Devoir de Philosophie

LECONTE DE LISLE ET LES DIEUX

Publié le 28/06/2011

Extrait du document

de lisle

L'œuvre de Leconte de Lisle, à la considérer sommairement, est comme une vaste fresque où l'auteur, avec l'ample et libre génie d'un artiste de la Renaissance, aurait développé, sur deux ou trois plans, tout le tableau du monde. En haut, dans un ciel d'or, les dieux, tous les dieux, les plus archaïques et les plus nouveaux, les plus majestueux et les plus monstrueux, les plus rudimentaires et les plus accomplis, depuis le fétiche de l'Indien jusqu'aux Immortels de Phidias. Plus bas, les hommes, les hommes de tous les temps, de tous les pays, de toutes les races, anciens et modernes, raffinés et barbares, civilisés et sauvages, vêtus de peaux, coiffés de plumes, drapés de laine ou bardés de fer. Au fond, la nature immense et mystérieuse, la prairie où paît le bison, la jungle où rôde le tigre, le désert que traverse l'éléphant, la forêt vierge, l'océan infini. Devant ce spectacle magnifique et disparate, la première impression est une impression de confusion et d'étrangeté. Pour quel dessein a-t-on choisi et assemblé les formes innombrables qui se trouvent ainsi réunies ? Quelle est la loi de leur ordonnance ? Et quel est le sens général qui doit, pour le spectateur, se dégager de cet ensemble ? Avant de répondre à ces questions, il nous faut, tout d'abord, examiner en détail chacune des parties qui le composent. Quand nous aurons analysé l'idée que Leconte de Lisle se fait, et qu'il veut nous donner, des dieux, des hommes et de la nature, alors, seulement, nous pourrons nous demander quelle est la signification profonde et comme la philosophie de son œuvre.

de lisle

« poussée dans cette ode au Désespoir que l'adolescent de Bourbon copiait, on s'en souvient, d'un bout à l'autre surson cahier, et aussi dans ses Novissima Verba ; celle que Vigny avait fait entendre dans ses poèmes bibliques, dansLa Fille de Jephté, dans Le Déluge, dans Le Mont des Oliviers.

Cette grande composition est, dans son inspirationpremière, fortement marquée de romantisme.

Pour la bien comprendre, il faut la replacer à sa date, non pas 1869,où elle parut dans le second Parnasse Contemporain, mais 1845, où elle fut conçue en ses éléments essentiels.C'est en 1845, en effet, que, dans La Phalange, dont il était, comme on sait, un des collaborateurs, Leconte de Lisleput lire le compte rendu d'un ouvrage de Ludovic de Cailleux, Le Monde Antédiluvien, poème biblique en prose, etqu'il fut amené à lire l'ouvrage lui-même, auquel il doit la couleur générale de son œuvre et nombre de traits dont il aenrichi ses descriptions.

Mais si dans la partie descriptive de son Qaïn, il s'est largement et très heureusement souvenu de Ludovic de Cailleux, l'inspiration philosophique lui venait en droite ligne du Caïn de Byron.

Il avaitdécouvert probablement le poète anglais au cours de son premier séjour en France.

Sa correspondance et sa poésiede cette époque expriment à plusieurs reprises une admiration qui semble dans la première ferveur.

Il était encoresous le charme en 1845, comme le prouve un article qu'il donna à La Phalange dans les premiers mois de Tannéesuivante, sur les Femmes de Byron.

Il y parle avec le plus vif enthousiasme de « l'héroïque aventurier », de «l'homme immortel » tombé pour la cause de la liberté hellénique.

« A l'un des horizons de ma vie, déclare-t-il, j'airencontré l'œuvre d'un grand poète, et maintenant, remis de l'éblouisse- ment premier, je vais d'une page à l'autre,admirant et songeant.

» Avant d'écrire son Qaïn, il rêva sur celui de Byron.

Il en mit dans la bouche de son proprehéros les interrogations courroucées et menaçantes, les blasphèmes et les anathèmes, les refus hautains de plier legenou, d'adorer et de servir.

Mais, — ce que Byron n'avait pas fait, — il couronna son œuvre par une allusion trèscertaine aux espérances dont l'entretenait sa foi humanitaire : Dieu triste, Dieu jaloux qui dérobes ta face,Dieu qui mentais, disant que ton œuvre était bon,Mon souffle, O Pétrisseur de l'antique limon,Un jour redressera ta victime vivace,Tu lui diras : « Adore » ! Elle répondra : « Non !...

»J'effondrerai des Cieux la voûte dérisoire.Par delà l'épaisseur de ce sépulcre basSur qui gronde le bruit sinistre de ton pas,Je ferai bouillonner les mondes dans leur gloire,Et qui t'y cherchera ne t'y trouvera pas.Et ce sera mon jour ! Et, d'étoile en étoile,Le bienheureux Éden longuement regrettéVerra renaître Abel sur mon cœur abrité ;Et toi, mort, et cousu dans ta funèbre toile,Tu t'anéantiras dans ta stérilité. Ainsi se clôt cette ample déclamation que Leconte de Lisle, au dire de José-Maria de Heredia, voulut un momentretrancher de son œuvre, comme trop byronienne, qu'il garda cependant et qu'il fit bien de garder, car si l'idéemaîtresse n'en était pas neuve, même en 1845, le décor en est le plus magnifiquement barbare qu'il y ait dans lesPoèmes Barbares et dans toute la poésie française.Mais quand il la publia dans Le Parnasse, il y avait déjà longtemps que sa pensée avait pris, en matière de religion,un tour assez différent.

Elle avait suivi le mouvement qui, depuis le commencement du siècle, entraînait des espritspénétrants et libres à regarder de près les grandes manifestations religieuses de tous les temps, non pas pour ychercher des motifs de nier ou des raisons de croire, mais pour y étudier, comme à sa source même, la vie morale del'humanité.

Le xviiie siècle avait cru en finir avec ce qu'il appelait dédaigneusement les « superstitions».

Mythespaïens ou dogmes chrétiens, il les considérait indistinctement comme un ramas d'inventions ridicules ou odieuses, untissu d'impostures imaginées par les prêtres et imposées pales rois.

Mais on s'aperçut assez vite que l'explicationétait trop simple pour rendre compte d'un fait aussi universel, aussi inhérent à la nature de l'homme que le faitreligieux.

On essaya d'en donner une interprétation scientifique.

Volney, dans Les Ruines (1791), Dupuis, dansl'Origine de tous les cultes (1795) rapportèrent à une cause unique la naissance de toutes les religions.

Cettecause, c'était la crainte et en même temps la curiosité éprouvées par les premiers hommes devant la puissancemystérieuse qui se manifestait à eux par les grands phénomènes de la nature : sentiments que les prêtres de tousles temps n'avaient pas manqué d'exploiter.

« L'histoire entière de l'esprit religieux, disait Volney, n'est que celle desincertitudes de l'esprit humain qui, placé dans un monde qu'il ne comprend pas, veut cependant en deviner l'énigme,et qui, toujours étonné de ce prodige mystérieux et visible, imagine des causes, suppose des fins, bâtit dessystèmes, puis, en trouvant un défectueux, le détruit pour un autre non moins vicieux, hait l'erreur qu'il quitte,méconnaît celle qu'il embrasse, repousse la vérité qu'il appelle, compose des chimères d'êtres disparates, et, rêvantsans cesse sagesse et bonheur, s'égare dans un labyrinthe de peines et de folies.

»Le ton est encore singulièrement méprisant.

Mais en poursuivant, avec une érudition mieux informée et un espritmoins étroit, ces recherches sur l'origine des religions, les philologues qui s'y adonnèrent ne tardèrent pas àreconnaître que sous la variété des croyances et des symboles, par le moyen de dogmes qui choquent notre raisonou de pratiques qui heurtent nos usages, s'exprime un sentiment essentiel à l'âme humaine, et le plus profond qu'ellepuisse éprouver.

Des grandes races qui ont tour à tour tenu la tête de l'humanité, chacune a eu sa religion, c'est-à-dire sa façon propre d'entrer en rapports avec l'inconnu et l'invisible qui nous presse de toutes parts, de résoudrel'énigme au sein de laquelle nous vivons, de concevoir l'homme et le monde.

Et de la conception qu'elle s'en est faiteont découlé non seulement son culte, mais ses lois, ses mœurs, son art, sa civilisation tout entière.

Le fait religieux. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles