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Le portrait du pharmacien Homais (Madame Bovary - Flaubert)

Publié le 22/02/2012

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bovary
Homais, à qui il arrive d'exercer illégalement la médecine, fait preuve auprès de Charles d'une « cordialité obséquieuse », il cherche à se l'« attacher par des politesses » afin de « gagner sa gratitude et empêcher qu'il ne parle plus tard, s'il s'apercevait de quelque chose ». Il aura recours encore à la flatterie pour convaincre Hippolyte de se faire opérer. Puis, après l'échec de l'opération, subissant en compagnie de Charles les sarcasmes du docteur Canivet, « il dissimul[eral son malaise sous un sourire de courtisan [..] et, abandonnant ses principes, il sacrifiera sa dignité aux intérêts supérieurs de son commerce ». A la fin du roman, il ira jusqu'à écrire au roi en le comparant à Henri IV pour obtenir une décoration. Ce sont là certes des manières sans noblesse, des manières de bourgeois guidé par l'espérance d'un profit matériel. Mais Flaubert ne saurait se contenter de cette caricature par trop réaliste, et somme toute simpliste. Il y a chez Homais un goût de la flatterie purement gratuit. Il ressent à flatter une sorte d'ivresse comme si quelque chose du compliment qu'il profère rejaillissait sur lui, dans un moment de confusion entre celui qui parle et celui à qui on s'adresse. Il lui arrive ainsi de donner à Charles le titre de « docteur », pour le seul plaisir de prononcer le mot. Et si, alors qu'Emma agonise, ce bon Homais quitte la maison Bovary pour offrir à déjeuner au docteur Larivière, c'est qu'« il ne pouvait, par tempérament, se séparer des gens célèbres ».
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« accompagne les époux jusqu'à la diligence, les traite affectueusement d'« heureux mortels » et trouve Emma « jolie comme un Amour ».

Rentrant désespérée à Yonville, c'est «presque avec joie » qu'elle rencontre « ce bon Homais », un paquet de gâteaux à la main, qui l'entretient avec tendresse de la gourmandise de son épouse.

Et c'est encore lui qui assistera Charles lors de l'agonie d'Emma, puis encore quelque temps au début de son deuil, « sans garder rancune au pauvre Charles » que la douleur égare. Ces détails, pourtant, ne suffisent pas à sauver Homais.

Il ne sont dus qu'au talent qu'a Flaubert pour donner del'épaisseur à ces personnages en superposant à l'image qu'il en veut donner une image légèrement décalée qui leurconfère du relief et les inscrit dans une profondeur de champ psychologique.

Il peut alors forcer le trait sanscraindre l'effet schématisant de la caricature, et il ne lui reste plus qu' à dérouler le catalogue des travers de sestypes.

Voici donc un catalogue raisonné des travers du bourgeois. Le paternalisme Bien que le mot n'apparaisse en français qu'à partir du XX e siècle, cette attitude qui consiste, pour un supérieur, à faire preuve vis-à-vis d'un subordonné d'une bienveillance mêlée de condescendance, n'est pas récente.

Le mot nes'impose qu'après qu'on a commencé à la dénoncer ; c'est-à-dire, au plan littéraire, après Flaubert et surtout aprèsZola.

Homais en est un exemple typique en cela qu'il s'ignore : il n'y a de paternalisme que de bonne foi.

Sa conduiteà l'égard de Justin, son apprenti, est bien celle d'un patron qui, reléguant au second plan la relation purementéconomique, cherche à asseoir son autorité en jouant auprès du jeune homme le rôle d'un père et celui d'un maître.Flaubert souligne cette ambiguïté au cours des deux principales scènes qui mettent en présence l'apothicaire et sonélève : deux scènes de dispute. Alors que Justin, qui a déserté la pharmacie pour s'en venir chez les Bovary, s'est évanoui en assistant à la saignéedu domestique de Rodolphe, Homais fait irruption chez le médecin et s'adresse ainsi au jeune homme qui se remet desa syncope : « Qui t'a prié de venir ? Tu importunes toujours monsieur et madame ! Les mercredis, d'ailleurs, taprésence m'est plus qu'indispensable.

