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Le romantisme et le roman

Publié le 14/01/2018

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de toute spiritualité, il leur montrait le sort que la société réserve aux êtres noblement dévoués à leur idéal, le poète, le soldat ou le croyant. Chacun des récits qui constituaient ces livres était profondément lié aux expériences de l'auteur ; il en était l'expression philosophique. Au fond, le roman pour Vigny, si tant est qu'on puisse parler de roman, avait les accents du Journal d’un poète et il rejoignait parfois le message des Destinées. Il était situé entre le journal intime et le symbolisme élaboré du recueil poétique.

 

« Des romans de Lamartine, écrit Gaëtan Picon1, de Musset, de Vigny, de Hugo, on doit dire qu'ils sont des romans de poètes, en ce sens que le lyrisme des passions vécues et l'imagination créatrice de symboles expressifs les dominent, comme ils dominent la poésie romantique ». Il y avait une autre voie plus secrète, qui conduisait le récit romantique aux confins du rêve, du souvenir et du mythe. Sylvie et Aurélia, ces incomparables récits poétiques étaient-ils encore des romans ? C'était plutôt l'évocation transparente et pure d'une patrie de l'âme ouverte aux élancements de l'angoisse, au charme et à la terreur des songes. Il faudrait parler de roman poétique, de poème en prose. Il y avait la plus fine pointe du romantisme dans ces œuvres de structure si neuve, fondées sur le contrepoint de la vie et du rêve, du présent et du passé, du souvenir et de la rêverie. L'existence de différents plans de réalité, l'exploration du rêve et des obsessions, tout cela était, de Nodier à Nerval, en marge du roman, comme le courant souterrain qui, à travers la poésie de Baudelaire, viendrait, beaucoup plus tard, s'épanouir chez Alain-Fournier, Marcel Proust et André Breton, en gerbes magnifiques. Il y a une ligne secrète et pure qui va de Sylvie au Grand Meaulnes et au Temps perdu, d’Aurélia à Nadja. Le génie de Nerval a été d'inventer une forme à la mesure de la singularité de son entreprise. La notion même de genre romanesque était dépassée. Le récit dans Aurélia était, pour ainsi dire, le journal de l'expérience la plus intime, la description des rêves était le compte rendu d'une descente dans les profondeurs du moi, elle avait la valeur d'une cure psychanalytique. En revanche, le Voyage en Orient était en même temps qu'un reportage, le roman d'une découverte progressive, une sorte de quête du Graal, une marche vers la lumière, l'anxieuse recherche d'une chose ou d'un être dont on éprouve le manque.

 

Chose frappante, les structures romanesques de Balzac, et, plus tard, celles de Flaubert, vaudraient, en gros, pour le xixe siècle. Mais les œuvres les plus originales du xxe siècle seront écrites en fonction de tout autres principes : ceux qui, au xixe siècle, ont germé dans des textes poétiques ou autobiographiques. Il y avait dans l'autobiographie stendhalienne d’Henry Brulard une chasse aux souvenirs qui annonçait bien des développements ultérieurs du roman. Le chant de la grive, chez Chateaubriand, dans les Mémoires d’Outre-Tombe, opérait déjà ce télescopage des temps qui était lié au phénomène de la mémoire affective. C'est, avec la Sylvie de Gérard de Nerval, un des textes qui ont inspiré Marcel Proust. Le roman du xixe siècle, dès l'époque du romantisme, a inventé des structures qui permettaient de rendre compte des complexités de la vie sociale, de procéder à une analyse

« tisme a donné au roman ses lettres de noblesse littéraire •· Il faut ajouter que le roman était sans doute, avec le drame, la littérature la plus susceptible de donner du plaisir aux hommes du XIxe siècle.

Sans parler d'une litté­ rature industrielle qui va des romans noirs de Ducray-Duminil aux romans­ feuilletons d'Alexandre Dumas, d'Eugène Sue ou de Frédéric Soulié, le succès grandissant du roman, dans les décennies qui suivent la Révolution, est lié à l'apparition d'un immense public de lecteurs.

L'évolution du roman au XIxe siècle ne tient pas seulement à des changements dans les habitudes de penser et de sentir, elle participe aux bouleverseme nts de la société française, elle a des implications sociologiques, et non plus seulement littéraires.

Il est frappant que l'idée d'un roman populaire apparaisse au moment où le roman-feuilleton, lié au développement d'une grande presse à bon marché, prend un essor considérable.

Le roman offrait aux écrivains romantiques une forme souple qui ne venait en rien gêner les caprices de leur inspiration.

En un temps où l'on était porté à bousculer toutes les contraintes, le roman bénéficiait du pres­ tige de la liberté.

Les poètes romantiques ont trouvé dans ce genre sans loi (et, paradoxalement, au moment même où Balzac lui inventait des structures) un instrument privilégié d'expression du moi.

Expression du moi qui allait de l'autobiographie plus ou moins transposée à l'expression des idées de l'auteur, et qui, même, conduisait aux premières descentes dans les profon­ deurs du rêve.

Combien de romans, au temps du romantisme, demeurent la confidence voilée des souffrances de l'écrivain! Il y a certes une part d'autobiographie dans le roman le plus objectif.

Mais, dans les premiers romans de George Sand, la vie de l'écrivain, les élans de son cœur affleurent constamment sous la trame du récit, ils donnent lieu à de brusques interventions lyriques.

La Confession d'un enfant du siècle de Musset, en 1836, transposait l'aven­ ture passionnelle du poète des Nuits.

Certes, au-delà d'une confidence, Musset entendait apporter le témoigna�e d'une génération.

Mais, cet Octave qui poursuit la femme aimée d'une Jalousie morbide et qui, finalement, s'efface pour la laisser connaître le bonheur avec un autre, ressemble à Musset comme un frère.

Dans Volupté de Sainte-Beuve, le récit est fait par le héros lui-même, Amaury, et le ton du roman personnel rejoint comme dans l'Obermann de Senancour, celui du journal intime, du compte rendu minutieux d'une expérience vécue.

Volupté était, pour Sainte-Beuve, l'occa­ sion d'une sorte de confession.

C'était le roman de son échec et de son trouble.

Mais la lucidité de l'analyse, la distance que l'auteur prenait avec lui­ même apportait de la lumière dans les fourrés les plus touffus de l'intériorité.

On songe à Proust, parfois, devant cette aptitude singulière à mettre à nu les racines des pensées les plus confuses.

Exprimer son moi, ce n'était pas seulement confier le secret de son cœur, c'était dire le résultat de ses réflexions sur la vie, c'était proposer les symboles qui rendaient compte, au plus juste, de cette transformation d'une expérience en conscience.

Quand Vigny écrivait, dans les années trente, avec Stello, avec Servitude et grandeur militaires, avec Daphné, une épopée de la désill usion, que proposait-il dans ces récits, sinon des images de son amertume et de son pessimisme ? Il faisait assister ses lecteurs à la mort. »

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