le théâtre de l'impromptu
Publié le 15/12/2012
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«
théâtre : «On ne fait pas une oeuvre théâtrale avec des jeux de l'esprit», écrit-on à son sujet7.
En 1956, Ionesco jouit d'une notoriété
grandissante.
Mais les premiers étonnements passés, l'avant-garde commence à être
mise en question.
Brecht vient de faire son entrée en France, un Brecht d'ailleurs moins connu par ses pièces que par son système
dramatique.
À propos de Jacques ou la soumission, dernière création d'Ionesco avant VImpromptu, Bernard Dort écrit dans Théâtre
populaire que l'auteur paraît «s'enfoncer dans un
5.
Sommaire de l'Impromptu de Versailles par Voltaire dans éd.
cit., p.
384.
6.
Donneau de Visé écrit, en 1663, la Réponse à l'Impromptu de Versailles ou la Vengeance des Marquis et Montfleury l'Impromptu
de l'Hostel de Condé en 1664.
1.
Journal, 23 mai 1937.
monde élémentaire, régi par quelques grandes figures archétypales.
[...] Alors, conclut-il, il ne serait plus qu'un Strindberg de
quat'sous, un auteur «moral» réduit à mimer l'inévitable submersion de l'Homme seul par l'ordre des essences maudites du sexe et de
la mort»8.
Ionesco contre-attaque.
Il précisera même, dans une note de l'édition de son texte, que les trois Bartholoméus sont les
critiques de la revue Théâtre populaire (Barthes, Dort ?) et celui du Figaro (Jean-Jacques Gauthier ?).
Pour être moins liée à un
contexte spécifique, la référence n'est pas moins présente dans l'Impromptu des deux chiens.
À ceux qui lui reprochent de faire un
théâtre trop littéraire, Ferron riposte lui aussi par une courte pièce dans laquelle il cite abondamment ses collègues dramaturges,
d'Anne Hébert à Mgr Savard, en passant par Madame Ouellet, dite la Poune.
Quant à l'Impromptu pour deux virus de Pierre Filion,
s'il échappe à la circonstance et à la référence immédiate9 (rappelons qu'il s'agit d'une première pièce), il revoit cependant, par
l'intermédiaire des prénoms de personnages, tout un passé théâtral.
Riposte, réponse ou question, le système même de l'impromptu
suppose un réseau d'oppositions binaires : Molière / les Fâcheux, Jouvet / Robineau, Ionesco/les Bartholoméus, Ferron / Millaire,
A/Z.
Cette forme emprunte au dialogue une certaine manière de faire un «théâtre épuré du théâtral», un théâtre dans lequel l'intrigue,
les personnages et les effets sont réduits à l'essentiel.
Qu'il soit un importun (le Fâcheux), un concurrent (Millaire, le metteur en
scène), un «honnête homme» (Robineau, le commis de l'État), un critique (les savants Bartholoméus) ou une compagne de quête (A,
le personnage en chaise roulante), toujours l'autre a un rôle d'opposant purement théorique, dans la mesure où la question se trouve
en quelque
8.
«Ionesco : de la révolte à la soumission», texte de 1955 publié dans la revue Théâtre populaire et repris dans Théâtre public, Paris,
Seuil, 1967, p.
253-254.
9.
Il n'échappe pas cependant à l'attitude générale de la critique face aux impromptus.
Martial Dassylva parle à son sujet d'un théâtre
«terriblement sec et terriblement méningé», Montréal, la Presse, 24 novembre 1972.
sorte prédéterminée par la réponse.
«Si un philosophe a pu dire que, dans le dialogue intérieur, «je m'adresse à moi-même comme à
un autre», ne pourrait-on pas dire que, dans le dialogue «extériorisé», je m'adresse à l'autre comme à un autre moimême ?10» Les
oppositions, dans l'impromptu, ne servent qu'à mieux mettre en évidence la parole d'un personnage-embrayeur, avatar éwje écrivant.
