Devoir de Philosophie

Les Confessions, Livre IV, p. 227-228. Lecture méthodique - Rousseau

Publié le 23/06/2015

Extrait du document

lecture

Lecture méthodique 14

J'aime à marcher à mon aise, et m'arrêter quand il me plaît. La vie ambulante est celle qu'il me faut. Faire route à pied par un beau temps, dans un beau pays, sans être pressé, et avoir pour terme de ma course un objet agréable : voilà de toutes

5 les manières de vivre celle qui est la plus de mon goût. Au reste, on sait déjà ce que j'entends par un beau pays. Jamais pays de plaine, quelque beau qu'il fût, ne parut tel à mes yeux. Il me faut des torrents, des rochers, des sapins, des bois noirs, des montagnes, des chemins raboteux à monter et à descendre,

10 des précipices à mes côtés qui me fassent bien peur. J'eus ce plaisir, et je le goûtai dans tout son charme en approchant de Chambéry. Non loin d'une montagne coupée qu'on appelle le Pas-de-l'Échelle, au-dessous du grand chemin taillé dans le roc, à l'endroit appelé Chailles, court et bouillonne dans

15 des gouffres affreux une petite rivière qui paraît avoir mis à les creuser des milliers de siècles. On a bordé le chemin d'un parapet pour prévenir les malheurs : cela faisait que je pou-vais contempler au fond et gagner des vertiges tout à mon aise, car ce qu'il y a de plaisant dans mon goût pour les lieux

20 escarpés, est qu'ils me font tourner la tête, et j'aime beaucoup ce tournoiement, pourvu que je sois en sûreté. Bien appuyé sur le parapet, j'avançais le nez, et je restais là des heures entières, entrevoyant de temps en temps cette écume et cette eau bleue dont j'entendais le mugissement à travers les cris

25 des corbeaux et des oiseaux de proie qui volaient de roche en roche et de broussaille en broussaille à cent toises au-dessous de moi. Dans les endroits où la pente était assez unie et la broussaille assez claire pour laisser passer des cailloux, j'en allais chercher au loin d'aussi gros que je les pouvais

30 porter ; je les rassemblais sur le parapet en pile ; puis, les

 

lançant l'un après l'autre, je me délectais à les voir rouler, bondir et voler en mille éclats, avant que d'atteindre le fond du précipice.

Les Confessions, Livre IV, p. 227-228.

On s'aperçoit dès lors que le paysage décrit traduit certes les goûts esthétiques de Rousseau, mais aussi sa personnalité pro­fonde. Il fait découvrir au lecteur de l'époque, avec une évidente volonté de provocation, un autre type de beauté, aux antipodes des goûts du siècle précédent. Pour Rousseau, le « beau « (mot répété quatre fois, I. 3 et 6-7) est sauvage (« bois noirs, « mon­tagnes «, « gouffres affreux «, I. 8-9 et 15), et par conséquent vio­lemment contrasté aussi bien dans la nature même des éléments — minéral, végétal, liquide — que dans les formes et les couleurs. Seuls le chemin et le parapet signalent la présence de l'activité humaine. Ici, c'est surtout la nature sauvage qui est à l'ceuvre : l'exemple du torrent qui « court et bouillonne dans des gouffres affreux « (I. 14-15) le montre bien. À cet égard, cette page est donc novatrice. Elle va faire naître d'autres goûts chez les contempo­rains de Rousseau et l'on y retrouve une idée fondamentale du phi­losophe : ce qui est beau est également bon, car naturel. Contempler la nature, c'est retrouver le « Grand Être « et la « vraie vie «.

lecture

« lançant l'un après l'autre, je me délectais à les voir rouler, bondir et voler en mille éclats, avant que d'atteindre le fond du précipice.

Les Confessions, Livre N, p.

227-228.

--·INTRODUCTION Situation du passage Dans cet extrait du Livre IV, Rousseau évoque son dernier grand voyage pédestre, effectué en septembre 1731.

Parti de Lyon, Jean-Jacques rejoint en effet Mme de Warens à Chambéry où celle-ci venait de rentrer.

Refusant le cheval qu'on lui propose, il décide de faire le trajet à pied.

Axes de lecture Le jeune homme se livre sans retenue aux joies de l'indé­ pendance et d'une intimité directe et totale avec la nature sau­ vage.

L'originalité de cette page, qui a surpris les lecteurs de l'époque, réside dans ces deux thèmes qui constitueront les axes de lecture proposés.

--· 1.

LES JOIES DE L'INDÉPENDANCE Le goût du vagabondage domine dans ce texte où l'auteur se délecte à revivre des moments de bonheur intense.

L'extrait est aussi un éloge de la liberté chère à Rousseau qui, dans Les Confessions, va ainsi contribuer à transformer l'art de voyager.

Revivre les joies du voyage grâce à l'écriture Deux temps se fondent intimement dans cette page : - un présent de vérité générale : « il me faut des torrents » (1.

8), qui est celui de l'écrivain quinquagénaire; -et le temps du passé (passé simple et imparfait), qui est le temps du jeune homme de 19 ans, marqué par l'irruption de faits précis dans sa méditation (à partir de la ligne 11).

196. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles