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Les angoisses douloureuses qui PROCÈDENT D'AMOURS. Roman d'Hélisenne de Crenne (résumé de l'oeuvre & analyse détaillée)

Publié le 24/10/2018

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Les angoisses douloureuses qui PROCÈDENT D'AMOURS. Roman d'Hélisenne de Crenne, pseudonyme de Marguerite Briet (vers 1510-après août 1552), imprimé à Paris chez Denis Janot en 1538.

 

Cet ouvrage, presque tombé dans l'oubli aujourd'hui, connut un vif succès en son temps, comme en témoignent les trois rééditions dont il fit l'objet en 1540 et 1541. S'il semble établi désormais que l’auteur a trouvé son inspiration dans une expérience conjugale malheureuse, la source principale des Angoisses reste la Fiammetta de Boc-cace, traduite en 1532 : le rapport est si étroit au début entre les deux œuvres -soudaineté brutale de la passion, dissimulation féminine non dépourvue de coquetterie - que certains passages d'Hélisenne de Crenne se réduisent à une simple transposition du texte italien. Mais le roman s'éloigne rapidement de cette source. Dans la deuxième et la troisième parties, il emprunte sa progression narrative - exploits guerriers émaillés de discours moraux, éthique courtoise orientée vers la délivrance de la femme aimée - aux romans de chevalerie, dont le succès reste vif durant la première moitié du xvie siècle.

 

La première partie est racontée par Hélisenne, qui dédie son récit aux « honnestes dames », dans l'espoir de les détourner de « toute vaine et impudicque amour ». Mariée à onze ans, Hélisenne s'éprend quelques années plus tard d'un jeune homme d'une grande beauté. Après de longs et muets échanges de regards entre les jeunes gens, les soupçons du mari naissent, et se muent bientôt en reproches coléreux Incapable de refréner sa passion, la jeune femme fait une tentative de suicide Un religieux à qui elle se confesse ne parvient pas à lui redonner le sentiment de son devoir conjugal. Sa santé s'altère, ses tourments et agitations deviennent permanents. Elle réussit à parler à Guénélic le jeune homme, mais son mari les aperçoit et la bat violemment Sa douleur augmente démesurément lorsqu'elle apprend que Guénélic se vante partout d'avoir « violé sa pudicque honnesteté ». Excédé par cette passion qu’il ne sait plus comment combattre, son mari finit par l'enfermer dans une tour solitaire.

« personnage en ses capacités régulatri­ ces lui masque la violence irrépressible du processus où elle est désormais engagée.

La passion ne se laisse ni contrarier ni enfermer dans les chastes limites d'un « regard delectable ,.

: elle brille les forces vives de l'amante, qu'elle conduit au bord de la rupture psychologique et nerveuse.

Néan­ moins le désir d'Hélisenne ne vit pas sous le seul régime de la violence, car il lui faut esquiver à la fois le regard soupçonneux du mari et les empresse­ ments trop sensuels de .l'amant.

· Une curieuse complicité objective unit à cet égard les deux personnages masculins, et menace l'intégrité affective de la jeune femme : devant les périls symé­ triques de la coercition conjugale et de la vulgarité séductrice, Hélisenne comprend qu'une part de calcul est indispensable.

Ainsi se met en place une tactique dilatoire et dissimula­ trice : tant que l'émotion n'a pas sub­ mergé tout contrôle de soi, le person ­ nage féminin ruse et se masque pour mieux différer l'aveu brutal et nu du désir.

Acculée par les sommations de son époux, elle nie l'évidence des preu­ ves les plus tangibles, ou bien laisse croire à un apaisement prochain de sa passion.

Dans les « colloques amou­ reux ,.

avec Guénélic, le jeu est plus complexe, car il lui faut tenir à dis­ tance le jeune homme et aiguillonner ses ardeurs : toute combinaison défec­ tueuse de l'invite et du retrait peut se payer de tourments insupportables.

Cependant, ces tactiques ne sont que très partiellement imputables à l'hypo­ crisie et à la coquetterie.

Elles relèvent, en fait, d'une volonté d'indépendance que la narratrice ne formule pas comme telle, mals que chaque épisode accrédite un peu plus : en maintenant un équilibre provisoire, qui conjure tant bien que mal les débordements de la situation, Hélisenne préserve l'authenticité intime de son désir.

· Les angoisses douloureuses [ ...

) appa­ raissent comme le récit d'une aporie morale et sociale : la passion n'y trouve d'autre voie d'accomplissement que dims un bref et lumineux épisode oni­ rique.

Quel dessein poursuit au juste la narratrice ? Offre-t-elle le récit de ses aventures en exemple, dans le cadre d'une pédagogie dissuasive ? Mais cette volonté d'exemplarité morale, attestée par l' « Épître dédicative », est contre­ dite par l'avant-dernier chapitre : après l'incarcération d'Hélisenne, le récit s'offre comme un appel adressé à l 'amant, un cri de détresse où éclate la frustration sexuelle de la jeune femme.

L'incertitude qui pèse sur les visées de la narratrice témoigne ainsi des diffi­ cultés et des impasses où se débat le personnage.

La troisième partie tran­ chera le problème en substituant in fine la « charitable dilection ,.

aux erre­ ments passionnels : l'équivoque Gué­ nélic, devenu parfait chevalier, sera ramené aux canons de la littérature médiévale, et communiera avec Héli­ senne dans une mort rédemptrice.

Mais ce code sublime ressemble trop à une surimposition rassurante : il occulte le drame du désir sans le dénouer.

Tout se passe, au fond, comme si l'audace de la première par­ tie s'était déployée jusqu'à rencontrer une impossibilité d'ordre éthique et narratif, comme si l'auteur s'était tiré d'embarras en revenant à des schémas conventionnels au succès garanti.

Chef-d 'œuvre «inachevé,., Les angois­ ses douloureuses[ ...

] n'en contiennent pas moins les données et situations auxquelles recourront quatre siècles de roman d'analyse français.. »

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