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Les Noyers de l'Altenburg

Publié le 27/03/2015

Extrait du document

Le cadavre du paysage. Longuement décrits dans les passages qui pré­cèdent cet extrait, les effets des gaz sur le paysage sont ici rappelés sur un mode hyperbolique (les boqueteaux «rongés et noircis par un automne défi­nitif, tués par une force sans retour comme celle de la Création «, « étendues frappées d'un châtiment biblique ). Cette évocation du paysage dévasté rappelle celles que l'on trouve dans l'un des romans les plus célèbres sur la Grande Guerre, LeFeu de Barbusse. L'horreur réside non seulement dans les effets

Sur le front polonais, le 12 juin 1915, l'armée allemande utilise pour la première fois des gaz de combat. Épouvantés par l'atrocité des effets de ces gaz sur les corps de leurs ennemis russes, les soldats allemands décident de porter secours aux survivants. Le père du narra­teur assiste à la scène.

L'Esprit du Mal ici était plus fort encore que la mort, si fort, qu'il fallait trou­ver un Russe qui ne fût pas tué, n'importe lequel, le mettre sur ses épaules, et le sauver.

Cinq ou six étaient épars dans les buissons, au-dessous d'une capote accro‑

5    chée par le col, et qui oscillait sur ce délire comme un pendu; mon père se jeta sous le premier, s'arc-bouta dans les ronces molles et se releva avec lui. Il tenait des poings semblables à des noeuds. L'homme s'était débattu dans les tournesols et le bracelet d'un de leurs fruits énormes et plats, décomposé par le gaz et troué d'un coup comme un gâteau, bringuebalait à son bras.

10 Mon père, paupières serrées, tout son corps collé à ce cadavre fraternel qui le protégeait comme un bouclier contre tout ce qu'il fuyait, marmonnait sans arrêt: «Vite, vite «, sans savoir ce qu'il voulait dire par là, et n'avait même plus conscience de marcher.

Dès que la lumière l'envahit malgré ses paupières collées, il ouvrit les yeux,

15   et tout le haut du versant russe lui apparut: il était revenu à la clairière. Ces longs boqueteaux à flanc de colline, rongés et noircis par un automne défi­nitif, tués par une force sans retour comme celle de la Création, n'étaient plus rien en face d'un seul visage gazé : sur ces étendues frappées d'un châ­timent biblique, mon père ne voyait plus que la mort des hommes. Et pour‑

20 tant — ses yeux peu à peu s'accoutumaient au soleil — il sentait le flamboie­ment mort s'animer d'une vie secrète, frémir comme frémit la brousse de la convergence de ses bêtes vers les points d'eau. Il distingua au loin des points blancs de chemises, petits, nombreux, par ligne presque parallèles ; de chaque promontoire de forêt, les porteurs, leurs lignes coupées et recoupées

25 par une confuse fourmilière de fuyards, descendaient lourdement dans le vent jusqu'à la clairière dont leur passage ne rompait pas le silence. Ce que faisaient ces hommes, mon père le savait maintenant: non de sa pensée, mais du corps sous lequel il s'enfonçait jusqu'à mi-jambe... Sur tout le versant sombre il sentait s'étendre leurs lignes allongées, dans les friches ou enfouies

30   dans les bois, poussées par la même fatalité solennelle que les nuages dans la haute montagne ; et, depuis l'orée proche d'où de nouveaux porteurs sur­gissaient inépuisablement, elles lui semblaient se déployer, à travers les arbres noirs jusqu'à la Vistule et jusqu'à la Baltique.

 

Béant, délivré, il regardait dégringoler vers les ambulances l'assaut de la pitié.

« LES ROMANS DE MALRAUX (COMMENTAIRE) !:rtie_l!_!lu texte Extrait de la partie des Noyers de l'Altenburgconsacrée à la Grande Guerre, ce texte, qui dénonce la barbarie d'une science appliquée à la destruction de l'homme, est une démonstration, sous la forme d'une parabole, de la capacité de l'homme à lutter contre ce qui le nie.

0 Des forces destructrices à la pulsion de vie L'ouverture et le finale.

Le texte s'ouvre sur la référence au «Mal» pour se conclure sur la «pitié", termes antithétiques, le mal supposant ici une volonté délibérée de détruire à la fois l'homme et le paysage tandis que le terme pitié dénote au contraire le souci de la souffrance de l'autre.

L'antithèse est d'autant plm marquée que les deux expressions «L'Esprit du Mal'" «l'assaut de la pitié" se rapprochent à la fois par leur construction syntaxique et par leur caractère d'abstraction.

La pulsion de vie.

On passe d'un projet ( " il fallait trouver un Russe qui ne fût pas tué ...

"), qui se présente moins sous la forme d'une décision que d'une nécessité ( «ilfallait»), à sa mise en acte (deuxième paragraphe).

Le caractère irrépréssible du mouvement du personnage est souligné par la rapide succession de verbes d'action ("se jeta", "s'arc-bouta", "se releva"), et par l'abolition de la conscience au profit de l'impulsion ("marmonnait ...

marcher").

Ce phénomène se retrouve dans le second paragraphe: l'ad­ verbe "inépuisablement" fait écho à la locution adverbiale "sans arrêt" tan­ dis que, comparés aux animaux de la brousse convergeant vers les points d'eau, les porteurs, dont les lignes s'étendent «poussées par la même fata­ lité [ ...

] que les nuages» paraissent agir sous l'effet de l'instinct de vie.

La guerre chimique, une apocalypse moderne Le cadavre du paysage.

Longuement décrits dans les passages qui pré­ cèdent cet extrait, les effets des gaz sur le paysage sont ici rappelés sur un mode hyperbolique (les boqueteaux «rongés et noircis par un automne défi­ nitif, tués par une force sans retour comme celle de la Création'" "étendues frappées d'un r:hâtiment biblique").

Cette évocation du paysage dévasté rappelle celles que l'on trouve dans l'un des romans les plus célèbres sur la Grande Guerre, Le Feu de Barbusse.

L'horreur réside non seulement dans les effets. »

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