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Les Angoysses douloureuses d'Helisenne de Crenne

Publié le 12/02/2018

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La composition est maladroite: le passage d'un narrateur à l'autre est fâcheux; Helisenne, attachant plus l'attention du lecteur que Guenelic, aurait dû poursuivre la narration jusqu'au bout; mais une fois séquestrée, elle n'avait plus rien à dire et l'action ne pouvait continuer que par Guenelic. Autant ce qui est raco:1té par Helisenne est prenant et semble reposer sur des souvenirs personnels, autant ce qui est raconté par Guenelic est conventionnel, sauf l'épisode romanesque et passionné de la fin. La seconde partie n'a plus guère d'intérêt à notre époque; si elle en avait au xvie siècle pour des lecteurs qui attendaient des exploits cheva¬leresques chez un héros de roman, elle avait le grave inconvénient d'interrompre l'histoire sentimentale. On dirait que l'auteur, trouvant dans son expérience propre le point de départ d'un roman, a voulu étoffer cette matière, en cousant à la donnée initiale un petit récit de chevalerie et une nouvelle tragique dans le genre de ce qu'offrait à la même époque la littérature sentimentale de l'Espagne ou de l'Italie. Helisenne s'inspire évidemment de la Fiammetta de Boccace, où une femme faisait déjà l'aveu d'un amour maladif et torturé et évoquait le malheur d'amants célèbres. Mais Fiammetta était une invention de Boccace, tandis qu'Helisenne se souvient de ce qu'elle a vécu. L'emploi de la- première personne dans la première partie fait donc la valeur essentielle de l'œuvre; dans les deux autres parties, ce n'est plus qu'un procédé d'exposition maintenu par symétrie.

Le récit d'Helisenne est peut-être le plus ancien exemple de roman personnel dans notre littérature, avec une intensité d'accent qui ne se fera plus entendre avant les Lettres Portugaises. Qu'Helisenne ait compris les ressources de cette nouvelle forme romanesque ou qu'elle ait écrit ainsi spontanément sous la poussée de son angoisse et de sa passion, elle a su être lucide et pathétique; le trouble amou¬reux est peint comme un bouleversement physiologique se manifestant par la pâleur, la rougeur, les soupirs pressés, la parole altérée, les mouvements convulsifs, la prostration; la passion est un état organique contre lequel on ne peut rien faire; les remords de la conscience au lieu d'aider l'amoureuse à vaincre son amour achèvent de la miner et l'acculent à la mort, qui sauvera à la fois son amour et son honneur. Son drame est dans l'échec des compromis par lesquels 

Les Angoysses douloureuses d'Helisenne

de Crenne

En 1538 parut un roman difficile à classer et dont l'auteur· est mal connu 1 : Les Angoysses douloureuses qui procedent d'amours : Composées par Dame Helisenne de Crenne. L'héroïne est une jeune mariée, qui raconte elle-même son histoire dans la première partie : ayant remarqué un jeune homme, Guenelic, elle résiste à son attrait en se remémorant le malheur et le déshonneur d'amants et d'amantes célèbres, Hélène, Médée, Euryale et Lucrèce (dont l'Histoire avait été écrite en latin par Aeneas Sylvius Piccolomini), Lancelot et Guenièvre, Tristan et Yseult. Mais poursuivie par l'image de Guenelic, elle décide de l'aimer sans le lui dire, pour avoir au moins « le plaisir du regard délectable de (son) amy ». Des paroles insidieuses du mari à l'égard du beau jouvenceau provoquent chez Helisenne une angoisse qui aggrave son amour; elle goûte le bonheur d'aimer, de lancer des regards affectueux, en même temps elle a peur et honte des reproches de son mari. Séparée de Guenelic, elle lui écrit; séquestrée, elle veut se tuer. Son mari, qui a pitié d'elle, lui fait consulter un religieux auquel elle déclare qu'elle aime à en mourir. De nouvelles rencontres ont lieu avec Guenelic qui réclame des preuves d'amour; le mari menace, Helisenne demande à Dieu dans une prière fervente que le mari ne tue pas l'ami, pour lequel elle est prête à donner sa vie. Mais Guenelic lui reproche de le payer de mots et ses exigences plongent Helisenne dans de nouvelles angoisses; il ia compromet en faisant courir le bruit qu'elle est sa maîtresse; elle s'en plaint, il se justifie, elle apprend ensuite qu'il continue à la déshonorer en paroles; le mari découvre alors les « escriptures » de sa femme. Helisenne s'évanouit. Le mari la force à quitter la ville et la séquestre dans une résidence de campagne. Une vieille

assure à Helisenne que son honneur est sauf n'a concédé à son amant que

le regard et le parler, et l'encourage à patience et à espérer.

Le rôle de narrateur passe à Guenelic pour les deux autres parties du roman : dans la seconde partie, il va de pays en pays avec son ami Quezinstra, en vaillant chevalier qui prend part à tous les tournois et s'engage dans toutes les guerres; dans la troisième partie, il tombe malade; un religieux le réconforte, veut le détour¬ner d'une passion coupable, lui trace les devoirs d'un vrai amoureux qui doit ignorer l'orgueil, l'envie, la colère, l'avarice, la paresse et la luxure. Guenelic finit par retrouver la trace d'Helisenne, réussit à pénétrer jusqu'à elle, soudoie le por 

« tier et enlève Helisenne avec l'aide de Quez instra.

Mais un valet a dénoncé l'enlè­ vement ; les ravisseurs sont rattrapés par une troupe de gens armés ; Guenelic et Quez instra les défont et rejoignent Helisenne laissée à l'écart : ils la trouvent mourante de froid et d'accablement.

Son agonie est longue ; elle s'en remet à la grâce de Dieu, exprime son repentir, invite Guenelic à renoncer à l'a mour sensuel pour ne plus aimer que son âme.

Guenelic est désespéré, et malgré l'assistance et les paroles consolatrices de Quezinstra, il meurt à son tour ; du moins on le suppose, car si le récit à la première personne exclut la pos sibilité pour le narrateur d'annon­ cer lui-même cet événement, le dernier chapitre était intitulé : Tré pas de Guenelic.

La composition est maladroite : le passage d'un narrateur à l'autre est fâcheux ; Helisenne, attachant plus l'attention du lecteur que Guenelic, aurait dû poursuivre la narration jusqu'au bout; mais une fois séquestrée, elle n'avait plus rien à dire et l'ac tion ne pouvait continuer que par Guenel ic.

Autant ce qui est raco:1té par Helisenne est prenant et semble reposer sur des souvenirs personnels, autant ce qui est raconté par Guenelic est conventionnel, sauf l'épisode romanesque et passionné de la fin.

La seconde partie n'a plus guère d'intérêt à notre époque ; si elle en avait au xvie siècle pour des lecteurs qui attendaient des exploits cheva­ leresques chez un héros de roman, elle avait le grave inconvénient d'interrompre l'histoire sentimentale.

On dirait que l'auteur, trouvant dans son expérience propre le point de départ d'un roman, a voulu étoffer cette matière, en cousant à la donnée initiale un petit récit de chevalerie et une nouvelle tragique dans le genre de ce qu'offrait à la même ép oque la littérature sentimentale de l'Espagne ou de l'Italie.

Helisenne s'inspire éVIdemment de la Fia mmetta de Boccace, où une femme faisait déjà l'aveu d'un amour maladif et torturé et évoquait le malheur d'amants célèbres.

Mais Fiammetta était une invention de Boccace, tandis qu'Helisenne se souvient de ce qu'elle a vécu.

L'emploi de la-première personne dans la première partie fait donc la valeur essentielle de l'œuvre ; dans les deux autres parties, ce n'est plus qu'un procédé d'exposition maintenu par symétrie.

Le récit d'Helisenne est peut-être le plus ancien exemple de roman personnel dans notre littérature, avec une intensité d'accent qui ne se fera plus entendre avant les Lettres Portugai ses.

Qu'Helisenne ait compris les ressources de cette nouvelle forme romanesque ou qu'elle ait écrit ainsi spontanément sous la poussée de son angois se et de sa passion, elle a su être lucide et pathétique ; le trouble amou­ reux est peint comme un bouleversement physiologique se manif estant par la pâleur, la rougeur, les soupirs pressés, la parole altérée, les mouvements convulsifs, la prostrati on ; la passion est un état organique contre lequel on ne peut rien faire; les remords de la conscience au lieu d'aider l'amoureuse à vaincre son amour achèvent de la miner et l'ac culent à la mort, qui sauvera à la fois son amour et son honneur .

Son drame est dans l'échec des compromis par lesquels elle croit imposer une limite à ses sentiments (de même, plus tard, la princesse de Clèves), dans l'impuissance totale de sa volonté aliénée, dans son déchirement entre l'abandon à son amour et la honte qu'il lui inspire, compliquée de peur devant son mari et de défiance envers son amant, dans son aspiration, à travers la honte même, à un amour pur et innocent, l'amour d'une âme pour une âme.

L' amant, dans la première partie du moins, a l'égoïsme, l'indiscrétion, le désir d'arriver rapidement. »

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