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LES CRÉATEURS DE LANGUES

Publié le 02/09/2013

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Le sens que le titre de ce chapitre donne au mot langue s'apparente donc davantage à celui que Giulio Bertoni donnait, en italien, à linguagio; et au fond de moi, je regrette un peu que dans notre français langage ait pris une couleur trop philosophique. Combien l'ancien français en usait plus librement ! Un poète voulait-il dire que par une jolie matinée du mois de mai tous les oiseaux unissaient leurs voix dans un concert joyeux : « Ils chantent en leurs langages «, c'était le mot usuel, et le poète marquait par là que la partie de l'alouette n'a ni le même timbre ni la même portée que celle du merle ou du rossignol. La Fontaine, encore, n'en usait pas autrement.

Nous ne le pouvons plus; c'est dommage. Force est donc de recourir à ce mot ambigu que je voulais éviter.

 

De prime abord, nous serions tentés de dire à propos des hommes dont il va être question : artistes dans l'art d'écrire, ils ont eu un style et ils vivent encore par sa vertu. Ce ne serait pas faux. Chacun d'eux, entre les écrivains de son temps, est reconnaissable, identable par ces marques qui constituent un style. Mais il s'ajoute à cela une circonstance nouvelle qui, dans leur cas, porte à une haute puissance leur acte créateur. On ne saurait, en effet, définir les caractères qu'ils ont donnés à la langue et puis s'en tenir là. Voudrait-on, ainsi qu'on le fait dans les manuels de littéra­ture, fixer ces hommes, comme des papillons morts, entre deux dates, on ne le pourrait pas. Sitôt qu'on les quitte, on les retrouve; cent, deux cents ans plus tard, ils sont encore tenus pour des modèles ou pour des points de référence. C'est qu'avant eux il manquait à un système d'expression quelque chose qu'ils ont rendu possible.

« LES CRÉATEURS DE LANGUES J AJMERAIS qu'avant d'entrer dans la lecture de ce chapitre on ·mesur&t bien la nature de son objet.

Créateurs de langues n'est pas une expression dont le sens aille de soi, et si nous devions la prendre dans sa rigueur, Dante ni Pétrarque pas plus que Villon ni Calvin ne mériteraient ce titre.

Il n'y a pas longtemps, en effet, que l'on travaille, en linguistique, sur une notion claire de la langue.

On doit à F.

de Saussure de l'avoir précisément deffinie, et sa marque est de ne retenir aucun trait singulier de la parole ou des manières d'écrire individuelles.

Dans la perspective saussurienne, la langue est un système hautement abstrait de références, valable pour l'ensemble des hommes qui parlent le même idiome.

Son effet est tel qu'à un moment donné, sur un certain espace géographique, tous les individus qui y participent s'entendent sans la moindre gêne.

Il en résulte que, pour les linguistes, les faits de parole n'ont point par eux-mêmes de valeur significative.

Seule, une extension générale, souvent fortuite, leur en confère une quand, à son terme, le système se trouve altéré.

De ce point de vue, donc, la notion même d'un acte créateur qui engendrerait une langue est impensable.

Le sens que le titre de ce chapitre donne au mot langue s'apparente donc davantage à celui que Giulio Bertoni donnait, en italien, à linguagio; et au fond de moi, Je regrette un peu que dans notre français l::mgage ait pris une couleur trop philosophique.

Combien l'ancien français en usait plus librement ! Un poète voulait-il dire que par une Jolie matinée du mois de mai tous les oiseaux unissaient leurs voix dans un concert joyeux : « Ils chantent en leurs langages », c'était le mot usuel, et le poète marquait par là que la partie de l'alouette n'a ni le même timbre ni la même portée que celle du merle ou du rossignol.

La Fontaine, encore, n'en usait pas autrement.

Nous ne le pouvons plus; c'est dommage.

Force est donc de recourir à ce mot ambigu que Je voulais éviter.

De prime abord, nous serions tentés de dire à propos des hommes dont il va être question : artistes dans l'art d'écrire, ils ont eu un style et ils vivent encore par sa vertu.

Ce ne serait pas faux.

Chacun d'eux, entre les écrivains de son temps, est reconnaissable, identifiable par ces marques qui constituent un style.

Mais il s'ajoute à cela une circonstance nouvelle qui, dans leur cas, porte à une haute puissance leur acte créateur.

On ne saurait, en effet, définir les caractères qu'ils ont donnés à la langue et puis s'en tenir là.

Voudrait-on, ainsi qu'on le fait dans les manuels de littéra­ ture, fixer ces hommes, comme des papillons morts, entre deux dates, on ne le pourrait pas.

Sitôt qu'on les quitte, on les retrouve; cent, deux cents ans plus tard, ils sont encore tenus pour des modèles ou pour des points de référence.

C'est qu'avant eux il manquait à un système d'expression quelque chose qu'ils ont rendu possible.. »

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