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LECONTE DE LISLE ET LES HOMMES

Publié le 28/06/2011

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de lisle

L'œuvre de Leconte de Lisle, considérée d'un certain biais, est une théogonie. Mais l'auteur ne sépare pas de l'histoire des dieux, l'histoire des hommes qui, par un renversement du rapport habituel des termes, ont créé ces dieux. Et comme cette histoire ne s'attache pas à suivre l'ordre des événements, ni à en dérouler totalement le récit, ni à enchaîner les causes et les effets, mais comme, au gré de la fantaisie poétique, elle choisit des épisodes et traite des fragments, recueille des traditions, peint des mœurs, ranime des passions et recrée des âmes, elle n'est point une histoire, mais une épopée, plus exactement une suite de courtes épopées, une légende de l'humanité, cette « légende des siècles « que Victor Hugo portait déjà dans sa tête au temps même où paraissaient les Poèmes Antiques, et pour laquelle, avec ce sens du style lapidaire qui lui était propre, il a trouvé, après quelques tâtonnements, le titre définitif.

de lisle

« avant tous autres, l'épopée de l'humanité, c'est de l'avoir réalisée, et de l'avoir réalisée d'une manière si différente.Si l'on veut savoir dans quel dessein Victor Hugo a entrepris son œuvre, il suffît de relire ce paragraphe de lapréface qu'il y a mise :Exprimer l'humanité dans une espèce d'œuvre cyclique.

la peindre successivement et simultanément sous tous sesaspects, histoire, fable, philosophie, religion, science, lesquels se résument en un seul et immense mouvementd'ascension vers la lumière ; faire apparaître, dans une sorte de miroir sombre et clair,...

cette grande figure une etmultiple, lugubre et rayonnante, fatale et sacrée, l'Homme ; voilà de quelle pensée, de quelle ambition, si l'on veut,est sortie La Légende des Siècles.Et si l'on veut savoir dans quel esprit Leconte de Lisle a composé la sienne, il n'est que de se reporter au discoursdans lequel il a fait l'éloge de son illustre confrère.

Après avoir cité le passage que je viens de reproduire, il ajoute :Certes, c'était là une entreprise digne de son génie, quelque colossale qu'elle fût.

Pour qu'un seul homme, toutefois,pût réaliser complètement un dessein aussi formidable, il fallait qu'il se fût assimilé tout d'abord l'histoire, la religion,la philosophie de chacune des races et des civilisations disparues ; qu'il se fît tour à tour, par un miracle d'intuition,une sorte de contemporain de chaque époque et qu'il y revécût exclusivement, au lieu d'y choisir des thèmespropres au développement des idées et des aspirations du temps où il vit en réalité.Gomme il arrive souvent, en indiquant en quoi Victor Hugo, à son sens, avait manqué, il a, du même coup, précisé àquoi, lui, il aurait voulu réussir ; si bien que la tâche du critique peut se borner à l'examen des trois points surlesquels il a lui-même attiré son attention. II Il faut, nous dit Leconte de Lisle, que le poète se soit « assimilé tout d'abord l'histoire, la religion, la philosophie dechacune des races et des civilisations disparues ».

Cette épopée de l'humanité, elle est, avant tout et dans sasubstance, une œuvre de savoir.

Convenons, sans nous faire prier, que le savoir ne lui a pas manqué.

M.

Vianeys'est donné la peine de rechercher les sources auxquelles il a puisé pour écrire un certain nombre de ses poèmes,ceux justement qui sont de caractère historique ou légendaire .

Il résulte de cette très précieuse enquête — encoreque, malgré toute la diligence qu'y a mise l'auteur, elle demeure incomplète — que, pour ce faire, Leconte de Lisle a,sinon dépouillé, tout au moins parcouru, et parfois lu de très près toute une bibliothèque.

Il ne s'est pas contenté,comme le plus souvent Victor Hugo, des encyclopédies, dictionnaires et autres ouvrages de vulgarisation, dontl'usage est rapide et facile.

Il a recouru aux travaux de première main, il est remonté aux textes ; et ces travaux,comme ces textes, s'offraient à lui sous la forme de gros livres dont il était impossible, sans un véritable labeur, des'assimiler le contenu, ou même d'en extraire les parcelles de poésie qu'il pouvait recéler.

Pour son poème deBaghaval, il a mis à contribution les quatre volumes de la traduction faite par Burnouf du Bâghavaia-Purâna, nonsans s'inspirer en même temps de celle que Fauche avait donnée du Mahabarâta.

Pour Néférou-Ra, il a consulté unesérie d'articles publiés dans le Journal Asiatique par un égyptologue de marque, le vicomte de Rougé.

Pour LaLégende des Nomes, il a utilisé VHistoire deDannemarc de Malet, les ouvrages d'Ampère, d'Ozanam, de Marmier.

Pourcomposer ses poèmes grecs, non seulement il a lu à peu près tout ce que les Grecs nous ont laissé de poésie,depuis Homère jusqu'à Théocrite et Apollonius, mais encore il a eu connaissance des travaux d'Ottfried Muller sur lesDoriens et fait son profit — tout au moins dans les Êrynnies — des découvertes archéologiques du Dr Schliemann.

Ilserait aisé, au besoin, de multiplier les exemples.

On reconnaîtra que nul encore en France, le seul Chénier peut-êtreexcepté, n'avait mis au service d'une imagination de poète une telle abondance d'érudition.De cette érudition, toutefois, il ne faut s'exagérer ni la solidité ni la profondeur.

Elle est, sur bien des points, déjàdémodée.

Tandis que Leconte de Lisle fixait ses conceptions poétiques en beaux groupes marmoréens, la sciencepoursuivait ses enquêtes.

Elle découvrait des faits nouveaux ; elle construisait des théories nouvelles ; elleremplaçait par d'autres hypothèses les hypothèses qui passaient, il y a un demi-siècle, pour des vérités.

On nesaurait reprocher à l'auteur des Poèmes Barbares d'avoir mis une entière confiance dans les savants dûment qualifiésqu'à l'occasion il prenait pour guides, d'avoir, notamment, sur la foi de M.

de Rougé, tenu pour un document officiel,émanant de Ramsès II, une inscription fabriquée quelques centaines d'années plus tard.

On ne saurait même lui envouloir d'avoir eu quelquefois la main moins heureuse dans le choix de ses inspirateurs : il y a soixante ans, quin'aurait vu dans Henri Martin ou Hersart de La Villemarqué des autorités plus que suffisantes? Mais il faut jouerquelque peu sur les mots pour admettre qu'on trouve réalisée dans cette poésie, toute « savante » qu'elle soit etqu'elle prétende être, cette union étroite, cette confusion de l'art et de la science que l'auteur, dans ses préfaces,assignait comme but aux efforts désormais convergents de l'intelligence humaine .

Lorsque Leconte de Lisleempruntait à ses lectures le sujet de quelque poème, il lui arrivait de se déterminer moins par l'authenticité du récitque par l'effet poétique qu'il espérait en tirer ; et si, pour mettre les choses au mieux, une rapsodie comme YHistoire de la domination des Arabes en Êgypte et en Portugal, rédigée sur l'Histoire traduite de l'arabe en espagnolde M.

Joseph Conde par M.

de Mariés, pouvait lui en imposer par la longueur de son titre et le luxe de garantiesqu'elle semblait offrir, il n'avait aucune illusion à se faire sur la valeur scientifique du Foyer Breton d'Emile Souvestreou du Monde Antédiluvien de Ludovic de Cailleux.

Et cela lui importait sans doute moins qu'on ne l'a cru et qu'il n'avoulu le faire croire lui-même.

Et, en somme, il avait raison.

Poète, il faisait son métier de poète.

Ce qu'il demandaitaux livres d'après lesquels il travaillait, ce n'était pas des documents pour écrire l'histoire, mais le choc qui ébranlaitson imagination et les matériaux dont il avait besoin pour bâtir une œuvre beaucoup moins objective etimpersonnelle qu'il ne l'a affirmé, comme nous le verrons bientôt.Je ne veux pas dire, toutefois, que cette érudition, — toute discussion sur sa qualité mise à part,—n'ait conféré à lapoésie de Leconte de Lisle des mérites que sans cela elle n'aurait pas eus.

Elle a donné aux représentations, ou, sil'on veut, aux reconstitutions qu'il a tentées d'un passé lointain, une cohérence, une tenue, une unité que notrelittérature n'avait pas encore connues.

Il y avait, lorsqu'il publia ses premiers poèmes, trente à quarante ans que. »

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