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LES ANNÉES DE JEUNESSE : LECONTE DE LISLE ÉTUDIANT A RENNES

Publié le 30/06/2011

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de lisle

I

Peu de temps après l'arrivée de Leconte de Lisle à Dinan, survint une longue lettre adressée par son père à M. Louis Leconte. Il est indispensable d'en citer au moins quelques passages. Outre que la sollicitude dont ils témoignent est fort touchante, ils éclairent d'un jour très vif le caractère du futur étudiant en droit. M. Leconte de Lisle ne cachait pas la peine que lui avait causée e départ de son fils. « J'ai beau chercher à me faire une raison de son absence, écrivait-il, quand son souvenir me revient, et il me revient souvent, mes yeux se mouillent. Je me laisse volontiers pleurer. Puisses-tu, mon ami, n'être jamais obligé de te séparer de tes enfants à d'aussi immenses distances ; cela nuit au bonheur de la vie.« Puis, avec la minutie du père le plus attentif, il multipliait les recommandations que lui suggérait sa tendresse. « Mon premier désir est qu'il habite le quartier le plus aéré et par conséquent le plus sain... Il est peu difficile pour la nourriture : quant à la pension, qu'elle soit saine, c'est tout ce qu'il lui faut. Sous ce rapport, il n'est pas sensuel. S'il était possible qu'une personne fût chargée de son linge (celle chez qui il logerait, par exemple), cela serait fort utile pour lui, car nul, que je sache, ne porte plus loin l'insouciance en pareille matière...

de lisle

« bachotage ».

Elles donnent l'idée d'un genre de vie infiniment plus plaisant et brillant, dans le cadre archaïque de lapetite ville bretonne où la destinée avait conduit Leconte de Lisle.Dinan est bâti sur le bord d'un plateau qui domine de haut la vallée de la Rance, à l'endroit même où la rivières'élargit pour former peu à peu le magnifique estuaire qui deviendra, en s'évasant toujours, la rade de Saint-Malo.Elle a encore son château féodal, ses anciens remparts, dont on a fait en partie de belles promenades, ses églisesgothiques, ses vieilles maisons, penchées l'une vers l'autre des deux côtés des rues étroites qui dévalent jusqu'à larivière par le faubourg du Jerzual.

On y a, du haut de la tour Sainte-Catherine, une vue admirable sur les coteauxboisés qui encaissent la vallée, et nous savons par Leconte de Lisle qu'il eut là, en automne, des impressionsexquises.

Mais tandis que l'hiver de 1837-1838 enveloppait la Bretagne de son voile de brume, il songeait beaucoupmoins sans doute à admirer la nature qu'à prendre sa part des divertissements qui ne manquaient point à la sociétédu lieu.

On dansa beaucoup à Dinan cet hiver-là.

Parmi les jeunes Bretonnes se mêlaient les beautés de la colonieanglaise qui séjournait sur les bords de la Rance.

Leconte de Lisle distingua aussitôt l'une d'elles, miss CarolinaBeamish, « la femme la plus gracieuse, la plus noble que son œil eût jamais contemplée » ; il s'empressa de lui dédierun sonnet.

Mais la sœur de Carolina, Marie Beamish, fit sur lui une impression encore plus profonde, et qui duralongtemps : à notre connaissance, au moins dix-huit mois.

Pour le « doux ange, au doux nom de Marie », pour « lejeune cœur voilé d'une ombre virginale » qu'il aimait d'un idéal amour, il écrit maintes pièces, sonnets, romances,poèmes, où il platonise et pétrarquise tout à loisir.

Il a dans la ville une réputation de poète ; il ne tiendrait qu'à luide faire paraître dans l'Annuaire de Dinan, dont son oncle est l'éditeur, plusieurs de ses compositions ; elles yfigureraient en bonne place, côte à côte avec celles des poètes bretons en vue : M.

du Breil de Pontbriand, levicomte de Lorgeril, Hippolyte de la Morvonnais, Ëdouard Turquety.

Il refuse, sans qu'on sache trop pourquoi, avecune certaine hauteur.

Est-ce pour faire pièce à son oncle ? Est-ce crainte d'être éclipsé par ces illustrations deprovince? On trouve, dans une de ses lettres, un aveu qui est à retenir, car il vient du plus profond de sa nature : ilse reconnaît orgueilleux, et doué « d'une envie de dominer plus forte parfois que sa volonté même ».

Cet instinctdominateur, il l'exerce à plein sur le tendre et timide Rouffet.

Il le conseille, et il le protège ; il ne cherche point,chose remarquable, à lui imposer ses opinions philosophiques ; il le tance, à l'occasion, d'exprimer dans ses vers, lui,« disciple du Christ », le désir de la mort et le découragement de la vie ; il s'entremet pour placer ses vers auDinannais, ou pour lui chercher un emploi dans une étude ; il lui communique ses jugements sur les nouveautéslittéraires, sur Jocelyn, sur le Caligula d'Alex.

Dumas, sur Ruy Blas ; il critique les productions du jeune homme, et leprie, en retour, de lui dire ce qu'il pense des siennes « dans le détail ».

Cependant, l'hiver se passe, et aussi leprintemps, le printemps breton, précoce et doux, que Chateaubriand a décrit ;les vacances arrivent.

Leconte deLisle emploie août et septembre à faire « une tournée artistique » en Bretagne avec trois peintres paysagistes deParis.

Le voilà qui court les grands chemins, à pied, un sac de peinture sur le dos.

Son oncle et sa tante en sontscandalisés ! Aussi sont-ils heureux de le voir, au mois d'octobre, partir pour Rennes, ses papiers cette fois bien enrègle, en vue d'y affronter les épreuves du baccalauréat.Le 14 novembre 1838, il est reçu, sans gloire.

Ses notes, que voici, ne sont pas brillantes.

Sa composition écrite —une dissertation latine, en ce temps-là — est« suffisante ».

A l'oral, il est « faible » en arithmétique et en algèbre, «très faible » en géométrie, en physique et en chimie ; en philosophie, « passable » ; en grec « médiocre » (c'est del'Homère qu'on a fait expliquer à ce futur traducteur d'Homère) ; « assez bon » en latin, en rhétorique, en histoire etgéographie.

Encore s'estime-t-il bien traité : il s'attendait à un échec.

Mais, « MM.

les examinateurs se sontmontrés extraordinairement bienveillants » à son égard — en raison peut-être de son origine coloniale — ; lesdemandes qu'on lui a faites étaient des plus faciles, aussi a-t-il pu y répondre passablement ; « le résultat, conclut-il, a été plus favorable que je ne le méritais ».

Peu lui importent, d'ailleurs, les satisfactions de pure vanité.L'essentiel, pour lui, c'est d'être définitivement hors de page, libre de s'abandonner tout entier à son goût pourl'inaction physique — il s'avoue franchement « apathique » — et pour la flânerie littéraire.

La ville où il habitemaintenant est noire et triste, surtout par ces courtes journées de novembre, où tous les nuages de l'Atlantiqueviennent crever sur la Bretagne ; il y est seul, mais il s'y trouve heureux.

« La ville de Rennes, écrit-il, me plaîtbeaucoup ; rien ne me manque : la bibliothèque, le théâtre, une chambre tranquille, et point d'à mis !!!! Quedemanderais-je de plus ? »Le jeune misanthrope a même poussé l'amour de l'isolement et de l'indépendance jusqu'à ne donner de ses nouvellesà ses parents qu'à de longs intervalles.

Ceux-ci ne lui en ont pas gardé rancune.

Ils l'ont défendu contre les acerbescritiques de son oncle, expliquant par un caractère froid, réservé, peu communicatif, l'attitude dédaigneuse qu'on luireproche, affectant de prendre pour exaltation de jeune homme et amour du paradoxe les opinions subversives, enpolitique et en religion, qui ont exaspéré l'adjoint au maire de Dinan.

S'ils ont eu quelque sujet de se plaindre dusilence prolongé de Charles, le succès au baccalauréat a tout fait oublier.

Et M.

Leconte de Lisle, avec la mêmeminutie qu'il a mise à organiser la vie matérielle de son fils, lui trace maintenant le programme de ses occupationsd'étudiant.

Il l'engage, pour compléter son éducation juridique, à travailler une heure le matin, et autant le soir, dansl'étude d'un avoué ; il lui recommande, en vue de sa future carrière, de suivre des cours d'anatomie et dephysiologie — « ces connaissances sont de toute utilité en médecine légale » — de botanique, de chimie ; d'assisterà ceux de la Faculté des Lettres ; d'étudier, à ses moments perdus, la flûte et le paysage, et de fréquenter labonne société.

Ces instructions du père étaient fort sages.

On verra par la suite quel compte le fils devait en tenir.Il ne se fit pas prier pour suivre les cours de la Faculté des Lettres.

Ce dut être, j'imagine, pour le public lettré deRennes, la grande attraction de l'hiver 1838-1839.

La Faculté, qui venait d'être créée et qui n'avait pas encore delogis à elle, les inaugura, le 1er décembre, dans la salle des séances du Conseil municipal.

M.

Th.

Henri Martin traitade l'histoire de la Tragédie chez les Grecs et chez les Romains ; M.

Émile Delaunay, des origines de la littératurefrançaise.

L'année suivante, à ces deux enseignements s'ajoutèrent la philosophie, l'histoire, les littératuresétrangères.

M.

Varin fit, en « deux immenses tableaux aux proportions gigantesques » — ce sont les termesqu'emploie un de ses auditeurs, qui est peut-être Leconte de Lisle — la peinture de « l'ancien monde romain, lemonde de l'esclavage et de la corruption», et, avec des «couleurs plus vives et plus étranges», celle de la «barbarie».

Charles Labitte étudia La Divine Comédie.

A Tissue des cours, la jeunesse qui les fréquente va continuer. »

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