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Le retour de la petite phrase: la sonate de Vinteuil de Proust (Commentaire d'Un amour de Swann)

Publié le 29/09/2018

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proust

Mais tout à coup ce fut comme si elle [Odette] était entrée, et cette apparition lui fut une si déchirante souffrance qu’il dut porter la main à son cœur. C’est que le violon était monté à des notes hautes où il restait comme pour une attente, une attente qui se prolongeait sans qu’il cessât de les tenir, dans l’exaltation où il était d’apercevoir déjà l’objet de son attente qui s’approchait, et avec un effort désespéré pour tâcher de durer jusqu’à son arrivée, de l’accueillir avant d’expirer, de lui maintenir encore un moment de toutes ses dernières forces le chemin ouvert pour qu’il pût passer, comme on soutient une porte qui sans cela retomberait. Et avant que Swann eût eu le temps de comprendre, et de se dire : « C’est la petite phrase de la sonate de Vinteuil, n’écoutons pas!» tous ses souvenirs du temps où Odette était éprise de lui, et qu’il avait réussi jusqu’à ce jour à maintenir invisibles dans les profondeurs de son être, trompés par ce brusque rayon du temps d’amour qu’ils crurent revenu, s’étaient réveillés et, à tire-d’aile, étaient remontés lui chanter éperdument, sans pitié pour son infortune présente, les refrains oubliés du bonheur.

 

Au lieu des expressions abstraites « temps où j’étais heureux», ««temps où j’étais aimé», qu’il avait souvent prononcées jusque-là et sans trop souffrir, car son intelligence n’y avait enfermé du passé que de prétendus extraits qui n’en conservaient rien, il retrouva tout ce qui de ce bonheur perdu avait fixé à jamais la spécifique et volatile essence; il revit tout, les \\ pétales neigeux et frisés du chrysanthème qu’elle lui avait jeté dans sa voiture, qu’il avait gardé contre ses lèvres - l’adresse en relief de la« Maison Dorée » sur \\ la lettre où il avait lu: «Ma main tremble si fort en j vous écrivant» - le rapprochement de ses sourcils quand elle lui avait dit d’un air suppliant: « Ce n’est pas dans trop longtemps que vous me ferez signe? »; il sentit l’odeur dufer du coiffeur par lequel il sefai-sait relever sa « brosse » pendant que Lorédan allait chercher la petite ouvrière, les pluies d’orage qui tombèrent si souvent ce printemps-là, le retour glacial dans sa victoria, au clair de lune, toutes les mailles d’habitudes mentales, d’impressions saisonnières, de réactions cutanées, qui avaient étendu sur une suite de semaines un réseau uniforme dans lequel son corps se trouvait repris. À ce moment-là, il satisfaisait une curiosité voluptueuse en connaissant les plaisirs des gens qui vivent par l’amour. Il avait cru qu’il pourrait s’en tenir là, qu’il ne serait pas obligé d’en apprendre les douleurs; comme maintenant le charme d’Odette lui était peu de chose auprès de cette formidable terreur qui le prolongeait comme un trouble halo, cette immense angoisse de ne pas savoir à tous moments ce qu’elle avait fait, de ne pas la posséder partout et toujours!

 

Folio, pp. 208-209

Problématique

 

L’exécution de la sonate de Vinteuil au cours de la soirée chez la marquise de Sainte-Euverte est un des points d’unification du récit. L’amour de Swann a pris bien des visages dans les diverses phases de son évolution. Le retour de la petite phrase, avec son cortège de souvenirs, atteste que l’amant heureux d’hier et l’individu tourmenté d’aujourd’hui sont bien une seule et même personne; il permet à Swann de retrouver, en un bref éclair, l’homme qu’il fut et les douces émotions enfuies. Cette rencontre entre passé et présent jette comme un pont à travers le récit, à plus de cent pages de distance. Derrière le déroulement linéaire du récit se discerne ainsi une composition de type musical, caractérisée par la récurrence d’un même thème.

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« pas dans trop longtemps que vous me ferez signe? »; il sentit l'odeur du fer du coif feur par lequel il se fai- sait relever sa « brosse » pendant que Lorédan allait chercher la petite ouvrière, les pluies d'orage qui tom- Exercice: de la phrase musicale bèrent si souvent ce printemps-là, le retour glacial à la phrase dans sa victoria, au clair de lune, toutes les mailles syntaxique.

d'habitudes mentales, d'impressions saisonnières, de réactions cutanées, qui avaient étendu sur une suite de semaines un réseau uniforme dans lequel son corps se trouvait repris.

À ce moment-là, il satisfaisait une curiosité voluptueuse en connaissant les plaisirs des gens qui vivent par l'amour.

Il avait cru pourrait tenir là, qu'il ne serait pas obligé d'en apprendre les douleurs; comme maintenant le charme d'Odette lui était peu de chose auprès de cette formidable ter­ reur qui le prolongeait comme un trouble halo, cette immense angoisse de ne savoir à tous moments ce qu'elle avait fait, de ne pas la posséder partout et toujours! Folio, pp.

208-209 Problématique L'exécution de la sonate de Vinteuil au cours de la soirée chez la marquise de Sainte-Euverte est un des points d'unification du récit.

L'amour de Swann a pris bien des visages dans les diverses phases de son évo­ lution.

Le retour de la petite phrase, avec son cortège de souvenirs, atteste que l'amant heureux d'hier et l'individu tourmenté d'aujourd'hui sont bien une seule et même personne; il permet à Swann de retrouver, en un bref éclair, l'homme qu'il fut et les douces émotions enfuies.

Cette rencontre entre passé et présent jette comme un pont à travers le récit, à plus de cent pages de distance.

Derrière le déroule­ ment linéaire du récit se discerne ainsi une composi­ tion de type musical, caractérisée par la récurrence d'un même thème.

L'intensité drama tique de 1 'expé rience est soutenue par la construction de la phrase «C'est que [ ...

] retombe rait >>.

Elle reproduit la tension qui caractérise la partie de violon ces effets d'attente prolongés jusqu'à l'exaspé ration.

Après avoir procédé à son ana lyse logique, vous pourrez: relever les effets d'anaphore (répéti tion stylistique); ils tendent à la mise en valeur, presque obsessionnelle, d'un mot : lequel? montrer com ment la phr ase se scinde en plusieurs groupes complé ments, ce qui retar de sans cesse son aboutissement; relever un ou deux exemples carac téristiques où les subordon nées s'encharnent comme en cascade, faisan t reb ondir indéfi niment la phrase ; expliquer ce qu'a de particulière ment frappant la chute de la phra se, dans la dernière subor donnée relative.

Il convient donc d'étudier la façon dont la phrase proustienne récupère les fragments d'une expérience amoureuse, les réunifie et contribue à tisser à travers le roman tout un réseau d'échos.. »

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