Devoir de Philosophie

le théâtre de l'impromptu

Publié le 15/12/2012

Extrait du document

Theatre Entre le manifeste et l'art poétique, entre la parole collective et le monologue, entre le théâtre montré et le théâtre qu'on montre, l'impromptu tient son existence paradoxale d'une tradition aux signes de rupture, d'une fiction à la recherche d'une vérité de la scène. Plus que d'autres, cette forme repose sur la notion de limite, une limite qu'elle s'ingénie «à franchir au mépris de la vraisemblance, et qui est précisément la narration (ou la représentation) elle-même1 «. Pièce écrite sur l'improvisation, pièce légère (comédie, lever de rideau) dont l'enjeu est le théâtre même, l'impromptu s'apparente à la fois à ces textes d'intention que sont les préfaces et prologues, à ces jeux dé perspective que constituent, notamment, // teatro comteo de Goldoni ou l'Illusion comique de Corneille et encore - et surtout - à ce qu'on a appelé «la subversion pirandellienne«. 1. Gérard Genette, Figures IU1 Paris, Seuil, 1972, p. 245 Mais à la différence des pièces de Pirandello, où le point de vue privilégié est celui de l'acteur, et où «le jeu de miroirs naît du rapport entre pièce jouée par des acteurs en tant que personnages, et pièce jouée par des acteurs en tant qu'acteurs, entre pièce-sujet et pièce-objet2«, l'impromptu propose un théâtre dans et sur le théâtre qui se veut également le procès du (de tout) théâtre. Le terme même d'impromptu est ambigu. Le Petit Robert le définit comme «provenant du latin in promptu : en évidence, sous la main. Petite pièce composée sur le champ et en principe sans préparation«. Inspiré de la commedia dell'arte, un certain type d'impromptu consiste ainsi en de petites comédies sans prétention, dont le but est de présenter devant un certain public une action dans laquelle un changement inattendu survient. Surtout eft vogue aux xvue et xvnie siècles, ces pièces étaient composées à l'occasion du mariage d'un personnage de la famille royale, du Nouvel An, ou d'une exposition à Paris, etc. On connaît, polir là période antérieure à Molière, l'Impromptu du coeur, rimpromptu du Polichinelle, l'Impromptu de l'An, du Garnison (1692) puis, après 1763, l'Impromptu de Suresnes (1713), l'Impromptu de la folie (1725). Il s'agit donc de pièces en un acte, pièces de circonstances reprenant les personnages (types) de la commedia dell'arte, où la critique du théâtre est soit absente, soit reléguée aux prologues3. Cette forme s'est encore poursuivie aujourd'hui, dans les Impromptus à loisir de René de Obaldia ou dans l'Impromptu de Québec de Marcel Dubé. Elle a évidemment peu à voir avec le manifeste et on comprendra qu'on ne s'y arrête pas ici. L'impromptu qui nous intéresse est celui qui, depuis Molière, à la fois se joue du théâtre et le joue, propose une poéti- 2. Gérard Genot, « La subversion pirandellienne «, dans Europe, juin 1967, p. 85. 3. Pour cette catégorie d'impromptus, cf. Ivana Batusic, «Les impromptus dans le théâtre français«, dans Studia romanica et anglica zagrabiensia, vol. 9, n° 10, décembre 1960, p. 125-136. Un exemple de transition entre les deux types d'Impromptu serait l'Impromptu de la foire ou les bonnes femmes mal nommées de Faconet (1763), pièce dont les personnages sont !'Harlequin, le directeur d'un théâtre de foire, le cocher, le marchand, quelques femmes et quelques comédiens. que et une problématique, s'amplifiant ainsi d'une dimension performative absente des textes mentionnés plus haut. Dans ce deuxième type d'impromptu, héritier des Grenouilles d'Aristophane et voisin de Y Achat du cuivre de Brecht, nous chercherons â reconnaître, au-delà de la notion de genre, des marques textuelles récurrentes qui le mettent en situation de risque constant, à la fois en dehors et en dedans du théâtre4. Cette forme savante qui met toute son application à se déguiser en forme simple, est en général peu prisée de la critique qu'elle attaque et qui le lui rend bien en la déclarant ?uvre d'humeur, non théâtrale. Loin d'en mésestimer l'importance, l'impromptu est, à notre avis, l'espace privilégié de l'inscription d'une théorie dans une pratique, le lieu de convergence exceptionnel d'une polémique, d'une poétique et d'une politique du théâtre. Une polémique L'impromptu attire d'abord l'attention par sa nature ponctuelle. Plus qu'une simple oeuvre de circonstance, il est une réponse à diverses attaques de la critique et, de façon implicite, aux questions du public. Cet aspect polémique est si présent dans l'Impromptu de Versailles que même Voltaire n'y voit rien d'autre qu'une «satire cruelle et outrée«. Celui-ci, faisant intervenir le seul point de vue éthique, condamne la pièce : , Molière fit ce petit ouvrage en partie pour se justifier devant le Roi de plusieurs calomnies, et en partie pour répondre à 4. Nous avons choisi de nous limiter à trois impromptus français et trois impromptus québécois. D'autres textes auraient pu figurer dans notre corpus, tels l'Impromptu de Paris de Copeau (1917), proche de celui de Molière, l'Impromptu de Paris de Jean Sarment (1935) destiné à présenter la Comédie-Française ou l'Impromptu du Palais-Royal de Cocteau (1957), d'abord divertissement. Les éditions auxquelles nous nous référerons sont les suivantes : Molière, l'Impromptu de Versailles, dans OEuvres de Molière, éd. revue et augmentée par Eugène Despois, Paris, Hachette, 1924, p. 373-435; Giraudoux, l'Impromptu de Paris, dans Théâtre 111, Grasset, 1959, p. 160-205 ; Ionesco, l'Impromptu de l'Aima, dans Théâtre 11, Gallimard, 1958, p. 11-58* Férrôn, l'Impromptu des deux chiens, dans la Tête du Roi, Théâtre 11, Montréal, Déom, 1975, p. 157-192 ; Filion, Impromptu pour deux virus, Leméac, 1973, 64 p. ; Tremblay, l'Impromptu d'Outremont, Leméac, 1980, 122 p. la pièce de Boursault. C'est une satire cruelle et outrée. Boursault y est nommé par son nom. La licence de l'ancienne comédie grecque n'allait pas plus loin. Il eût été de la bienséance et de l'honnêteté publique de supprimer la satire de Boursault et celle de Molière. Il est honteux que

« théâtre : «On ne fait pas une oeuvre théâtrale avec des jeux de l'esprit», écrit-on à son sujet7.

En 1956, Ionesco jouit d'une notoriété grandissante.

Mais les premiers étonnements passés, l'avant-garde commence à être mise en question.

Brecht vient de faire son entrée en France, un Brecht d'ailleurs moins connu par ses pièces que par son système dramatique.

À propos de Jacques ou la soumission, dernière création d'Ionesco avant VImpromptu, Bernard Dort écrit dans Théâtre populaire que l'auteur paraît «s'enfoncer dans un 5.

Sommaire de l'Impromptu de Versailles par Voltaire dans éd.

cit., p.

384. 6.

Donneau de Visé écrit, en 1663, la Réponse à l'Impromptu de Versailles ou la Vengeance des Marquis et Montfleury l'Impromptu de l'Hostel de Condé en 1664. 1.

Journal, 23 mai 1937. monde élémentaire, régi par quelques grandes figures archétypales.

[...] Alors, conclut-il, il ne serait plus qu'un Strindberg de quat'sous, un auteur «moral» réduit à mimer l'inévitable submersion de l'Homme seul par l'ordre des essences maudites du sexe et de la mort»8.

Ionesco contre-attaque.

Il précisera même, dans une note de l'édition de son texte, que les trois Bartholoméus sont les critiques de la revue Théâtre populaire (Barthes, Dort ?) et celui du Figaro (Jean-Jacques Gauthier ?).

Pour être moins liée à un contexte spécifique, la référence n'est pas moins présente dans l'Impromptu des deux chiens.

À ceux qui lui reprochent de faire un théâtre trop littéraire, Ferron riposte lui aussi par une courte pièce dans laquelle il cite abondamment ses collègues dramaturges, d'Anne Hébert à Mgr Savard, en passant par Madame Ouellet, dite la Poune.

Quant à l'Impromptu pour deux virus de Pierre Filion, s'il échappe à la circonstance et à la référence immédiate9 (rappelons qu'il s'agit d'une première pièce), il revoit cependant, par l'intermédiaire des prénoms de personnages, tout un passé théâtral.

Riposte, réponse ou question, le système même de l'impromptu suppose un réseau d'oppositions binaires : Molière / les Fâcheux, Jouvet / Robineau, Ionesco/les Bartholoméus, Ferron / Millaire, A/Z.

Cette forme emprunte au dialogue une certaine manière de faire un «théâtre épuré du théâtral», un théâtre dans lequel l'intrigue, les personnages et les effets sont réduits à l'essentiel.

Qu'il soit un importun (le Fâcheux), un concurrent (Millaire, le metteur en scène), un «honnête homme» (Robineau, le commis de l'État), un critique (les savants Bartholoméus) ou une compagne de quête (A, le personnage en chaise roulante), toujours l'autre a un rôle d'opposant purement théorique, dans la mesure où la question se trouve en quelque 8.

«Ionesco : de la révolte à la soumission», texte de 1955 publié dans la revue Théâtre populaire et repris dans Théâtre public, Paris, Seuil, 1967, p.

253-254. 9.

Il n'échappe pas cependant à l'attitude générale de la critique face aux impromptus.

Martial Dassylva parle à son sujet d'un théâtre «terriblement sec et terriblement méningé», Montréal, la Presse, 24 novembre 1972. sorte prédéterminée par la réponse.

«Si un philosophe a pu dire que, dans le dialogue intérieur, «je m'adresse à moi-même comme à un autre», ne pourrait-on pas dire que, dans le dialogue «extériorisé», je m'adresse à l'autre comme à un autre moimême ?10» Les oppositions, dans l'impromptu, ne servent qu'à mieux mettre en évidence la parole d'un personnage-embrayeur, avatar éwje écrivant.

Ainsi à un niveau purement rhétorique, le discours de cette forme ressemble-t-il à un monologue masqué : A- Le théâtre, c'est comme le reste, c'est des coupures dans le monologue d'un menteur, auteur, menteuse, auteuse, autrice, autruche.

B- Autruche ? Monologue d'autruche {Impromptu pour deux virus, p.

50). Comme le dialogue philosophique, l'impromptu ne pose les contraires que pour prétendre en diminuer l'écart et ce n'est pas en vain que le mot d'«utopie» est prononcé dans la pièce de Pierre Filion.

Chez Ionesco comme chez Ferron, il se produit ainsi d'étranges renversements, les positions initiales étant dépassées ou annulées dans la dynamique finale.

Par contre, chez Molière comme chez Giraudoux, on laisse au seul public le soin de conclure.

Arbitre de la polémique, le spectateur est présent dans le texte même de l'impromptu.

On le prend à partie, on l'interpelle, on le déclare apte à juger du débat.

Ce tiers indispensable, si on feint un moment de l'ignorer en le laissant pénétrer dans les coulisses, c'est pour mieux l'associer à un procès du théâtre qui se déguise en procès de la représentation. Une poétique L'impromptu accumule les effets de jeu, les ruptures, les changements de niveaux.

Ne parle-t-on pas à ce sujet de trame décousue, d'action relâchée ? Pièce sans intrigue, cette comédie du théâtre au théâtre est une improvisation articulée en système 10.

Alexandre Lazaridès, Valéry, Pour une poétique du dialogue, Montréal, P.U.M., 1978, p.

80.

Z.

Youssef souligne bien ce rôle de catalyseur que joue Robineau dans l'Impromptu de Paris (Z.

Youssef, «Trois impromptus dans le théâtre français : Molière, Giraudoux, Ionesco», dans les Lettres romanes ; n° XXIX, 1975, p.

115. textuel.

Avec Molière et Giraudoux, le public assiste à une répétition : il est convié en même temps sur la scène et dans les coulisses.

Au début de l'Impromptu de Versailles, Molière, seul, parle à ses camarades qui sont «derrière le théâtre».

«Nous ne savons pas nos rôles », se plaint Brécourt.

À la scène 3, la répétition commence : «Figurez-vous donc premièrement que la scène est dans l'antichambre du Roi».

Molière et La Grange joueront des marquis.

Mais un Fâcheux intervient, le roi dit de commencer, on n'est pas prêt, et ainsi de suite jusqu'à la fin, alors que la «vraie pièce» sera remise à plus tard.

Un même canevas guide Giraudoux.

Jouvet et les comédiens répètent l'Impromptu de Versailles lorsque Robineau arrive, nouveau Fâcheux plein de bonnes intentions.

Au début de l'Impromptude l'Aima, lorsque les critiques viennent lui commander une pièce, Ionesco dort sur ses paperasses.

Il improvise immédiatement un texte, intitulé le Caméléon du berger, dans lequel un critique vient demander une pièce à un auteur qui dort.

La scène se répète avec l'arrivée de chacun des trois critiques.

Dans l'Impromptu des deux chiens, il est question de déguisements et de perruques, de naturel et d'artifice : Millaire.- Attention à votre perruque, Ferron.

Ferron.- Ce n'est pas une perruque, ce sont mes cheveux naturels...

Regardez-vous donc un peu, vous, Millaire, avant de parler : c'est toute la tête que vous avez postiche ! (p.

164-165).

Et Filion, lui aussi, multiplie les références au jeu, par la chaîne des prénoms interchangeables (A est tour à tour Isabelle, Lucie, Madeleine, Renée, Béatrice, Bérénice, Marguerite et Z devient Philippe, Fernand, Paulo, Adam, Jean-Paul, Lucien, etc.) et par une série d'allusions au fait d'être au théâtre.

Ce va-et-vient continuel entre le théâtre qu'on montre et le théâtre montré, entre la pièce faite et la constellation des pièces à faire, institue l'arbitraire de la fiction dans le cadre d'une épreuve de vérité dont. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles