Le romantisme d'Alfred de Vigny
Publié le 24/03/2011
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Matière. — Ferdinand Brunetière classe Vigny parmi « les transfuges du romantisme « pour les raisons suivantes : 1° Vigny s'oppose à l'expansion du moi dans l'œuvre poétique : Gémir, pleurer, prier est également lâche. 2° Au lieu des thèmes que le romantisme avait orchestrés, il met en œuvre des idées dont il donne des symboles poétiques. 3° Au point de vue de la forme, le poète qui a écrit : « un livre tel que je le conçois doit être composé, sculpté, doré, taillé, fini, élimé et poli comme une statue de marbre de Paros «, se séparait des romantiques par ces scrupules. Après avoir montré comment Vigny s'éloigna en effet du romantisme, vous ferez voir par quoi il s'y rattache.

«
Revenons à l'écrivain, au précurseur qu'il fut.
Son roman historique, Cinq-.Mars, ouvrit
la voie à
Notre-Dame de Paris, à la Chronique du regne de Charles 1 X et, avec une tenue et un style
tout autres, certes, aux Trois Mousquetaires.
Vigny fut applaudi à l'Odéon, au Français, avant
Hugo.
Avant celui-ci, et Gautier et Musset, Dolorida fit scintiller l'Espagne.
Ailleurs, des vers
d'un mystère assourdi font déjà courir le « frisson nouveau » baudelairien; la forme, le ton de
certains poèmes préfigurent le Parnasse de Leconte de Lisle, de Hérédia; quelques familiarités
quasi prosaïques
annoncent, dans le récit rimé, Coppée.
Néanmoins, Vigny est à peu près
incomparable.
En quoi?
Avec un souvenir de Chénier auquel le liait une piété dont témoigne un poignant épisode
de Stello - il fut, certes, un romantique : on pense à Byron, à Chateaubriand.
Mais un classi
que aussi, ou un post-classique : l'Antiquité, la Bible, Milton l'entourent, influences qu'il a su
transfigurer,
quoiqu'il se soit un peu embarrassé d'abord dans le poème en plusieurs chants
(Eloa) ou très développé (le Déluge).
Mais ce jeune homme de vingt-quatre ans osait affronter
Moïse, les Anges, Dieu même.
Visions cosmiques, évocation et création de mythes.
De si vastes
essors pouvaient-ils
échapper à une sorte d'emphase engendrée par les sujets mêmes? Dans les
formules
et les goûts de l'époque sévissaient encore des métaphores et des périphrases dont Vigny
ne s'est pas aussitôt libéré.
Mais il fut et restera le plus intellectuel, le plus intelligent peut-être,
des poètes romantiques.
Il a interrogé l'Infini, l'Absolu et, avec un désespoir héroïque, s'est
penché
sur l'énigme des destinées.
Pessimiste lucide mais énergique, il estime· que la Nature
insensible réduit l'âme à la détresse, mais il se combat soi-même et se redresse.
Prophétique,
çà et là, et fulgurant ou cristallin, il effleure le sublime; des éclairs jaillissent, ou bien une suavité,
une grâce ravissantes affleurent, fugitives comme Galatée.
Puis passe un souffle de vent salin:
la frégate La Sérieuse tonne et s'ensevelit dans« l'eau tournante »,-car outre les bois et les champs,
les déserts de l'Océan et ses tumultes offrirent au rêve altier de Vigny des « asiles »
Libres comme la mer autour des sombres îles.
Or ce poète sc tut soudain en r837, à quarante ans, et célèbre.
Jusqu'à sa mort, en 1863,
il ne donna plus que des poèmes isolés.
Leur recueil, les Destinées, parut, posthume, en r864.
Puis le Journal d'un pohe (r867).
Daphné, sorte de suite à Stello, fut exhumée en 1912 ...
Est-ce
une vie « pleine d'agitations violentes et sombres » qui inclina vers ce demi-silence un esprit
progressivement désaccordé à son temps et qui,
au-delà des religions auxquelles il ne pouvait
croire, sembla vouloir s'en former une, et hésita entre le passé lointain, le passé proche et un avenir
qu'il tentait de prophétiser en le redoutant? Ainsi, parmi des écrivains plus retentissants ou plus
immédiatement accessibles, il pensa n'avoir remporté que de nobles succès d'estime, disons :
de respect.
Néanmoins, prisonnier à certains égards
de sa propre majesté, il ouvrit de nouveaux
espaces à la poésie.
S'il nous fait traverser parfois des zones arides, l'éblouissement bref n'en est
que plus beau, Ainsi, le début et la troisième partie - le finale - de la Maison du berger sont,
dans
leur tristesse hautaine, merveilleusement proches du cœur; des vers s'y déploient qui ajoutent,
pour toujours, à ce que la Poésie française a de plus grand, leurs inépuisables musiques.
C'est dans la prose, pourtant, que Vigny fut le plus constamment magistral.
Ici, ni
convention, ni rhétorique.
L'autorité, le naturel du style créent d'emblée la présence des lieux,
des êtres.
Dans la Canne de jonc, le capitaine Renaud dit que « les événements ne sont rien, que
l'homme intérieur est tout ».
Mais, cet être secret, Vigny le révèle sans commentaires, à travers
les
f.ïits, les actes : Servitude et Grandeur militaires sont d'un conteur génial.
La vérité, même fami
lière, gracieuse ou
déchirante, y garde une instinctive noblesse.
Mérimée, Tolstoï, dans leurs
nouvelles,
n'ont rien donné de plus parfait, de plus vivant.
Ses œuvres romanesques, a-t-il écrit,
sont
« les chants d'une sorte de poème épique de la désillusion ».
Désillusion, fût-ce.
dans le
sentiment de
l'honneur, soit.
Mais Vigny l'a dépassée, ayant mis sur le cimier doré du gentilhomme,
Une plume de fer qui n'est pas sans beauté,
et parce qu'en écrivant et quels qu'aient été les à-coups de sa vie, il a, comme malgré lui,
toujours
fa.it appel à l'âme.
6g.
»
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