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Le projet littéraire de Montaigne dans Les Essais

Publié le 22/09/2011

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montaigne

En évoquant l’expression populaire, faire des Essais un moulin traduit tout le foisonnement fécond qui les traversent. Mais, au-delà de cette anecdote, on pourrait finalement résumer métaphoriquement le processus pourtant pluriel des Essais en une machine « à moudre « le monde. Montaigne « compter[ait] les expériences « avant de les « peser et assortir « comme on sélectionnerait le meilleure grain à moudre. « Digérer et alambiquer « seraient le processus de mouture en lui-même. On en tirerait alors « les raisons et conclusions «. Si les Essais sont alors la machine à moudre il faut garder en tête le statut de l’auteur par rapport à ce processus. En fait, ce que Montaigne cherche le plus à juger c’est finalement lui, il est donc sans cesse lui-même moulu. Au-delà de la métaphore on touche donc à la célèbre déclaration: « Je suis moi-même la matière de mon livre «.

montaigne

« surprenant en-cela quand on sait que la langue maternelle de Montaigne est le latin bien avant le français.

LesEssais se présentent donc aussi comme une œuvre plurilingue.

Si l‘on rajoute à cela les vingt ans d‘écriture deMontaigne jusqu‘à sa mort en 1592, les multiples réécritures et rajouts (il y eut trois éditions des Essais, en 1580,1588 et 1595, avec en plus « l‘exemplaire de Bordeaux ») on pèse la teneur de l’entreprise du philosophe dont iltémoigne lui-même ainsi: « Qui ne voit que je n’ai pris une route par laquelle sans cesse et sans travail, j’irai autantqu’il y aura d’encre et de papier au monde ». 13) Une impression d’errance sur la « route » Si Montaigne rédige les Essais comme il prend la route, il ne semble pas pour autant savoir où il va tant son œuvresemble manquer d‘un mouvement général.

Par rapport à l’horizon d’attente d’une telle œuvre, celle d’un penseur,Montaigne s’inscrit en porte à faux de tous les autres philosophes.

Ses réflexions semblent intervenir sur la pagecomme elles lui viennent en tête, tantôt inspirées par une expérience personnelle tantôt par la citation d’un ancienpar exemple sans jamais s’appuyer sur une vision particulière du monde, une théorisation.

Malebranche remarquedans sa Recherche de la vérité que Montaigne « n'a point de principes sur lesquels il fonde ses raisonnements, et iln'a pas d'ordre pour la déduction de ses principes ».

En outre, comme on l’a vu, le texte fourmille de thèmes, desujets, de réflexions aussi riches qu’ils peuvent être épars.

En cela il manque fondamentalement de plan, du moinsd’un respect du plan.

D’une part les chapitres de livre III en particulier ne semblent par répondre entre eux à unelogique spécifique.

D’autre part, au sein même de ces chapitres, Montaigne donne souvent l’impression d’écrire au filde la plume sans parfois même toucher dans ce qu‘il dit au sujet que son titre chapitral indiquait.

Par exemple, lechapitre II, tout de même intitulé « Du repentir », s’ouvre sur une réflexion méta textuelle voire philosophique (c’estlà que Montaigne écrit sa célèbre maxime: « le monde n’est qu’une branloire pérenne »).

Ce chapitre tient presquedonc plus de la préface que de la méditation sur le « repentir » que l’on pourrait espérer.

En fait, une notion clé pourenvisager l’écriture de Montaigne est celle de « digression » qui vient du latin « disagradior: s‘écarter de ».

Notreauteur semble écrire par influence, au fil des idées, l’une en appelant une autre d’où la variété des réflexions maisaussi leur manque d’organisation.

Un tel enchainement attend son paroxysme dans le chapitre VI « des coches » oùautant de thèmes différents tels que l’éternuement, le mal de mer, les coches (tout de même…) et nombre d’autress’étendent au fil de la plume de Montaigne.

