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LES CABINETS DE LECTURE

Publié le 20/11/2018

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CABINETS DE LECTURE. Au Palais-Royal, au quartier Latin, sur les boulevards ou dans ces passages parisiens célébrés par W. Benjamin, le promeneur du XIXe siècle pouvait découvrir ces commerces pittoresques, balzaciens à plus d’un titre par leur décor et leur clientèle. Offrant en location des journaux et des revues, ces cabinets de lecture touchent un public considérable entre 1800 et 1850, et il y a là un élément de la « sociabilité littéraire » de l’époque, une donnée essentielle pour comprendre l’histoire des livres, des lecteurs et des lectures.
 
Une « spéculation » nouvelle
 
Les premiers cabinets de lecture apparaissent au xvme siècle et sont le résultat de la rencontre de deux facteurs concomitants : le prix très élevé des livres et, d’autre part, la demande d’un public accru par l’alphabétisation, avide d’information et de romans. Le jeune Rousseau, à Genève, emprunte des livres à une loueuse, et des libraires parisiens vont ajouter cette « spéculation » à leur commerce principal avant que d’autres ne s’avisent de le pratiquer de façon autonome (le Cabinet politique et géographique, 1778). Un de leurs lieux d’implantation privilégiés est naturellement le Palais-Royal qui vit ses grandes heures au moment de la Révolution : là, au milieu des dames de petite vertu, des politiciens et des journalistes, une foule va et vient, qui constitue une clientèle idéale, cultivée, informée, curieuse. Bientôt cependant, c’est l’ensemble de la capitale qui est « envahi » progressivement : sous l’Empire et sous la Restauration, les cabinets de lecture se multiplient, aussi bien sur les boulevards que rue Saint-Antoine ou près de l’Odéon, sur cette rive gauche qui est celle des écoles et des étudiants. Si bien qu’en 1828, on compte, selon les sources, de 435 à 520 boutiques, et, parallèlement, on sait que le phénomène se diffuse aussi en province où chaque petite ville possède son loueur de journaux et de livres, étroitement surveillé par le préfet!
 
Une profession mal définie
 
Plusieurs catégories existent, dépendant bien sûr de la taille du commerce (du cagibi, avec bancs à l’extérieur, au digne établissement avec étage), mais aussi de la spécialisation du commerçant et de la formule qu’il a choisie : en l’occurrence, le cas le plus fréquent semble être celui du libraire qui fait en même temps le prêt avec caution et le cabinet de lecture où les clients « consomment » sur place. Mais il existe aussi une proportion non
 
négligeable de cabinets de lecture proprement dits qui ont maille à partir avec les libraires sans cabinet de lecture et les éditeurs, à qui, bien sûr, ils font perdre de l’argent. Leur régime juridique est, de plus, mal fixé et subit des variations très importantes tout au long de la période. Au début de la Restauration, comme le souligne F. Parent-Lardeur, la surveillance n’est pas trop étroite et l’autorisation d’exercer n’est la plupart du temps qu’une formalité sans problèmes. Mais cette liberté officieuse ne dure pas, surtout à partir du ministère Villèle : les autorisations se font plus difficiles à obtenir et la police elle-même devient plus pressante, veillant, avec un succès variable, à ce qu’aucun livre n’offense la religion, l’« honnêteté », et l’État, c’est-à-dire le gouvernement en place (menacé, en vrac, par les philosophes du xvme, les pamphlets et les feuilles libérales...). 1826 marque même une aggravation avec un arrêt de la Cour de cassation stipulant que les cabinets de lecture sont désormais assimilés aux librairies, ce qui entraîne pour eux de lourdes obligations. D’où un obstacle de plus, mais qui n’arrêtera ni leur floraison ni leur succès grandissant.
 
Petite physiologie des cabinets de lecture
 
La police de l’époque ne s’est pas trompée sur l’intérêt sociologique des cabinets de lecture : la personnalité des propriétaires aussi bien que des lecteurs fait l’objet d’enquêtes nombreuses que consultent aujourd’hui les historiens. Si les professionnels de la librairie et de l’édition (Barba, Dentu, Louvet) sont les plus nombreux parmi les loueurs de livres et de journaux, on y trouve aussi des profils plus pittoresques. Le rédacteur de l’article dans le Larousse du xixc siècle évoque toutes ces veuves et ces demoiselles venues au métier après des malheurs et des revers de fortune. Les femmes sont nombreuses de toute façon, avec aussi les anciens militaires, les boutiquiers et les employés, parfois même certains marginaux ou personnages sans qualification, sans instruction — on vit jusqu’à des illettrés pratiquer ce négoce peu exigeant! Quant à la clientèle, elle est aussi très variée. Les ouvriers et les paysans (à qui s’adressent les colporteurs) n’en font pas vraiment partie, mais il reste mille variétés de bourgeois et de citadins qui constituent autant de « créneaux » à exploiter : de la portière à la vieille fille romantique, de la femme de chambre à sa maîtresse (qui aiment souvent les mêmes romans), du rentier à l’étudiant pauvre allant consulter le fonds imposant de Mme Cardinal, rue des Canettes. A part cette dernière clientèle, plus intéressée par les ouvrages universitaires, le gros des abonnés (qui sont surtout des abonnées) vient en fait pour la presse et pour les romans. Ce sont eux qu’on retrouve effectivement en grande majorité dans les catalogues qui nous restent : romans édifiants, noirs ou romantiques, de W. Scott à P. de Kock en passant par Pigault-Lebrun et Ducray-Duminil, ils tiennent la vedette, suivis seulement, de très loin, par les biographies, les voyages, la poésie et la philosophie. Il faut dire que les tarifs sont très avantageux : trois francs par mois pour consulter le journal du jour ou cinq volumes à la fois, alors qu’un journal vaut à peu près trente centimes à l’achat, et un livre, quinze francs.
 
C’est dans ces données économiques que résident en définitive le succès des cabinets de lecture et aussi les causes de leur disparition. Cette clientèle peu argentée qui fait le fonds des cabinets de lecture va trouver en effet d’autres solutions pour lire à peu de frais : le roman-feuilleton, d’abord, suivi par le roman à bon marché qui divise par cinq le prix d’un même texte, le journal lui aussi à bon marché pour certains titres (un sou), et enfin les bibliothèques populaires et municipales. La lecture continue donc à se répandre et à se développer, mais dans d’autres cadres : s’ils sont plus efficaces ou


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« --------··---- plus économiques, ils manquent peut-être de cette cha­ leur et de ceue humanité conviviale qu'on trouvait dans les meilleurs cabinets de lecture (voir aussi BmuoTHÈ­ QUE, LECTURE).

BfBLIOGRAPHlE F.

Parent-Lardeur, les Cabinets de lecture.

La lecture publi­ que à Paris sous la Resuwration, Payot, 1982.. »

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