Il y a maintenant vingt personnes à la maison.

J'ai tout quitté, àcause de l'intérêt que je te porte.

Allons, va-t'en ! cours ! attends-moi, et surveille les bocaux ! » On voit bien, dans ces propos, comment Flaubert tresse le discours du père et celui du patron, indissociables dans l'esprit d' Homais.

De même, lors de la scène où, à la suite d'une erreur professionnelle de Justin, Emma apprendral'existence du capharnaüm, cette pièce où l'on serre l'arsenic, le patron rabroue-t-il son commis en ces termesambigus : « Voilà comme tu reconnais les bontés qu'on a pour toi ! voilà comme tu me récompenses des soins toutpaternels que je te prodigue ! car, sans moi, où serais-tu ? Que ferais-tu ? Qui te fournit la nourriture,l'éducation, l'habillement...

» La relation patron-apprenti n'est pas considérée comme une relation économique, mais affective.

Le patron(étymologiquement proche du « père ») est non seulement celui qui nourrit, qui éduque, qui habille, mais encorecelui qui sauve de la misère ; le travail devient alors un devoir de gratitude et n'a pas de valeur en soi.

Cetteconception paternaliste de la société triomphe dans l'épisode des Comices, lors de la remise d'une médaille à la vieilleCatherine Leroux, pour plus d'un demi-siècle de bons et loyaux services.

La reconnaissance fonctionne à doublesens : preuve de la perfection du système... Mais le paternalisme ne sévit pas seulement dans les rapports de production.

Véritable idéologie, elle a desdérapages fanatiques proches du pur délire.

La charité selon Homais, par exemple, affranchie de la moralechrétienne, est un modèle du genre.

Et Flaubert s'en régale.

Rencontrant l'aveugle aux yeux pourrissants qui mendiesur la route de Rouen, le pharmacien tout d'abord s'emporte : « On devrait enfermer ces malheureux, que l'on forcerait à quelque travail.

» Puis, après un rapide diagnostic, et comme ignorant sa misère, il l'engage « à prendre de bon vin, de bonne bière, de bons rôtis ».

Avant de lui faire enfin cette aumône : « Tiens, voilà un sou, rends-moi deux liards : et n'oublie pas mes recommandations, tu t'en trouveras bien.

» Il n'y a guère à commenter cette scène, sinon à souligner que l'absence de jugement explicite, avatar du concept d'impersonnalité, est bien le moyenstylistique qui confère toute sa force à la dénonciation.

C'est à peine si l'on doit formuler la question implicite quepose ici Flaubert : quel est le plus aveugle des deux ; ou mieux : le plus pourri ? La flatterie Dans le système d'Homais, la flatterie est l'inverse complémentaire du paternalisme.

A la bienveillancecondescendante s'oppose la bienveillance servile, intéressée ou sincère, qui est elle aussi fonction de la place qu'ona, ou voudrait avoir, dans la société. Homais, à qui il arrive d'exercer illégalement la médecine, fait preuve auprès de Charles d'une « cordialité obséquieuse », il cherche à se l'« attacher par des politesses » afin de « gagner sa gratitude et empêcher qu'il ne parle plus tard, s'il s'apercevait de quelque chose ».

Il aura recours encore à la flatterie pour convaincre Hippolyte de se faire opérer.

Puis, après l'échec de l'opération, subissant en compagnie de Charles les sarcasmes du docteurCanivet, « il dissimul[eral son malaise sous un sourire de courtisan [..] et, abandonnant ses principes, il sacrifiera sa dignité aux intérêts supérieurs de son commerce ».

A la fin du roman, il ira jusqu'à écrire au roi en le comparant. »

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