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LE PESSIMISME DE LECONTE DE LISLE

Publié le 28/06/2011

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de lisle

   Néant des dieux, abjection des hommes, indifférence de la nature, tels sont les trois termes auxquels se ramène en substance l'œuvre de Leconte de Lisle, envisagée des trois points de vue où nous nous sommes successivement placés. Il semble que la simple énumération en soit assez éloquente. S'il est vrai, comme l'a dit l'auteur des Poèmes Barbares, que « toute vraie et haute poésie contient une philosophie «, sa philosophie, à lui, est ce qu'on est convenu d'appeler une philosophie pessimiste, et cette définition pourrait être considérée comme suffisante, si ce terme de pessimisme avait par lui-même un sens qui fût suffisamment précis. 

de lisle

« hors de lui-même, s'il eût été plus disposé à se mêler à la foule des hommes et plus apte à y jouer des coudes, plusremuant et plus habile.

Il faut le prendre tel qu'il était, tel qu'il s'est peint lui-même à nous dans une de sesnouvelles en prose , sous le nom de Georges Fleurimont.

Ce Georges Fleurimont, au physique, lui ressemblesingulièrement : « de grands yeux bleus, le front large, les lèvres fines et les cheveux blonds.

» Au moral, il paraîtbien qu'il en est de même : « une passion, d'autant plus violente que sa nature normale était apathique, s'étaitallumée dans son cœur, et ses désirs inassouvis le dévoraient.

» Dans l'âme du jeune Leconte de Lisle, ce n'est pasune passion, c'est toutes les passions qui s'étaient allumées à la fois ; non seulement, comme nous l'avons vu,l'amour de la femme, mais l'amour de la poésie et l'amour de la gloire, mais l'amour de la justice et l'amour de laliberté.

Dans une de ses plus belles pièces, et de celles qui jettent le plus de lueur sur son être intime, il a faitallusion à ces heures tumultueuses de son adolescence : Autrefois, quand l'essaim fougueux des premiers rêvesSortait en tourbillons de mon cœur transporté ;Quand je restais couché sur le sable dés grèves,La face vers le ciel et vers la liberté ;...Incliné sur le gouffre inconnu de la vie,Palpitant de terreur joyeuse et de désir,Quand j'embrassais dans une irrésistible envieL'ombre de tous les biens que je n'ai pu saisir ... Un fragment de ses lettres de jeunesse complète et commente de la manière la plus heureuse ces confidencesdiscrètes de sa poésie.

Il vaut la peine de citer en entier cette page aussi sincère que pénétrante : J'ai toujours été un être nomade — écrivait-il à Rouffet le 26 mars 1839 — et vous devez bien comprendre quecette vie incertaine, quelque jeune que je fusse alors, n'a jamais été propre à fixer mes idées et mes sensations.Aussi, je m'effraie parfois de la confusion qui bouleverse ma tête : mes pensées sans résultat, désirs ardents sansbut réel, abattements soudains, élans inutiles, se heurtent dans mon âme et dans mon cœur pour s'évanouir bientôten indolence soucieuse.

Rien de fixe et d'arrêté pour l'avenir ; mon passé même semble évoquer mes souvenirs,preuve de mon inutilité passée, pour me prédire mon incapacité future.

J'ai rêvé, comme un autre, d'amour et dejours heureux, écoulés entre une femme aimée et un ami bien cher; mais ce n'était là qu'un songe.

Je le sens bien, ily a en moi trop de mobilité pour espérer une telle vie, si toutefois il m'était donné de jamais la réaliser.

La monotoniem'abrutit, et je me reconnais un tel besoin de métamorphoses, que je me sentirais capable d'éprouver en un moistout l'amour, toute la haine et toutes les espérances d'un homme qui y aurait consacré sa vie tout entière.

Oui, mevoilà bien, mon ami.

Pardonnez-moi de m'être posé en sorte de problème, et essayez de me résoudre.

Notez qu'avectout cela je suis excessivement malheureux.

Vous me direz, sans doute, qu'une semblable vie n'est appuyée sur nulraisonnement et que, au bout du compte, ce n'est qu'une paresse incarnée.

C'est peut-être vrai. Déséquilibre de la rêverie et de l'action, disproportion entre l'infini des désirs et l'étroitesse des réalités, repliementsur soi-même, découragement et tristesse, si ce sont là les causes et les symptômes de ce qu'entre 1830 et 1840on appelait encore « le mal du siècle », Leconte de Lisle en a été atteint, et, de son pessimisme, le point de départ,autant du moins qu'il est accessible à l'analyse psychologique, se trouve là.

Plus enclin à agir, il eût moins embrassépar le rêve ; il eût appris à limiter ses aspirations, à choisir un but prochain, à y concentrer ses pensées et à yproportionner ses efforts.

Il se fût contenté peut-être de ces « joies réelles » et modestes que lui recommandaittimidement Adamolle ; il eût atteint son idéal, parce qu'il l'aurait placé moins haut ; il eût été plus heureux, mais il nefût pas devenu le poète, et le grand poète, qu'il a été.Ajoutez, — pour lui rendre la vie encore plus difficile, — à cette disposition première, la raideur d'un caractère altieret intransigeant.

Cette raideur venait d'une réelle droiture de conscience, du sentiment très vif de sa dignitépersonnelle; elle venait aussi et surtout d'un immense orgueil.

« Je sais, écrivait-il un jour à Rouffet, que, dans monorgueil — et je ne saurais me le dissimuler — une envie de dominer plus forte parfois que ma volonté même est enmoi.

» A plus forte raison se sentait-il incapable de s'abaisser ou de plier.

La seule idée, je ne dis pas d'unebassesse, mais d'une sollicitation, d'une concession, d'une démarche qui le mît sous la dépendance ou dansl'obligation d'autrui, lui était insupportable.

Lorsqu'il s'était agi, en 1839, de publier, de compte à demi avec Rouffet,ce volume de poésies qui devait leur ouvrir à tous les deux le chemin de la gloire, la proposition, avancée par sonami, de le faire imprimer par souscription, lui avait causé un sursaut de colère : « Savez-vous ce que c'est que defaire imprimer par souscription ? Êtes-vous disposé à vous traîner à deux genoux devant des gens qui se soucientfort peu de vos vers, afin d'en obtenir de l'argent ? Pour moi, non seulement cela est au-dessus de mes forces, maisj'aimerais mieux ne jamais publier une ligne que la devoir à la pitié du vulgaire.

» On n'a pas oublié de quel toncassant, avec quelle inflexibilité arrogante, il enjoignait à Adamolle de ne consentir à aucune modification de la «copie » qu'il était chargé de remettre au Courrier de Saint-Paul ; avec quelle susceptibilité hautaine il rejetait, toutd'abord et de premier mouvement, les offres de La Démocratie Pacifique, de peur de paraître abandonner quelquechose de l'intégrité de ses opinions.

L'orgueil, porté à ce point, est une force.

La conviction d'une supériorité intime,qui ne s'abaisse devant personne, que personne ne peut vous ravir, est un ressort puissant dans l'adversité, unsoutien dans l'épreuve.

Mais ce même orgueil est aussi une infirmité morale, une cause de faiblesse et desouffrances.

La conscience de sa valeur méconnue dut rendre plus cruelles encore pour le poète, en dépit de sa «résignation philosophique », les humiliations, les injustices, les déboires de toute sorte qui lui furent infligés par les. »

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