'une femme pour toute la vie, l'on en vient à cette conclusion : choisir unefemme, c'est parier.

» I.

Résumé (224 mots). Le choix d'une femme ressemble à un pari : contrairement aux idées reçues, l'efficacité de la réflexion est illusoire,car il est impossible de prévoir sa propre évolution et celle de la femme qu'on épouse.

Trop d'éléments restentdifficiles à mesurer, et le calcul paraît d'autant plus aléatoire qu'on veut le résoudre de façon logique ; de plus, desfacteurs imprévus aggravent cette nécessaire incertitude, ce qui rend tout aussi précaires les espérances debonheur lors d'un second ou troisième mariage. Il ne faut pas oublier non plus qu'il s'agit de morale et non de chance de réussite.

Le mariage est un choix pour lavie, qu'il soit bon ou mauvais : or on peut comprendre cette attitude si on le considère comme une décision, maisnon si on le juge comme un calcul.

Il est en fait un engagement de supporter les conséquences de son choix, avectous les risques qu'il peut comporter. Le caractère irrationnel du mariage n'implique pas cependant une motivation sentimentale.

La femme ne doit pasêtre un rêve, un idéal, mais simplement la personne avec laquelle on veut vivre.

Si cette définition peut paraîtredécevante aux gens sans expérience, elle semblera merveilleuse à ceux qui ont connu la solitude.

C'est là la seulecondition d'une fidélité solide et véritable. II.

Vocabulaire. 1.

« Les impondérables deviennent décisifs.

» Un « impondérable » est étymologiquement ce qui ne peut pas être pesé {pondus : poids en latin), donc ce qu'on nepeut pas prévoir ni évaluer. L'auteur veut dire ici que les événements extérieurs ou les influences diverses vont jouer un grand rôle dansl'évolution du couple, sans qu'il soit possible de les mesurer, de les apprécier, de les prévoir; et cependant, ce sontceux qui feront un mariage raté ou réussi. 2.

« L'essence du mariage.

» L'essence est un terme philosophique, qui signifie ce qui constitue la nature d'un être ou d'une chose. Ici, il s'agit d'une utilisation plus simple du terme ; c'est le sens profond du mariage et sa nature même qui en fontun engagement pour la vie. III.

Discussion. Introduction. 1.

a) Réflexion sur le mariage, regardé à la fois comme aléatoire et définitif. b) Phrase un peu provocatrice de Denis de Rougemont, L'Amour et l'Occident, 1938. 2.

Annonce de plan. I.

Explication : ce pari aléatoire constitue un engagement définitif. II.

Discussion : l'évolution de la société remet en question le caractère définitif du mariage, résultat d'un parialéatoire. I.

Explication : ce pari aléatoire constitue un engagement définitif. A.

Le mariage est un pari : caractère aléatoire. 1.

Un pari des parents : le mariage a longtemps été un choix des parents, en fonction de la dot et de diversavantages matériels.

(Molière : L'École des Femmes, Beaumarchais : Le Barbier de Séville...

) 2.

Un pari des intéressés : apparemment meilleur, il comporte presque autant d'incertitudes : a) Dans le présent :. »

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