Le tragiquede Giraudoux
Publié le 31/12/2019
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Une vérité destructrice
Un troisième élément du tragique est la lutte désespérée d’Électre pour trouver sa place en ce monde. « Elle est là », dit le président (1,2) ; elle est « une somnambule en plein jour » dit Égisthe (1,4) ; autrement dit, un peu comme l’Oreste des Mouches, elle existe sans avoir trouvé son essence. Cette essence, c’est bien sûr de venger son père, d'empêcher que la vérité de sa mort ne demeure enfouie dans les poubelles de l'histoire. Ainsi trouve-t-elle sa vérité.
Malheureusement, cette vérité ne semble pas en accord avec celle des hommes et de l'univers, même si la fonction de toute catastrophe et de préparer une renaissance. Ainsi, même si sur le plan moral son action peut paraître louable, Électre est-elle en désaccord avec la nature. Peut-être Giraudoux constate-t-il un décalage fondamental entre la civilisation et l’ordre du monde. Remarquons que dans cet univers les dieux sont de grands absents, ou, au mieux, de « grandes indifférences. » Quant aux Euménides, insupportables et charmantes, elles ne sont après tout que des doubles d'Électre, dont elles miment, en accéléré, la croissance de son enfance à son adolescence.

«
Elle apparaît alors inhumaine, enfermée dans sa vérité comme dans une
forteresse, à la limite de la paranoïa.
Il vaut mieux, suivant Giraudoux lui
même,
voir en elle peut-être une incarnation de la France, éternelle
« embêteuse du monde.
» Mais l'ambiguïté du sens de la pièce demeure.
Le manque d'amour
Mais le tragique de la pièce est dû surtout à l'expérience du manque
d'amour et du mensonge qui s'ensuit.
La vérité que cherche et découvre Électre est moins, en effet, le meurtre
d'Agamemnon et la liaison d'Égisthe et de Clytemnestre, que la froideur
fondamentale de
cette dernière: celle-ci n'aimait pas son mari et justifiait
cette haine par des détails grotesques ; elle n'aime pas davantage sa fille,
qu'elle a conçu dans l'indifférence, et avec qui elle n'a rien de commun ;
elle
et Égisthe ne s'aiment pas vraiment non plus, comme celui-ci l'avoue :
«je ne sais si je vous aime encore, et la ville entière doute que vous m'ayez
jamais aimé.
Depuis dix ans notre liaison se traîne dans l'indifférence et
l'oubli.
» (Il, 7) La reine ne trouve même pas dans l'exercice de sa fonction
le moindre plaisir.
Mais
en même temps, d'une parfaite dignité en
apparence, elle vit dans le mensonge depuis dix ans, d'où le climat
d'étouffement dans lequel elle fait vivre son entourage, Électre en
particulier, l'enfant-symptome, sur qui sa mère fait peser sa propre
culpabilité.
Ce climat, chacun essaye de
le secouer à sa façon : Égisthe en atteignant
in extremis une dimension royale, Électre en cherchant comme une aveugle
la signification de tout cela, ignorant la nature œdipienne de sa passion
pour son père
et de sa haine pour sa mère, se souciant peu du passé et de la
nature véritable d'Oreste.
Mais l'habitude du mensonge crée la vérité,
cimente le corps social : des forces de paix, de prospérité luttent
désespérément pour que la vérité n'éclate pas, avec Égisthe lui-même et
avec le président, bref avec les figures de l'autorité.
Il y a donc,
à la base du tragique chez Giraudoux, une vision pessimiste
de l'amour humain et du couple,
constante chez lui, due sans doute à sa
propre expérience (voir p.
12).
On comprend mieux, dans cette perspective,
le lamento du jardinier et sa devise :
« Joie et amour », mais on constatera,
de façon plus optimiste, que le dernier mot d'Égisthe en mourant est :
« Électre ! » Dans sa pire ennemie, il a découvert son dernier amour..
»
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