Devoir de Philosophie

Les passants - Jean JOUBERT, Campagnes secrètes

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

   Sont-ils vivants les hommes de brouillard qui me dédient un geste de la main, très faible, dans la foule du matin, et dont les mots tombent comme des mouches?    Ou bien ai-je vécu sans le savoir dans une ville où végètent les morts, souvent très doux comme vagues au port, parfois déments et prêts à tout briser?    Ceux que j'aimais sont morts avant la nuit, et la rougeur étroite à leur croisée n'est dans le soir que la rose fanée qui brûle bas sur la lampe funèbre.    Vont-ils masquer la rive, les étoiles et le reflet du monde sur les eaux, du pan troué de leurs pauvres manteaux lorsque l'effraie rôde sur les terrasses?    ou me voler la flamme qui m'occupe, discrète et tendre et toujours menacée,    à moi qui suis aux frontières du temps, peut-être mort, et qui me crois vivant.    Jean JOUBERT, Campagnes secrètes, 1974.    Vous ferez de ce texte un commentaire composé, en montrant, par exemple, quels sentiments traduisent les questions du poète, et comment ils sont mis en valeur par les images, les sonorités, etc.    difficultés du texte    La compréhension du poème fait problème : d'abord par les images utilisées, par exemple celle de la «rose fanée«, ensuite par la détermination des «hommes de brouillard«, de «ceux que j'aimais« et du pronom «ils« au début de la quatrième strophe. Difficile de donner, avec certitude, un unique sens.    L'élève doit accepter ces ambiguïtés et ne pas craindre de donner plusieurs interprétations, en signalant celle qui lui semble la plus plausible. L'essentiel, en effet, dans ce genre de devoir, est de montrer que l'on est sensible aux difficultés d'un texte, voire à ses obscurités.

« seront discernables, mais elles ne sont pas tout à fait de ce monde! • La seconde atteinte est plus grave : elle ne s'attaque plus aux sources de l'inspiration mais à l'auteur lui-même.Plus exactement à ce qui le fait vivre et écrire : «la flamme qui m'occupe».

Le danger est souligné par la dispositiondes vers.

Le texte abandonne le quatrain pour présenter deux groupes de deux vers.

L'infinitif «ou me voler» en têtede vers, éloigné du verbe dont il dépend, «vont-ils», se détache particulièrement.

Devant ces menaces, l'auteurinsiste sur le pronom renforcé «à moi» qui veut résister. • La menace intérieure.

Pourtant, on peut se demander si le danger ne provient pas de l'inspiration elle-même. Elle est, en effet, présentée comme «tendre et discrète», c'est-à-dire fragile.

L'élision des e muets contribue àcréer une tonalité douce à ce vers. Deuxième partie : l'interrogation sur la vie et la mort Le titre Les Passants résume la fragilité de la présence des êtres ou des morts, le flux et le reflux de cette foulesans visage. • Le premier vers s'ouvre sur une incertitude.

L'expression «hommes de brouillard» indique l'inconsistance, l'irréalitédes êtres.

La communication s'arrête à l'état d'ébauche : un geste, et les paroles n'atteignent pas leur but. Le poids des choses se dérobe aussi : le monde est perçu comme inaccessible : «le rêve, les étoiles», l'auteur nel'appréhende pas directement : «le reflet du monde sur les eaux». Le doute exprimé sur la vie des hommes de brouillard, l'interrogation «ou bien ai-je vécu sans le savoir dans une ville où végètent les morts» laissent entendre que le poète ressent l'humanité comme à demi morte.

Leverbe «végète» donne l'impression d'une vie obscure et diminuée.

Les images de nuit sont d'ailleurs nombreuses, neserait-ce que par l'effraie.

Pourtant, cette interprétation n'explique pas «la foule du matin».

On serait, pour résumer,amené à déterminer deux groupes d'hommes : les vivants qui manquent de réalité et les morts «ceux que j'aimais»qui captent toute l'énergie du poète. • Une autre explication peut être avancée : les hommes de brouillard ne représentent pas toute «la foule du matin»mais quelques êtres particuliers, les morts, qui continuent à hanter Jean Joubert.

L'auteur s'interroge alors surl'existence de ces êtres qu'il a crus encore vivants et qui ne sont que les amis disparus.

L'opposition serait plusmarquée entre le matin, la vie, et les morts, la nuit.

Leur présence obsédante occulte la vérité du monde.

De là,l'amour qu'il leur portait et les risques qu'ils lui font courir.

Le texte dévoile ce qui était inconscient (sans le savoir) :la présence des morts.

«La rougeur étroite » a été prise comme un signe de vie, peut-être le coucher du soleil, peut-être une lampe familière.L'auteur découvre qu'elle se réduit à des symboles de mort : «rose fanée», «lampe funèbre».

L'allitération deslabiales crée une sonorité obsédante. • L'hésitation entre la vie et la mort concerne également l'auteur.

Les deux derniers vers l'indiquent clairement.Cette fois, cependant, la conscience penche du côté de l'existence.

Mais la croyance n'est pas ici une certitude.L'expression «aux frontières du temps» souligne la position instable du poète.

Elle explique aussi à fortiori les doutesqui se portent sur le monde extérieur, puisque l'expérience intérieure hésite à se prononcer.

En plus, la flamme,source de vie, correspond à la «lampe funèbre».

Là aussi la frontière est étroite. Conclusion En dépit des difficultés d'interprétation, le lecteur perçoit fort bien le passage d'un questionnement du mondeextérieur à une interrogation intérieure.

La fragilité du poète, les limites incertaines de la mort et de la vie,l'importance du sentiment de l'amour expliquent la menace qui pèse sur l'auteur. citation «Tu n'es pas là ton corps existe Et les étoiles de tes mains Disparues sont toujours présentes » Paul ÉLUARD, Une leçon de Morale.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles