Le personnage du PÈRE UBU

« crainte du qu'en-dira-t-on, recherche du gain...

Bref, le bourgeois représente de façon caricaturale le côtématérialiste de la vie, par opposition à l'idéalisme, à la quête de pureté et d'absolu qui peut animer certains.Aux yeux de nombreux auteurs de l'époque, le bourgeois incarne la prétention suffisante, l'appétit de l'argent,l'hypocrisie d'une conduite totalement opposée aux principes religieux qu'il prétend respecter.

Face au monde del'Etre, le bourgeois symbolise le monde de l'Avoir.L'origine de cette figure emblématique du bourgeois est le Joseph Prudhomme, créé en 1830 par Henri Monnier.

Maison la retrouve en plus ou moins odieux chez Villiers de l'Isle-Adam (sous les traits de Tribulat Bonhomet), OctaveMirbeau (L'Abbé Jules, Sébastien Roch), Léon Bloy (Exégèse des lieux communs, La Femme pauvre), Jean Richepin(dans des poèmes comme « Philistins »)...

Citons aussi Rimbaud : « Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleursPortent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

» et, bien entendu, Flaubert, avec le personnage de Homais, dans Madame Bovary.De ce point de vue, Ubu est la continuation, ou l'extrême d'un type littéraire.

Mais il s'en différencie par quelquestraits.

Ubu a le caractère, l'esprit bourgeois; il n'en a pas le comportement, ni la position.

Il est cruel et vaniteuxdans le succès, lâche et faible dans l'adversité, prétentieux et pontifiant, âpre au gain, impitoyable pour les petitset flagorneur avec les puissants.

En cela, il hérite des pires traits du ,« bourgeois littéraire ».Mais en même temps, c'est un roi de parodie, avec des manières de rustre, dont la femme évoque plutôt quelquecommère du petit peuple, au parler dru et à la main leste.

Ainsi, Ubu concilie les mauvais côtés du bourgeois, duprolétaire et de l'homme de pouvoir.

C'est donc bien, en fin de compte, une caricature de chacun d'entre nous.C'était là, du reste, l'ambition de Jarry qui affirma toujours avoir proposé, avec Ubu, un « double ignoble » du publicet donc, finalement, de l'homme.

Fidèle, jusqu'au bout, à son rôle de provocateur, Alfred Jarry assuma lui-mêmecette réalité, s'identifiant à Ubu, au point de signer de ce nom sa correspondance.Ainsi, alors que le type d'Ubu est resté pour désigner un homme aveuglé par son pouvoir, il serait peut-être plusjuste de voir en ce personnage l'incarnation grotesque et démesurée de nos petites lâchetés quotidiennes... Succès et avatars Comme on l'a dit, le personnage du « père Ubu » a connu très vite un certain succès, donnant lieu à des « suites »comme les Almanachs ou une adaptation en spectacle de marionnettes.

Mais s'il a été souvent joué, Ubu n'a pasété transformé, ce qui montre bien ce que le personnage, dès sa création, pouvait avoir d'universel.L'adaptation la plus connue est sans doute celle que le réalisateur Jean-Christophe Averty proposa à la télévision en1966.

Citons aussi la chanson «Ubu » de l'artiste hollandais d'expression française Dick Annegarn.L'oeuvre d'Alfred Jarry, par son humour noir et son aspect fantastique, le fit reconnaître comme un précurseur parles surréalistes.

Quant à ses conceptions théâtrales, excluant réalisme et psychologie pour une schématisation descaractères et de l'action, elles influencèrent le travail d'Antonin Artaud, qui fonda le théâtre Alfred-Jarry.Enfin, n'oublions pas que Jarry créa la « pataphysique » ou « science des solutions imaginaires » dont le collègeréunit à Paris, encore de nos jours, des célébrités littéraires et artistiques dans la célébration du père Ubu.

L'un deses membres les plus assidus fut Boris Vian.. »