Ainsi à un niveau purement rhétorique, le discours de cette forme ressemble-t-il à un monologue masqué : A- Le théâtre, c'est
comme le reste, c'est des coupures dans le monologue d'un menteur, auteur, menteuse, auteuse, autrice, autruche.
B- Autruche ?
Monologue d'autruche {Impromptu pour deux virus, p.
50).
Comme le dialogue philosophique, l'impromptu ne pose les contraires que pour prétendre en diminuer l'écart et ce n'est pas en vain
que le mot d'«utopie» est prononcé dans la pièce de
Pierre Filion.
Chez Ionesco comme chez Ferron, il se produit ainsi d'étranges renversements, les positions initiales étant dépassées ou
annulées dans la dynamique finale.
Par contre, chez Molière comme chez Giraudoux, on laisse au seul public le soin de conclure.
Arbitre de la polémique, le spectateur est présent dans le texte même de l'impromptu.
On le prend à partie, on l'interpelle, on le
déclare apte à juger du débat.
Ce tiers indispensable, si on feint un moment de l'ignorer en le laissant pénétrer dans les coulisses, c'est
pour mieux l'associer à un procès du théâtre qui se déguise en procès de la représentation.
Une poétique
L'impromptu accumule les effets de jeu, les ruptures, les changements de niveaux.
Ne parle-t-on pas à ce sujet de trame décousue,
d'action relâchée ? Pièce sans intrigue, cette comédie du théâtre au théâtre est une improvisation articulée en système
10.
Alexandre Lazaridès, Valéry, Pour une poétique du dialogue, Montréal, P.U.M., 1978, p.
80.
Z.
Youssef souligne bien ce rôle de
catalyseur que joue Robineau dans l'Impromptu de Paris (Z.
Youssef, «Trois impromptus dans le théâtre français : Molière,
Giraudoux, Ionesco», dans les Lettres romanes ; n°
XXIX, 1975, p.
115.
textuel.
Avec Molière et Giraudoux, le public assiste à une répétition : il est convié en même temps sur la scène et dans les coulisses.
Au début de l'Impromptu de Versailles, Molière, seul, parle à ses camarades qui sont «derrière le théâtre».
«Nous ne savons pas nos
rôles », se plaint Brécourt.
À la scène 3, la répétition commence : «Figurez-vous donc premièrement que la scène est dans
l'antichambre du Roi».
Molière et La Grange joueront des marquis.
Mais un Fâcheux intervient, le roi dit de commencer, on n'est pas
prêt, et ainsi de suite jusqu'à la fin, alors que la «vraie pièce» sera remise à plus tard.
Un même canevas guide Giraudoux.
Jouvet et
les comédiens répètent l'Impromptu de Versailles lorsque Robineau arrive, nouveau Fâcheux plein de bonnes intentions.
Au début de
l'Impromptude l'Aima, lorsque les critiques viennent lui commander une pièce, Ionesco dort sur ses paperasses.
Il improvise
immédiatement un texte, intitulé le Caméléon du berger, dans lequel un critique vient demander une pièce à un auteur qui dort.
La
scène se répète avec l'arrivée de chacun des trois critiques.
Dans l'Impromptu des deux chiens, il est question de déguisements et de
perruques, de naturel et d'artifice : Millaire.- Attention à votre perruque, Ferron.
Ferron.- Ce n'est pas une perruque, ce sont mes
cheveux naturels...
Regardez-vous donc un peu, vous, Millaire, avant de parler : c'est toute la tête que vous avez postiche !
(p.
164-165).
Et Filion, lui aussi, multiplie les références au jeu, par la chaîne des prénoms interchangeables (A est tour à tour
Isabelle, Lucie, Madeleine, Renée, Béatrice, Bérénice, Marguerite et Z devient Philippe, Fernand, Paulo, Adam, Jean-Paul, Lucien,
etc.) et par une série d'allusions au fait d'être au théâtre.
Ce va-et-vient continuel entre le théâtre qu'on montre et le théâtre montré,
entre la pièce faite et la constellation des pièces à faire, institue l'arbitraire de la fiction dans le cadre d'une épreuve de vérité dont.
»
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