Devoir de Philosophie

LES DERNIÈRES ANNÉES LECONTE DE LISLE ET LA POÉSIE FRANÇAISE

Publié le 30/06/2011

Extrait du document

de lisle

I

La vie de Leconte de Lisle fut, pendant sa plus longue période« dure et pénible. Du jour où il eut quitté, à dix-huit ans, son île natale, ce fut comme s'il avait fait vœu de pauvreté. Toute sa jeunesse se passa dans une situation obscure et précaire ; c'est à peine si, aux approches de l'âge mûr, il put se croire un peu plus sûr du lendemain. Il n'aurait tenu qu'à lui, sans doute, de faire de son talent un emploi plus lucratif. Mais avec la rigidité de principes qu'il professait en tout ce qui concernait l'art, il se refusa obstinément à suivre la mode, à écrire pour le vulgaire, à sacrifier quoi que ce soit de son idéal. Il pensait que le devoir de l'artiste est de ne pas se plier au goût du public, mais de lui imposer le sien. Il savait, à tenir une pareille conduite, ce qu'on risque. Il ne s'en effrayait pas. Il s'y était virilement préparé, stoïquement résigné. Quand Louis Ménard, en 1849, avec sa mobilité ordinaire, parlait d'abandonner la poésie, parce que le succès n'arrivait pas assez vitex il lui écrivait : « ... Personne n'a lu tes vers, si ce n'est moi. Voilà une magnifique raison ! Qui donc a lu les miens ? Toi et de Flotte. Au surplus, qu'est-ce que cela fait à tes vers et aux miens ? Tout est-il perdu, parce que trois ou quatre ans se sont écoulés sans qu'on ait fait attention à nous ? Tu sais bien que tout ceci rentre dans l'ordre commun. Se désespérer d'un fait aussi naturel, aussi normal, aussi universel, c'est se plaindre de ne pouvoir décrocher une étoile du ciel, se frapper la tête contre les murs pour l'unique plaisir de la chose «. Et prêchant d'exemple, avec un beau courage, il persévéra. Il s'opiniâtra contre la fortune et, à force de suite et de ténacité, il finit, ayant eu la chance de vivre assez longtemps, par prendre sur elle quelques revanches.

de lisle

« l'occasion de parler, il publia une Histoire populaire de la Révolution française et un Catéchisme populaire républicain.La Révolution y était présentée comme « la revendication des droits de l'humanité outragée », comme « le combatterrible et légitime de la justice contre l'iniquité », et la République définie « la nation elle-même, vivante et active,morale, intelligente et perfectible, se connaissant et se possédant, affirmant sa destinée et la réalisant par l'entierdéveloppement de ses forces, par le complet exercice de ses facultés et de ses droits, par l'accomplissement totalde ses devoirs envers sa propre dignité qui consiste à ne jamais cesser de s'appartenir ».

Les déclarationsnettement rationalistes et antireligieuses contenues dans le Catéchisme émurent un des membres de l'Assembléenationale, M.

de Gavardie.

Dans la séance du 6 janvier 1872, il crut devoir appeler l'attention du garde des sceaux «sur la nécessité de poursuivre, en vertu de la législation existante, des faits qui—selon lui — constituaientvéritablement des délits prévus par nos lois pénales.

» Dufaure répondit par quelques paroles évasives, et l'affaire endemeura là.Les amis politiques de Leconte de Lisle avaient-ils eu, comme on l'affirme, la velléité de faire de lui, un député ou unsénateur? N'en furent-ils détournés que par le fâcheux effet produit par la divulgation des Papiers Impériaux ? Et laFrance y perdit-elle, comme on l'a insinué, un grand ministre de l'Instruction publique? Quoi qu'il en soit, le sort dupoète se trouva assuré d'une manière moins brillante, mais plus conforme à ses goûts et plus avantageuse pour sonrepos.

Le gouvernement républicain lui continua la pension accordée par l'Empereur, et le nomma en outre sous-bibliothécaire du Sénat.

La fonction, où il eut pour collègues des littérateurs de genres divers et de talent inégal,Charles Edmond, Louis Ratisbonne, Auguste Lacaussade, Anatole France, était une sinécure.

Il la prit trèsexactement comme telle. Il s'était installé dans la grande bibliothèque où se trouve la coupole peinte par Delacroix, dans l'encoignure formée àgauche par la première grande fenêtre qui donne sur le jardin du Luxembourg.

Là, assis à un petit bureau de boisnoirci, il n'avait, sur le rayon qui le surmontait, que les études bibliques de Ledrain, le Bhâgavala, le Ramayana etquelques livres de Louis Ménard.

Il arrivait tous les jours vers une heure, fumait une ou deux cigarettes, rédigeaitquelques lettres ou transcrivait des vers, d'une écriture lente et superbe.

Il aimait surtout à causer, mais nesouffrait pas qu'un importun le troublât dans ses causeries ou dans sa quiétude. On pense bien que personne ne s'avisait jamais de réclamer un livre à ce bibliothécaire olympien.

Un jour, unjurisconsulte, nouvellement élu au Sénat, eut la témérité de lui demander le Promptuarium de Cujas, et, après avoirété tout d'abord éconduit, la mauvaise grâce d'insister.

Leconte de Lisle, furieux, feignit d'emmener l'indiscret à larecherche du volume et se vengea de lui en le perdant dans les couloirs.C'est dans cette paisible retraite, dont la tranquillité n'était troublée que par la guerre d'épigrammes qu'il menaitcontre son collègue et compatriote Lacaussade, que vint le chercher le suprême honneur réservé chez nous auxgens de lettres.

En 1873, et de nouveau en 1877, il s'était présenté sans succès à l'Académie française.

VictorHugo, non content d'avoir voté ostensiblement pour lui, lui adressait, au lendemain de ce dernier échec, la lettresuivante : « Mon éminent et cher confrère,...

je vous ai donné trois fois ma voix, je vous l'eusse donnée dix fois...Continuez vos beaux travaux et publiez vos nobles œuvres qui font partie de la gloire de notre temps...

En présenced'hommes tels que vous, une Académie, et particulièrement l'Académie française, devrait songer à ceci : qu'elle leurest inutile et qu'ils lui sont nécessaires ...

» Ce billet valait une investiture.

Leconte de Lisle se trouvait désigné parHugo lui-même comme son successeur éventuel.

C'est en effet comme tel, et d'un accord unanime, qu'il fut élu le 11février 1886.Quand Coppée accourut à la Bibliothèque du Sénat pour lui annoncer son triomphe : « Pourvu, s'écria Leconte deLisle, que celui qui me recevra ne cite pas Midi, roi des étés ...

!» Ce fut justement le premier de ses poèmes — et àpeu près le seul — que cita in extenso, en lui répondant, Alexandre Dumas fils.

L'auteur des Poèmes Antiques putcroire que Némésis elle-même lui avait, pour le dialogue académique, choisi cet interlocuteur.

Écrivain grave dans ungenre réputé frivole, moraliste de théâtre et philosophe de l'actualité, visant à la profondeur et s'arrêtant souventau paradoxe, aimant les idées moins pour elles-mêmes que pour le bruit qu'elles sont susceptibles de faire dans lemonde, incapable de concevoir une autre société que la société de son temps et de s'imposer le moindre effort pourpénétrer dans une pensée différente de la sienne, esprit brillant ébloui de son propre éclat, avec cela prosateur-né,bien qu'en sa jeunesse il eût écrit des vers comme beaucoup d'autres, défenseur et prôneur de l'art utilitaire quedans une préface retentissante il avait opposé à l'art pour l'art, Alexandre Damas n'avait rien de ce qu'il fallait poursympathiser avec un poète tel que Leconte de Lisle.

Avait-il lu, avant l'élection, les œuvres du récipiendaire ? Il està peu près certain que non.

Se donna-t-il, avant d'en parler, la peine de les regarder attentivement ? Il est permisd'en douter.

En tout cas, il en parla à peu près comme s'il ne les connaissait pas.

Il accusa formellement Leconte deLisle de vouloir substituer «l'idolâtrie du Beau », abjurée par l'humanité depuis la prédication de l'Évangile, à « lareligion du Bien », qui.

depuis la Divine Comédie jusqu'au Faust de Gœthe, avait, selon lui, inspiré « la poésiespiritualiste », dont Lamartine, Hugo et Musset étaient chez nous les représentants : C'est cela, lui dit-il, que vous venez combattre ; c'est cela que vous voulez renverser.

Tentative comme une autre.Tout est permis quand la sincérité fait le fond, d'autant plus que ce que vous avez conseillé aux poètes nouveauxde faire, vous l'avez commencé vous-même, résolument, patiemment.

Vous avez immolé en vous l'émotionpersonnelle, vaincu la passion, anéanti la sensation, étouffé le sentiment.

Vous avez voulu dans votre œuvre quetout ce qui est de l'humain vous restât étranger.

Impassible, brillant et inaltérable comme l'antique miroir d'argentpoli, vous avez vu passer et vous avez reflété tels quels les mondes, les forêts, les âges, les choses extérieures...Vous ne voulez pas que le poète nous entretienne des choses de l'âme, trop intimes et trop vulgaires.

Plusd'émotion, plus d'idéal, plus de foi, plus de battements de cœur, plus de larmes.... »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles