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Le roman poétique et Bernardin de Saint-Pierre

Publié le 20/01/2018

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Un mérite qu'on ne discute pas à Bernardin est d'avoir créé en France le roman exotique: ni Chateaubriand, ni Loti, ni aucun des romanciers de l'expansion colo­niale n'ont fait pâlir la poésie des paysages, des arbres, des oiseaux que Bernardin avait pour la première fois nommés dans un roman; les écrivains baroques avaient bien été de grands descriptifs, mais ils notaient des effets généraux d'ordre, de confusion, de mouvement, de lumière, ou bien ils énuméraient minutieusement des détails dont l'ensemble ne ressortait pas; de plus, ils ne disposaient que d'un vocabulaire universaliste. Bernardin dispose, lui, d'un vocabulaire concret très coloré et très riche, il compose des ensembles où chaque détail est pittoresque en lui-même et concourt à l'effet général. Quand les poètes descriptifs français de son temps étaient prisonniers de la rhétorique et du tableau de genre, il a donné au roman le pouvoir de montrer la beauté des choses; il a fait voir les touffes de scolopèndre suspendues comme de longs rubans d'un vert pourpré, la raquette chargée de fleurs jaunes fouettées de rouge, le feuillage éclairé de rayons safranés, la frégate noire et l'oiseau blanc des tropiques, les cardinaux couleur de feu et ' les perruches vertes comme des émeraudes, l'été torride où le jour est voilé de vapeurs rousses, la forêt d'arbres de toute sorte où s'enlacent les lianes, si odorante

Les critiques malintentionnés rétorquent que Bernardin est plus dangereux que Longus, parce que sa sensualité est hypocritement couverte d'un voile de vertu, que cette affectation de vertu est elle-même insupportable, et que ces person¬nages toujours en train de pleurer d'émotion sont hors nature. Le style de Bernardin s'en ressent : des yeux de Virginie, l'auteur nous apprend que, « quand elle gardait le silence, leur obliquité naturelle vers le ciel leur donnait une expression d'une sensibilité extrême, et même celle d'une légère mélancolie »; « rassurez-vous, infortunée créature », dit Virginie à la négresse marronne; quand elle écrit enfin de France, « la lettre de cette sensible et vertueuse demoiselle fit verser des larmes à toute la famille » ; les singes sont les « paisibles enfants de la nature » et les oiseaux les « heureux habitants » de la forêt. Après un succès extraordinaire jusque fort avant dans le xiiie siècle, Paul et Virginie est devenu un livre difficile à défendre; de nos jours, ceux qui en font l'éloge ont besoin de trouver des excuses à leur admiration, et ceux qui le condamnent en déchirent sans pitié les équivoques : ... ouvrage proprement affligeant », décrétait Albert Camus; « livre faux et mesquin, dont la morale se résume en ce cri : « Dieu soit loué, vous êtes riches! » et dont les

Mais Bernardin ne décrit pas la nature pour elle-même : autour de ses person­nages, il dispose un décor qui symbolise leur âme et leur destin; les êtres sont faits pour cette nature et elle est faite pour eux; ils pensent par elle, ils vivent de sa vie : 4 les périodes de leur vie se réglaient sur celle de la nature. Ils connaissaient les heures du jour par l'ombre des arbres; les saisons, par les temps où ils donnent leurs fleurs ou leurs fruits; et les années, par le nombre de leurs récoltes. Ces douces images répandaient les plus grands charmes dans leurs conversations 1 I. Les paroles de Paul à Virginie sont en effet un poème en prose par la correspon­dance continue entre la nature et la jeune fille : 4 Quand du haut de la montagne je t'aperçois au fond de ce vallon, tu me parais au milieu des vergers comme un bouton de rose. Si tu marches vers la maison de nos mères, la perdrix qui court vers ses petits a un corsage moins beau et une démarche moins légère [ ... ] L'azur du ciel est moins beau que le bleu de tes yeux; le chant des bengalis moins doux que le son de ta voix Z ». En rattachant le roman aux Epoques de la Nature, Bernar­din pouvait illustrer par ces correspondances le finalisme qu'il apercevait dans la nature entière. La providence divine, qui préside à cet accord, est toujours prête à se manifester dès qu'un cœur pur s'adresse à elle: Paul et Virginie sont accablés de faim et de soif, sans rien à leur portée qui puisse les rafraîchir; 4 Dieu aura pitié de nous, reprit Virginie [ ... ] A peine avait-elle dit ces mots qu'ils entendirent le bruit d'une source »; ils se sont perdus dans la forêt, la nuit vient, Paul se déses­père; mais Virginie : 4 Prions Dieu, mon frère, et il aura pitié de nous. A peine avaient-ils achevé leur prière qu'ils entendirent un chien aboyer », le bon chien Fidèle précédant le bon nègre Domingue 3• Paul et Virginie vivent donc dans un paradis : 4 Tels dans le jardin d'Eden parurent nos premiers parents ' ».

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« Déjà Rousseau se séparait des philosophes bourgeois en allant plus loin qu'eux par la rigueur de son système politique, et les Egaux, Babeuf, Buonarotti, qui conspirèrent contre le Directoire, étaient ses disciples; du côté opposé, Sade s'appuie sur toute la pensée philosophique de son temps pour revendiquer ses droits à un séparatisme et un individualisme absolus et compenser ainsi la con­ damnation portée contre la classe sociale à laquelle il appartient.

Le réalisme sentimental était trop plein de contradictions pour être rassurant et consolant lors des crises politiques, il convenait mieux à une bourgeoisie cherchant l'alliance du peuple qu'à une bourgeoisie cherchant contre le peuple l'al ce de l'aristo­ cratie.

Le besoin d'évasion, la peur d'une littérature trop directement expressive d'une réalité pénible expliquent qu'au roman sensible, déjà déformant, aient succédé le roman troubadour et la pastorale.

Théophile Gautier a protesté avec véhémence contre le Moyen Age. »

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