Les citations dont nous avons parlé jouent elles-mêmes un rôle dans cesdigressions, s’inscrivant parfois en porte à faux par rapport au sujet ou du moins interrompant son développement.Toujours ces mêmes digressions tendent même à s’amplifier au fil des rééditions du texte, Montaigne se relisant sanscesse, il apporte de fait de nombreuses retouches, précisions, voire contre-opinions à ses jugements.

On conçoitdonc qu’une telle combinaison confère toute son instabilité à un texte qui ne semble qu’obéir au foisonnementspirituel de Montaigne. II) Une architecture sous voile 21) Un parti pris poétique En prenant la peine de s’attarder à ce foisonnement, il devient manifeste qu’il est symbolique d’un processus voulupar Montaigne.

D’ailleurs celui-ci le revendique lui-même en rappelant au lecteur dans le chapitre IX: « Je m’esgare :mais plustost par licence, que par mesgarde : Mes fantaisies se suyvent : mais par fois c’est de loing : et seregardent, mais d’une veue oblique.[…] J’aime l’allure poétique par sauts et gambades ».

Cette éparpillement de laréflexion, que l’on assimile à la digression, est avant tout une manifestation de l’écrivain Montaigne avant lephilosophe.

Il s’agit d’un réel parti pris stylistique comme en est manifeste le syntagme « allure poétique ».

D’ailleurs,Montaigne poursuit ainsi la phrase que nous venons de citer: « Ô Dieu, que ces gaillardes escapades, que cettevariation ont de beauté, et plus encore lorsqu’elles ont plus un air nonchalant et fortuit ! ».

Que ce soit l’apostropheà « Dieu », l’emploi du substantif « beauté », ou encore le point d’exclamation, tout indique l’attachement del’auteur aux « effets » de son texte, une poétisation bien étonnante dans un essai à priori philosophique.

Montaignerevendique une telle esthétique en s’inspirant de l’antiquité, selon lui « Les Anciens […] ont une grâce étonnantepour se laisser ainsi rouler par le vent… ».

En cela, il semble notamment s’inspirer de Platon et la construction de sesleçons philosophiques sous forme de discussions, fondamentalement opposées à l’austérité d’un essai traditionnel.Tout concorde donc à dire qu’en fait Montaigne cherche à faire opérer son texte sur le mode de la causerie commes‘il écrivait des lettres à un ami.

D’ailleurs « il aurait pris plus volontiers cette forme à publier ses verves, s’il eût eu àqui parler » (livre I des Essais).

On peut alors y voir aussi, l’explication des digressions sur le quotidien ( à propos deses problèmes urinaires par exemple) vectrices d’une désacralisation des réflexions du philosophe sur le monde.

Cesremarques sur les digressions, ironiquement au sein même d’une digression du chapitre IX, témoignent finalement dela volonté d’un auteur de faire de son texte un lieu de vie, où l’on s’y promène et où l’on s’y rencontre (soi-même etl’autre) pour traiter de tout sur tous les tons.

Le style et le déroulement des Essais se révèlent donc être finementtravaillés, comme le prouve le passage que nous venons d’étudier: derrière le Montaigne qui veut laisser croire qu’ilimprovise et moque le style ampoulé se cache « un grand artiste, infiniment respectueux de son art, et d’uneconscience professionnelle vraiment admirable » (Fortunat Strowski in Montaigne). 22) « Pousser une porte pour savoir qu‘elle nous est close» (Montaigne) Il reste cependant délicat de voir derrière ce foisonnement un unique simulacre de décontraction pour mettre à l’aiseson lecteur ou lui plaire.

Ainsi, au-delà, d’un parti pris stylistique gratuit, l’écriture à « sauts et à gambades » estrévélatrice de l’attitude du philosophe Montaigne.

D’un point de vue philosophique, écrire ainsi c’est bien pourmultiplier les focales autour d’un monde qui est considéré a l’époque chez les baroques, rappelons-le, comme une« branloire pérenne ».

En fait, au cours de son travail rédactionnel, Montaigne cherche bien à « compter » le plus. »

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